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Ce que nous pensons savoir des bulles spéculatives, ce que nous ignorons

Dans le document Simulation multi-agents de marchés financiers (Page 105-108)

4.1.1 Les bulles à travers l’histoire

L’existence de bulles spéculatives dans les cours boursiers a toujours fait l’objet d’un dé- bat intense en finance : pour certains théoriciens, ces bulles ne peuvent exister alors que pour d’autres, de nombreuses observations empiriques confirment leur existence. Pour mieux comprendre la difficulté de trancher dans ce débat en faveur de l’une ou l’autre de ses par- ties, il est nécessaire de reprendre la définition de bulle spéculative :

Hausse forte des cours d’un titre, d’un secteur ou d’un indice, non liée à la croissance réelle de l’économie.

En d’autres termes, une bulle spéculative est une déviation des prix à la hausse par rap- port au prix que le titre devrait avoir. Cette définition nous renvoie donc directement à la définition de juste prix que nous avons évoqué en 1.2.2 : pour pouvoir mettre en évidence l’existence d’une bulle spéculative sur un actif, il est essentiel de pouvoir calculer son juste prix, sa valeur fondamentale, afin de comparer le prix théorique avec le prix pratique. Or, comme nous l’avons vu, le calcul de ce juste prix est en pratique extrêmement compliqué à réaliser puisqu’il fait intervenir des valeurs incertaines (les rendements futurs de l’actif). Il est donc quasiment impossible de prouver qu’une bulle existe.

Cependant, à travers l’histoire des marchés financiers, de nombreuses observations em- piriques semblent attester l’existence de bulles spéculatives. Un des exemples les plus connus est sans doute celui de la Tulipomania, bien que cet épisode de l’histoire ne se déroule pas sur un marché financier mais plutôt sur une forme primitive de marché de commodités (cf [Kindleberger, 2000] pour plus de détails). Aux Pays-Bas, au début du XVIIème siècle, posséder des tulipes rares était devenu un symbole de richesse et de puissance. En 1623, le marché de la tulipe est à son apogée : un bulbe de tulipe rare pouvait se vendre plus de

4.1. Ce que nous pensons savoir des bulles spéculatives, ce que nous ignorons 91 1000 florins, alors que le revenu moyen annuel de l’époque ne dépassait pas 150 florins. De- vant cet engouement, nombre de spéculateurs sont apparus, achetant les bulbes des espèces les plus rares pour les revendre plus cher ensuite.De nombreuses transactions reposaient sur une économie d’endettement, les investisseurs empruntant de grandes sommes d’argent pour acheter des tulipes, certains de réaliser un bénéfice. Ce phénomène sans précédent ar- riva à son apogée en 1635 quand un bulbe de Semper Augustus, la plus célèbre des tulipes d’alors, fut vendu 6000 florins. En 1637, les prix étaient devenus tellement exorbitants que certains investisseurs, préssés par leurs prêteurs de rembourser, commencèrent à diminuer leurs prix de vente et pourtant, ne rencontrèrent pas d’acheteurs. Un mouvement de panique se répandit alors chez tous les investisseurs qui essayèrent à leur tour de revendre les tulipes dans lesquelles ils avaient investi, sans succès. Les prix chutèrent alors dramatiquement, jus- qu’à ce que les bulbes payés plusieurs milliers de florins n’en valent plus que quelques-uns : des milliers d’investisseurs furent ruinés. Cette épisode illustre parfaitement le phénomène de bulle spéculative : la valeur fondamentale d’un bulbe de tulipe est très faible puisqu’il ne rapporte pas d’argent dans le futur et est éphémère. Pourtant, ils se sont échangés des centaines de fois plus chers que leur juste prix : on parle alors de bulle, suivie par un krach au moment où les prix rejoignent brusquement les fondamentaux.

0 100 200 300 400 date prices 1996 2000 2004

FIG. 4.1 – Cours journalier du titre Yahoo de 1996 à 2007 sur le Nasdaq

Bien qu’il soit plus facile d’analyser des évènements comme la Tulipomania avec le recul historique dont nous disposons maintenant, il est possible de faire des parallèles entre cet

évènement et d’autres plus récents comme l’épisode de la “bulle internet” à la fin des années 1990. Suite à l’essor des nouvelles technologies et au développement du réseau internet en 1994, de nombreuses nouvelles entreprises ont vu le jour. Confiants dans les promesses de rentabilité à long terme de ces start-up, les investisseurs ont déboursé des sommes colossales pour investir dans ce secteur, croyant que l’humanité était à l’aube d’une révolution indus- trielle et qu’ils allaient pouvoir s’enrichir grâce à la croissance économique qui s’en suivrait. Malheureusement, après quelques années (dès 2000), les rentabilités espérées ne furent pas au rendez-vous, et le déséquilibre entre les cotations boursières et les bénéfices réels des so- ciétés atteignit un si grand niveau que les investisseurs se rendirent compte de leur erreur. Ajouté à quelques grands scandales liés à la dissimulation de dettes contractées par ces so- ciétés (Enron, Worldcom, ...) à leurs investisseurs, le monde économique pris conscience que l’Eldorado promis par les nouvelles technologies ne serait jamais à la hauteur des espérances et des investissements qu’ils y avaient placé. Le krach inévitable qui s’en suivit conduit à la faillite de bon nombre de ces sociétés, même si quelques-unes comme Amazon ou Yahoo y survécurent. Cet épisode est illustré à la figure 4.1 : entre 1996 et 2000, le titre Yahoo alla jusqu’à décupler sa valeur, alors que le chiffre d’affaire de l’entreprise n’avait pas augmenté, pour finalement revenir à sa valeur initiale en 2001.

4.1.2 Bulles et théorie financière

Bien que bon nombre de théoriciens classiques de la finance remettent en cause l’exis- tence même des bulles spéculatives en affirmant que le prix, pendant les périodes de bulles supposées, ne fait que refléter la fluctuation des fondamentaux au regard de l’information disponible à cette date, l’évidence empirique de leur existence a amené quelques chercheurs en finance à s’interroger sur l’origine de ces phénomènes.

Nous avons vu dans le premier chapitre que pour définir un comportement rationnel, il était possible de se baser sur la définition de la valeur fondamentale ou de juste prix, qui permet d’anticiper le prix d’un titre. Le calcul de ce juste prix est cependant uniquement basé sur le fait que le titre va rapporter à son possesseur un dividende pour toute la durée pendant laquelle il va le conserver. Or, bien que ce facteur soit déterminant de la rentabilité à long terme d’un titre, il n’intervient que très peu dans la rentabilité à court terme. Imaginons

qu’un investisseur achète un titre pour un prix pt à l’instant t. En t + 1, cet investissement

lui aura rapporté le dividende dt, mais il aura aussi gagné ou perdu la différence de prix du

titre entre ptet pt+1. Son gain Gtsera donc Gt= dt+ (pt− pt+1). La différence du prix entre

tet t + 1 est donc déterminant dans cette équation de rentabilité du titre à court terme. L’ap-

proche rationnelle, pour un investisseur désirant réaliser un investissement à court terme, ne sera donc plus de calculer avec le plus de précision possible la somme des dividendes futurs qu’il va toucher (la valeur fondamentale), mais la variation du prix, ce que certains nomment comme [Orléan, 1999], sa valeur spéculative. On ne parle plus alors de rationalité fondamenta-

listemais de rationalité stratégique qui, si elle se généralise à l’ensemble du marché, devient une rationalité auto-référentielle.

Un investisseur spéculateur est un investisseur qui se préoccupe essentiellement de la

valeur spéculative du titre. Contrairement à un fondamentaliste, qui essaye d’anticiper à long

4.2. Modélisation de comportements spéculatifs et émergence d’épisodes critiques 93

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