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Les peines contraires à l’ordre public

CHAPITRE II L’EXTRADITION CONTRAIRE A L’ORDRE PUBLIC FRANÇAIS

Section 1 – La notion d’ordre public français en matière d’extradition

A. Les peines contraires à l’ordre public

Comme l’on a constaté, l’ordre public français s’oppose à ce qu’un individu soit extradé si la peine de mort risque d’être prononcée ou exécutée. L’arrêt de référence est l’arrêt d’Assemblée Joe Davis-Aylor de 1993 du Conseil d’Etat, qui énonce un considérant de principe qui sera repris par la suite dans de nombreux arrêts traitant des questions d’extradition et de peine de mort. Le considérant de principe est ainsi rédigé :

« Que l’application de la peine de mort à une personne ayant fait l’objet d’une extradition accordée par le gouvernement français serait contraire à l’ordre

public français ; que, par suite, si l’un des faits à raison desquels l’extradition

est demandée aux autorités françaises est puni de la peine capitale par la loi de la partie requérante, cette extradition ne peut être légalement accordée

pour ce fait qu’à la condition que la partie requérante donne des assurances suffisantes que la peine de mort encourue ne soit pas prononcée ou ne sera

pas exécutée »85.

Accorder l’extradition dans un tel contexte serait donc illégal selon le droit français. On observe une légère évolution dans la jurisprudence administrative relative à l’extradition et la peine de mort. Suivant les réserves émises par les chambres de l’instruction, également par le gouvernement dans les décrets d’extradition, le Conseil d’Etat est devenu plus exigeant concernant la peine de mort, en ajoutant que « l’extradition ne peut être légalement accordée qu’à la condition que cet Etat donne des assurances suffisantes que la peine de mort encourue ne sera ni requise, ni prononcée, ni exécutée »86.

Dans l’arrêt Nivette du 6 novembre 2000, examinant un décret d’extradition accordant l’extradition d’un individu au Gouvernement américain pour des faits de meurtre, le Conseil d’Etat estime que « l’extradition d’une personne qui encourt une peine incompressible de réclusion criminelle à perpétuité, n’est pas contraire à l’ordre public français ni à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales »87. C’est une position qui se révéla contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui considère qu’une peine incompressible

85 CE, Ass., 15 octobre 1993, Aylor, n°144590, Lebon, p. 283., souligné par nous.

86Voir par exemple : CE, Sect., 12 juillet 2001, n°227747, publié au recueil Lebon ; plus récemment : CE, 28

avril 2014, n°372483, souligné par nous.

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viole l’article 3 de la Convention. Dans sa décision Trabelsi c. Belgique de 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé qu’ « il est bien établi dans la jurisprudence de la Cour que ni l’article 3 de la Convention ni aucune autre disposition de la Convention ne prohibe en soi le prononcé d’une peine d’emprisonnement perpétuel à l’encontre d’un délinquant adulte (Kafkaris, précité, §97, et références citées) sous réserve qu’elle ne soit jamais nettement disproportionnée (Vinter et autres, précité, §§88 et 89) »88. En revanche, « ce qu’interdit l’article 3, c’est la peine perpétuelle soit de jure et de facto incompressible (…) pour déterminer si dans un cas donné une peine perpétuelle peut passer pour incompressible, la Cour recherche si l’on peut dire qu’un détenu condamné à perpétuité à des chances d’être libéré »89.

Le Conseil d’Etat a récemment suivi la position de la Cour de Strasbourg, dans un arrêt du 9 novembre 2015, à propos d’une extradition d’un individu vers la Turquie, celui-ci précise que l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme fait « obstacle à l’extradition d’une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle, sans possibilité de réexamen et, le cas échéant, d’élargissement »90, mais ne mentionne pas que l’ordre public français s’oppose aux peines incompressibles. Jusqu’en 2013, le Conseil d’Etat estimait « qu’en admettant même qu’une condamnation à la peine de réclusion criminelle à perpétuité ne donne que rarement et tardivement lieu à un aménagement de peine ou à une libération conditionnelle, l’extradition d’une personne exposée à une peine incompressible de réclusion perpétuelle n’est pas en soi contraire à l’ordre public français »91.

On perçoit alors l’influence que peut avoir la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le contenu de l’ordre public français.

L’ordre public ne s’intéresse pas seulement à la peine de mort. Comme le précise l’article 696-4 du code de procédure pénale, l’extradition n’est pas accordée si une peine ou une mesure de sûreté est contraire à l’ordre public français. Ainsi, des peines se traduisant par des châtiments corporels peuvent être contraires à l’ordre public. Pour exemple, le 28 juin 2008, le Gouvernements des Emirats Arabes Unis avait adressé aux autorités françaises une demande d’extradition d’un individu de nationalité serbe, à l’encontre de qui un mandat d’arrêt avait été délivré pour vol par usage de la force. La chambre de l’instruction de la cour

88 CEDH, Trabelsi c. Belgique, arrêt du 4 septembre 2014, n°140/10 §112. Faisant référence à : CEDH,

Kafkaris c. Chypre, arrêt du 12 décembre 2008, n°21906/04 ; CEDH, GC, Vinter et autres c. Royaume-Uni,

arrêt du 9 juillet 2013, n°66069/09, 130/10 et 3896/10.

89 Ibid., §113.

90 CE, 9 novembre 2015, Ozcan, n°387245, mentionné aux tables, Lebon, p. 674, 712, 978, 1002, 1016. 91 CE, 8 avril 2013, n°364165.

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d’appel de Lyon émit un avis favorable le 1er août 2008, mais la Cour de cassation annula

son arrêt en raison de la contrariété d’une peine avec l’ordre public français, « il y avait un risque qu’il subisse une peine d’amputation pour les faits ayant motivé [la demande d’extradition] »92, peine prévue par la loi religieuse, la Charia, en vigueur aux Emirats

Arabes Unis. La Cour de cassation rappelle alors qu’il ne suffit pas de se borner à vérifier que l’extradition n’est pas contraire à « l’ordre public procédural français »93.