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La peine de mort en tant que torture ou traitement cruel, inhumain ou

SECTION I : LA DIGNITÉ HUMAINE ET L’INTERDICTION DE LA PEINE

A- Les fondements de la thèse de l’abolition définitive de la peine de mort

3- La peine de mort en tant que torture ou traitement cruel, inhumain ou

3- La peine de mort en tant que torture ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

[129] « Infliger une punition capitale signifie infliger au criminel non seulement une mort

physique, mais le supplice d’une mort consciente. La mort biologique est l’élément imprévisible par excellence ; à l’inverse, une mort décidée, programmée, fixée dans le temps et attendue, lui soustrait son indétermination constitutive et altère forcément la perception du temps vécu, c’est- à-dire de l’être existant et constitué comme sujet humain »278. Ces mots de Daniela Lapenna

justifient pourquoi la peine de mort est une peine cruelle, inhumaine ou dégradante qui interrompt le cours de la vie d’une personne279. Ainsi, la prohibition de la torture et des

traitements cruels, inhumains ou dégradants est considérée comme « une norme impérative de droit international » qui n’admet aucune exception. Ainsi, l’article 7 du Pacte sur les droits civils, l’article 3 de la Convention européenne, l’article 5 de la Convention américaine et l’article 5 de la Charte africaine s’accordent pour interdire de soumettre une personne à la torture, à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’interprétation de ces dispositions permet d’étendre le champ d’application des concepts de « torture », de « traitements cruels, inhumains et dégradants » à la peine de mort. L’exécution de la peine de mort constitue, de ce

276 Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Rapport du rapporteur spécial, Doc. N.U. E/CN.4/1998/68, 23 décembre 1997, § 117.

277 Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, Doc. N.U. A/55/288, 11 août 2000, § 32.

278 Voir Daniela LAPENNA, Le pouvoir de vie et de mort. Souveraineté et peine capitale, op. cit., p. 11 et 12. 279 Voir Véronique GIMENO-CABRERA, Le traitement jurisprudentiel du principe de dignité de la personne

humaine dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel français et du tribunal constitutionnel espagnol, op. cit.,

point de vue, un traitement cruel, inhumain et dégradant, étant donné le carcatère éprouvant des conditions d’application de ladite peine280.

[130] Mais aucun des instruments ci-dessus cités ne définit les notions de « torture »,

« traitement cruel », « traitement inhumain » ou « traitement dégradant », laissant ainsi la place à la jurisprudence d’en définir. Ainsi, la Cour européenne définit le « traitement inhumain » comme celui qui provoque volontairement des souffrances mentales ou physiques d’une intensité particulière, et le « traitement dégradant » comme celui qui humilie l’individu grossièrement devant autrui ou le pousse à agir contre sa volonté ou sa conscience ou qui abaisse l’individu à ses propres yeux281. Quant à la notion de torture, la Cour la compare à des

traitements inhumains délibérés provoquant de fortes graves et cruelles souffrances282. Pour

statuer sur la question de la peine de mort dans l’affaire Ocalan, la Cour européenne est revenue sur les notions de traitement inhumain et dégradant. Selon elle, un traitement est « inhumain » au sens de l’article 3 de la Convention s’il a été appliqué avec préméditation pendant une longue durée, et s’il a causé soit des lésions corporelles, soit de vives souffrances physiques ou mentales. Et un traitement est « dégradant » si le but était d’humilier et de rabaisser l’intéressé et si, considérée dans ses effets, la mesure a ou non atteint la personnalité de celui-ci d’une manière incompatible avec l’article 3 de la Convention283. En définitive, pour déterminer s’il

faut considérer un traitement ou une peine donnés comme inhumains ou dégradants aux fins de l’article 3 de la Convention européenne, il faut qu’un tel traitement ou qu’une telle peine atteigne un minimum de gravité dont l’appréciation dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que du sexe, de l’âge, de l’état de santé de la victime284.

280 Voir Markus G. SCHMIDT, « Les méthodes d’application de la peine de mort », dans Cohen-Jonathan GÉRARD et William SCHABAS (dir.), La peine capitale et le droit international des droits de l’homme, op. cit., p. 77.

281 Cour EDH, Tyrer c. Royaume-Uni, Série A n° 26, § 29 et 32, 25 avril 1978. 282 Cour EDH, Irlande c. Royaume-Uni, Série A n° 25, § 167, 18 janvier 1978.

283 Cour EDH, Öcalan c. Turquie (GC), n° 46221/99, § 181, 12 mai 2005. Voir également Jean-François FLAUSS, « L’affaire Ocalan devant la Cour européenne des droits de l’homme », dans Cohen-Jonathan GÉRARD et William SCHABAS (dir.), La peine capitale et le droit international des droits de l’homme, op. cit., p. 123-141.

[131] La notion de « traitement cruel » ne figure pas à l’article 3 de la Convention européenne.

Mais le Pacte sur les droits civils, la Convention interaméricaine et la Charte africaine intègrent dans leur ordre juridique la notion suivant la formule de « peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (articles 7 du Pacte, 5 § 2 de la Convention interaméricaine, 5 de la Charte africaine). Les juridictions internationales appréhendent la notion de « traitement cruel » sous l’angle des standards des sociétés démocratiques. Quant à la notion de « peines », une partie de la doctrine les considère comme constituant un « traitement inhumain et dégradant » dans la mesure où ces peines sont dites « incompressibles »285.

Dans ce contexte, la dignité sert de paramètre interprétatif pour déterminer les contours du « traitement inhumain et dégradant ». Ainsi, un traitement est qualifié d’inhumain ou de dégradant « s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité humaine, voire la diminue, ou s’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique »286. Par exemple,

« l’enfermement d’une personne dans une cage en métal constitue en soi, compte tenu de son caractère objectivement dégradant, incompatibles avec les normes de comportement civilisé qui caractérisent une société démocratique, un affront à la dignité humaine contraire à l’article 3 » de la Convention européenne287.

[132] C’est finalement la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou

traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984 qui donnera une définition détaillée de ce qu’est la torture. Selon l’alinéa 1er de son article 1er, « [l]e terme « torture » désigne tout acte

par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une

285 Voir Laurence BURGORGUE-LARSEN, La Convention européenne des droits de l’homme, 2ème éd., Issy-les- Moulineaux, L.G.D.J., 2015, p. 61.

286 Cour EDH, Hurtado c. Suisse, n° 17549/90, § 67, 28 janvier 1994.

forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles »288. Pour qu’un acte soit qualifié de torture, il faut qu’il soit illégitime.

Si on considère la peine de mort comme une souffrance résultant d’une sanction légitime, on est tenté de dire, d’après l’article premier de la Convention que la peine de mort n’est pas un acte de torture. Un tel raisonnement disparait lorsqu’on se place sous l’angle de la Convention européenne qui n’admet pas la peine de mort dans toutes les circonstances.

Dans la Résolution 1253 (2001)289, adoptée le 25 juin 2001, l’Assemblée parlementaire du

Conseil de l’Europe le faisait déjà savoir que l’application de la peine de mort « constitue un acte de torture et une peine inhumaine et dégradante au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme » et une atteinte à la dignité humaine. C’est sans doute ce qui a justifié son exclusion définitive du système juridique européen.