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ALBERT SAVARUS

OU LE ROMAN COMME TRANSGRESSION

Nombreuses sont les études consacrées à l’art romanesque de Balzac émanant de la plume des érudits les plus éminents à s’être penchés sur les œuvres de fiction du monstre des lettres françaises. Aussi m’a-t-il paru présomptueux de vouloir aborder ou réaborder dans un texte aussi limité que l’est nécessairement le présent article toute la complexité qui informe la création romanesque balzacienne. Par conséquent, j’ai préféré fixer le regard sur un petit texte assez peu étudié afin d’en dégager les lignes matricielles ainsi qu’un aspect de son art qui me paraît relativement innovateur chez Balzac, soit le caractère autoreprésentationnel du récit qui devient également un acte transgressif — par l’écriture d’une part et par la lecture d’autre part.

« Roman d’un roman à l’intérieur d’un roman, jeux de miroirs à l’infini, où créateur et création ne sont plus que reflets d’autres reflets1. » C’est en ces termes qu’Anne-Marie Meininger décrit les rapports complexes entre Balzac et le fonctionnement du petit roman, Albert Savarus. Comme la plupart des critiques qui s’y sont intéressés, elle se penche avant tout sur la manière dont ce texte semble être le reflet, à bien des égards, du drame qui se joue entre Balzac et Mme Hanska en 1842.

Cette perspective la conduit à juger sévèrement Albert Savarus :

1. Anne-Marie Meineinger, « Introduction » à Albert Savarus, in Honoré de Balzac, La Comédie humaine, Paris, Gallimard, coll. « La Bibliothèque de la Pléiade », 1976, t. I, p. 909.

Savarus est égocentrique encore par l’incessant retour de Balzac sur sa vie jusqu’à l’adolescence et par les emprunts, tantôt machinaux, tantôt significatifs, à ses propres œuvres, notamment aux œuvres de sa vie « au début »; rappels d’autant plus visibles, qu’ils sont peu élaborés, que Savarus est un roman écrit à la hâte2.

Et Pierre Citron, lisant le roman dans le même esprit, parle de la gêne qu’éprouve le lecteur à lire « ce qui est une lettre d’amour en même temps que la manœuvre diplomatique d’un amant difficile, le tout camouflé sous une sorte de roman à thèse3 ». D’après lui « [c]ette gêne n’encourage ni l’intérêt ni l’émotion4 ». De tels réquisitoires n’incitent guère à la lecture... Mais si on faisait abstraction du roman Balzac-Éveline Hanska, si on lisait ce texte en lui-même et pour lui-même, ainsi que l’aurait fait un abonné du Siècle où Albert Savarus parut en 18425, aboutirait-on aux mêmes conclu sions ? Au contraire ne serait-on pas obligé de reconnaître l’intérêt proprement littéraire que présente ce roman, notamment en ce qui concerne les questions de mise-en-abyme évoquées par Anne-Marie Meininger et même une théorie implicite du genre romanesque qui se dégage d’une lecture approfondie.

À vrai dire, même si Albert Savarus est « écrit à la hâte », même si l’un des destinataires du roman est Mme Hanska et même si l’hommage à Stendhal, mort en 1842, saute aux yeux (la chartreuse, les lacs suisses, le lac Majeur, le choix du nom Gina, les ressemblances entre Mlle de Watteville et Mathilde de la Mole, Besançon, la parenté entre l’abbé de Grancey et l’abbé Pirard), il ne demeure pas moins vrai que la complexité de la situation narrative, le système de renvois et d’échos sans compter le cadre social et historique ainsi que la vision morale communiquée par le texte sont dignes des meilleurs romans de Balzac. En effet, comme c’est le cas dans Modeste Mignon, par exemple, l’intrigue dépend entièrement d’un jeu de masques et de dissimulations

2. Ibid., p. 904.

3. Pierre Citron, Dans Balzac, Paris, Seuil, 1986, p. 256-257.

4. Ibid., p. 257.

5. Voir l’historique de la publication d’Albert Savarus dressé par Anne-Marie Meininger (op. cit., p. 1506-1509). Le roman est publié dans Le Siècle du 29 mai au 11 juin 1842.

125 visant l’identité réelle ou fictive des personnages, identité qui est étroitement liée à leur rôle d’exégète et d’écrivain, car certains modèles herméneutiques et scripturaux sont explicitement esquissés dans le texte.

Le modèle dominant est sans doute celui du mystère à déchiffrer et en ceci ce roman balzacien s’apparente à bon nombre de romans traditionnels ; mais l’originalité d’Albert Savarus réside en ceci : le lecteur a peu de prise sur le personnage qui donne son nom au texte car il est presque invariablement présenté, donc filtré, à travers les perceptions d’autrui. On découvre — chose rare chez Balzac — que le narrateur ne décrit pas le personnage.

Cette tâche est confiée à l’abbé de Grancey et c’est précisément le portrait verbal qu’il dresse qui crée chez l’une de ses interlocutrices le désir de décoder le roman qu’elle entrevoit dans ses paroles :

Le portrait esquissé par le plus capable des vicaires-généraux du diocèse eut d’autant plus l’attrait d’un roman pour Philomène qu’il s’y trouvait un roman. Pour la première fois de sa vie, elle rencontrait cet extraordinaire, ce merveilleux que caressent toutes les jeunes imaginations, et au-devant duquel se jette la curiosité, si vive à l’âge de Philomène. [...] Albert Savaron offrait bien des énigmes à déchiffrer6.

Le processus est des plus intéressants : une description visuelle inscrite dans un roman est perçue par Philomène comme matière romanesque alors qu’elle n’a jamais lu elle-même de roman. En effet elle « avait été fortement comprimée par une éducation exclusivement religieuse » par une « mère qui la tenait sévèrement par principes ». C’est ainsi qu’« à dix-sept ans, Philomène n’avait lu que les Lettres Édifiantes, et des ouvrages sur la science héraldique. Jamais un journal n’avait souillé ses regards7 ». Non seulement nous assistons à une situation où déjà il existe une espèce de roman à l’intérieur du roman (Albert médiatisé par l’abbé de Grancey, où le visuel est textualisé au propre et au figuré) mais aussi à une situation où le désir de lire ce

6. Honoré de Balzac, Albert Savarus in Œuvres complètes, La Comédie humaine, Scènes de la vie privée I, Paris, Furne, Dubochet et Hetzel, 1842, p.

422. Soulignons que je cite, pour des raisons qui deviendront claires par la suite, d’après l’édition Furne où le personnage s’appelle Philomène et non Rosalie comme c’est le cas pour toutes les éditions à partir du Furne corrigé.

7. Ibid., p. 415-416.

roman relève de l’interdit. Par ailleurs, ce désir de lecture se transmue rapidement en un désir de voir :

« Puis le voir, l’apercevoir !... Ce fut le désir d’une fille jusque-là sans désir8. » Double interdit donc, car le désir de lire est non seulement textualisé, il est également sexualisé. Lire pour Philomène devient un moyen pour s’affranchir de l’emprise maternelle, et elle se met aussitôt à espionner son « roman » qui, lui, est en train d’écrire. Les détails de la scène me paraissent lourds de signification : « [...] elle vit Albert écrivant, elle crut distinguer la couleur de l’ameublement qui lui parut être rouge. La cheminée élevait au-dessus du toit une épaisse colonne de fumée. — Quand tout le monde dort, il veille...

comme Dieu ! se dit-elle9. » On ne sait pas ce qu’Albert est en train d’écrire, mais puisqu’il ne se livre qu’à trois sortes d’écriture (lettres, notamment à son amoureuse absente ; articles politiques et la nouvelle Un ambitieux par amour), il ne serait pas oiseux de suggérer que la première fois que Philomène le contemple il est en train d’écrire à la duchesse d’Argaiolo ou de rédiger la nouvelle qui lui permet de revivre par l’écriture son propre roman auprès d’elle. En tout état de cause, la condition même de l’écriture, ici, est la séparation dans l’espace. De même, Philomène, lectrice, est physiquement séparée de l’objet de sa contemplation, sa lecture, mais elle l’embrasse du regard et donne une première interprétation de ce qu’elle voit ou lit. Albert est comparé à Dieu. « Dieu veille lorsque le monde dort », mais Dieu est aussi l’auteur de la création et nous assistons une nouvelle fois au processus de mise-en-abyme où Albert, scripteur, est objet de lecture pour un personnage de roman. L’épaisse colonne de fumée et la couleur rouge de l’ameublement pourraient être des détails anodins si la couleur rouge n’avait pas déjà fait l’objet d’une interprétation diamétralement opposée à celle de Philomène. L’abbé de Grancey décrit sa première visite à l’avocat mystérieux en ces termes :

[...] monsieur Savaron est venu en robe de chambre de mérinos noir, serrée par une ceinture en corde rouge, des pantoufles rouges, un gilet de flanelle rouge, une calotte rouge.

— La livrée du diable ! s’écria madame de Watteville.

8. Ibid., p. 422.

9. Ibid., p. 423.

127

Oui, dit l’abbé ; mais une tête superbe : cheveux noirs, mélangés déjà de quelques cheveux blancs, des cheveux comme en ont les saint Pierre et les saint Paul de nos tableaux, à boucles touffues et luisantes, [...] un cou blanc et rond comme celui d’une femme [...] un teint olivâtre marbré de taches rouges, un nez carré, des yeux de feu, puis les joues creusées, marquées de deux rides longues pleines de souffrances [...] Enfin il a des mains de prélat10.

L’habit dominé par le rouge, la peau marquée de rouge, les yeux de feu, Mme de Watteville n’a pas tort : il existe quelque chose de diabolique chez l’avocat. L’abbé lui donne raison d’ailleurs, mais non sans nuancer, car il décèle chez le jeune homme des traits de saint et des mains de prêtre. Il semblerait en effet, d’après ce passage, qu’Albert soit dominé par une dualité où coexistent le diabolique et la sainteté. Philomène ne voit qu’une tendance — elle fait abstraction de la fumée et de la couleur rouge de l’ameublement — et sa mère se précipite vers une interprétation opposée. Elles ont toutes les deux raison — et tort en même temps.

Or, le texte entier problématise l’acte herméneutique et ses rapports avec l’écriture ainsi que les conséquences qui découlent de toute exégèse. On pourrait même dire, comme dans le cas de Modeste Mignon, qu’à travers la quête de l’écriture — celle d’Albert, celle de Philomène et, à un autre niveau encore, celle de Balzac lui-même — le roman attire constamment l’attention sur son statut autoreprésentationnel, aussi bien que sur l’importance d’une lecture totalisante, car une lecture partielle ne peut avoir que des effets nocifs.

Par ailleurs, la nature double d’Albert pose une ambiguïté qui informe le texte entier et rend ainsi malaisée toute interprétation, que ce soit celle de Philomène ou de sa mère, celle de l’abbé de Grancey ou celle à laquelle doit se livrer le lecteur du roman, car il y va non seulement des incidents et des personnages mais aussi de l’univers moral dans lequel ils s’inscrivent, univers marqué par une ambiguïté radicale.

Si l’on poursuit l’analyse de la dualité d’Albert et de ses conséquences pour l’exégèse à travers une étude de l’emploi des lexèmes « Dieu », « saint », « ange »,

« divin » et ceux qui s’y opposent, dont « diable », et les

10. Ibid., p.420-421.

termes qui s’y associent comme « Belzébuth », « Satan » et « enfer », on aboutit à des résultats d’un grand intérêt.

La répartition des termes positifs est presque équilibrée entre l’histoire dont Albert est le protagoniste et celle dont il est l’auteur. Ainsi Savarus écrit à la duchesse d’Argaiolo : « Je suis tellement occupé que je ne puis aujourd’hui te rien dire qu’un rien, mais ce rien est tout.

N’est-ce pas d’un rien que Dieu a fait le monde ? Ce rien, c’est un mot, le mot de Dieu : Je t’aime11 ! » et le héros de L’Ambitieux par amour, Rodolphe, fera de l’amour une véritable religion dans ses lettres à la princesse Francesca Gandolphini :

La certitude est la base que veulent les sentiments humains, car elle ne manque jamais au sentiment religieux : l’homme est toujours certain d’être payé de retour par Dieu. L’amour ne se croit en sûreté que par cette similitude avec l’amour divin. […]

Croire à une femme, faire d’elle sa religion humaine, le principe de sa vie, la lumière secrète de ses moindres pensées !... n’est-ce pas une seconde naissance12 ?

Par ailleurs ; ce lexique religieux ne se limite pas aux seuls personnages masculins. Il vise également Mlle de Watteville. D’abord par son nom, et c’est la raison pour laquelle je préfère le Furne aux éditions subséquentes.

Deux phrases associent Philomène à la sainte du même nom :

[Madame Watteville] est une des reines de la sainte confrérie qui donne à la haute société de Besançon un air sombre et des façons prudes en harmonie avec le caractère de cette ville. De là le nom de Philomène imposé à sa fille, née en 1817, au moment où le culte de cette sainte ou de ce saint, car dans les commencements on ne savait à quel sexe appartenait ce squelette, devenait une sorte de folie religieuse en Italie, et un étendard pour l’Ordre des Jésuites13.

Or, ce nom, désignant la sainte dont le tombeau fut retrouvé à Rome en 1802, vient d’un nom grec mystique qui signifie « aimée ». On ne saurait imaginer de nom plus approprié — de par l’ironie car le personnage est la mal-aimée et de par son association avec la mort et avec l’ambiguïté sexuelle, ambiguïté qui préfigure l’horrible

11. Ibid., p. 470.

12. Ibid., p. 444.

13. Ibid., p. 407.

129 mutilation de son corps lors de l’explosion de la chaudière d’un bateau à vapeur sur la Loire que l’on est tenté d’assimiler à une punition divine entraînée par ses précédents péchés. Le nom Rosalie n’a pas du tout les mêmes résonances. En effet, « Philomène » semble s’insérer dans un semblable système dualiste. Les seules lectures permises à la jeune femme, les Lettres édifiantes de l’abbé Montmignon et des ouvrages sur la science héraldique, figurent le religieux et le social, des forces antagonistes partout dans le texte. Et même si son comportement envers Albert semble dominé par son

« infernale curiosité14 » ses réactions vis-à-vis des lettres interceptées d’Albert ne sont pas exemptes de remords…

En d’autres termes, sa conduite n’est pas entièrement commandée par des tendances vers le mal… Sur le plan physique d’ailleurs « [s]on visage ressemblait parfaitement à ceux des saintes d’Albert Dürer […] Tout en elle, jusqu’à sa pose rappelait ces vierges dont la beauté ne reparaît dans son lustre mystique qu’aux yeux d’un connaisseur attentif15 ». Pourtant, exactement de la même manière qu’elle juge diabolique le portrait d’Albert Mme de Watteville affirme à propos de sa fille : « elle a plus d’un Belzébuth dans sa peau16 ! », jugement qui sera confirmé par l’abbé de Grancey qui s’exclamera, une fois dévoilée toute l’étendue de la perversité de la jeune femme : « Satan17 ». C’est d’ailleurs le dernier mot prononcé par le prêtre avant d’expirer — ce qui ne manque pas d’intérêt puisque le drame entier est amorcé par le portrait initial qu’il fait d’Albert devant Philomène et sa mère. Étant donné qu’à un premier niveau l’abbé semble incarner la voix de la sagesse, on pourrait croire à une résolution en faveur du mal du conflit entre les tendances opposées du caractère de cette femme. Ce serait trop simplifier, car le texte établit une série de parallélismes non seulement entre le caractère et le comportement d’Albert et de Philomène mais aussi entre leurs situations respectives et celle de Grancey, parallélismes qui associent fatalement l’abbé au système

14. Ibid., p. 457.

15. Ibid., p. 416.

16. Ibid., p. 417.

17. Ibid., p. 504.

dualiste. Élucidons d’abord à propos du jésuite. Lui-même révèle à Albert qu’un dépit amoureux dans sa jeunesse l’a fait choisir l’Église et renoncer à toute ambition. Vieux, il se trouve par conséquent à un point limite de la courbe de l’existence, alors qu’Albert et Philomène, jeunes, se situent à un tout autre point de cette même courbe. De même, Albert deviendra chartreux une fois qu’il aura compris que Francesca, veuve, a épousé le duc de Rhétoré (encore un nom ironique — « guéri » !) et Philomène, mutilée, se retirera dans la chartreuse des Rouxey « où elle mène une vie entièrement vouée à des pratiques religieuses18 ».

Quant à Albert et Philomène, le roman ne cesse de multiplier les échos et les renvois. Si la tendance vers la sainteté de la femme cède devant les tentations infernales que lui procure la lecture de la nouvelle écrite par Albert, si elle poursuit un homme dont le cœur est promis ailleurs, elle ne fait pas autre chose qu’imiter l’exemple de ce dernier. Sur un seul regard Albert et son sosie fictif, Rodolphe, s’éprennent de la bien-aimée, inaccessible puisque mariée : rien que d’écouter le portrait verbal esquissé par l’abbé, Philomène se croit amoureuse.

Du reste l’amour chez Albert-Rodolphe prend des proportions mythiques. À la suite de l’échange de promesses de fidélité éternelle, l’amoureux est confronté à la situation où il a le droit de contempler l’autre et de lui parler mais non de la toucher... Et, dès qu’il enfreint la loi, tel Orphée se retournant pour contempler Eurydice, il est banni et voué à une existence d’attente et à des tentatives pour réintégrer ce presque paradis perdu avec pour seule consolation la rédaction et la lecture de lettres. L’écriture et la lecture deviennent des substituts à la vie en prise directe. En effet, la nouvelle rédigée par Albert se termine là où le roman de Balzac commence. L’amoureux doit se rendre digne de la princesse lointaine, riche et aristocratique, en se créant une place importante dans la société ainsi qu’une fortune digne d’une telle femme. L’existence entière est consacrée à la réalisation d’un bonheur futur, chaque geste est calculé avec une lucidité qu’on est tenté de qualifier de diabolique. Albert s’établit à Besançon parce

18. Ibid., p. 507.

131 que cette ville constitue le lieu idéal pour réaliser ses buts. Il n’est pas un seul geste qui ne soit calculé afin d’avancer sa carrière politique et sa fortune. D’où la décision de fonder la Revue de l’Est, organe à vocation politique qui doit servir les intérêts des électeurs bourgeois qui voteront pour Albert. Le troisième numéro, on le sait, est celui où paraît L’Ambiteux par amour. La décision d’écrire et de publier cette nouvelle est capitale car elle change le destin des personnages et elle change ce destin parce qu’Albert se permet un geste d’autosatisfaction qui transforme radicalement son rôle : d’avocat prêtant sa voix à autrui et plaidant leur cause il passe auteur plaidant sa propre cause auprès de sa bien-aimée et ceci sur la place publique. L’histoire privée devient un secret de Polichinelle : en d’autres termes, la littérarisation du privé est à proprement parler un acte transgressif équivalent à celui où l’amoureux cherche à étreindre celle qu’il aime. Albert n’est pas auteur et les révélations « romanesques » sont trop près de la vérité pour tromper. Comme le veut le vieux dicton : celui qui plaide sa propre cause a un imbécile pour avocat. Au discours politique et à la plaidoirie juridique Albert a substitué le discours amoureux littéraire, confondant ainsi son rôle public et celui qu’il joue en privé.

Le monument qu’est la Revue de l’Est — c’est ainsi que le narrateur le qualifie — le devient littéralement dans le sens où il fige par l’écriture l’histoire d’Albert-Rodolphe. Or adopter une telle perspective, celle de la rétrospection, c’est reléguer au passé une histoire dont

Le monument qu’est la Revue de l’Est — c’est ainsi que le narrateur le qualifie — le devient littéralement dans le sens où il fige par l’écriture l’histoire d’Albert-Rodolphe. Or adopter une telle perspective, celle de la rétrospection, c’est reléguer au passé une histoire dont

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