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Pavabilité par des tuiles de Wang

2.2 Pavages [C4,U6]

2.2.1 Pavabilité par des tuiles de Wang

Un jeu de tuiles de Wang est la donnée d’un ensemble fini de carrés unité aux côtés colorés qu’on agence en les disposant sans rotation ni réflexion sur la grille discrète Z2 de sorte à ce que les couleurs de part et d’autre d’une arête soient identiques. Plus formellement, une relation domino R ⊆ T × T sur un alphabet fini T est une relation qui satisfait la propriété du domino :

∀a, b, c, d ∈ T4, aRc∧ aRd ∧ bRd → bRc .

L’ensemble de couleurs associées à R est l’ensemble des classes d’équivalence de la relation d’équivalence ∼R définie par : (a, c) ∼R (b, d) si aRc ∧ aRd ∧ bRd. La couleur droite d’un élément a ∈ T est la couleur [ai qui contient (a, b) où b ∈ T, sa couleur gauche est ha] qui contient (b, a) où b ∈ T. Par construction, aRb si et seulement si [ai = hb]. Un jeu de

tuiles de Wang est donc un triplet (T, H, V) où T est un ensemble fini de tuiles et H et

V sont des relations domino sur T . Deux tuiles t et t0 sont compatibles horizontalement si [tiH = ht0]H. Deux tuiles t et t0 sont compatibles verticalement si [tiV = ht0]V. Un

pavage T ∈ TZ2

satisfait les contraintes locales, i.e. pour toute position z ∈ Z2, T(z) et T(z + (1, 0)) sont compatibles horizontalement et T(z) et T(z + (0, 1)) sont compatibles verticalement. En munissant TZ2

de la topologie de Cantor, voir section 1.1.3, on observe que l’ensemble des pavages Xτ d’un jeu de tuiles τ est un sous-shift : c’est un compact invariant par translation. Un jeu de tuiles pave le plan s’il possède au moins un pavage. Un pavage T ∈ TZ2

est périodique, de période u ∈ Z2 si, pour tout z ∈ Z2, T(z + u) = T(z). Un pavage est bipériodique s’il possède deux vecteurs de périodicité non colinéaires. Par un petit raisonnement combinatoire, on se convainc que tout jeu de tuiles qui possède un pavage périodique possède un pavage bipériodique. Un pavage est t-fini pour t ∈ T s’il est constamment égal à t partout sauf sur un support fini. Par compacité, si un jeu de tuiles

τ ne pave pas le plan, il existe un entier n ∈ N tel qu’il est impossible de construire un carré de tuiles de τ de côté n qui satisfasse les contraintes locales. Un jeu de tuiles est

apériodique si tous ses pavages sont apériodiques.

Nous nous concentrons ici sur les problèmes de pavabilité. Le lecteur trouvera dans B. Grünbaum et G. C. Shephard [37] et C. Radin [79] une introduction générale aux pavages, par des tuiles de Wang mais aussi par des pièces géométriques plus générales. Pour une étude des propriétés structurelles des pavages, nous invitions le lecteur à consulter B. Durand [26] et A. Ballier et al [5].

Une fois introduites les définitions élémentaires, on peut définir les problèmes de pa-vabilité. La pavabilité du plan consiste, étant donné un jeu de tuiles, à décider si ce jeu de tuiles pave le plan. La pavabilité du plan à origine contrainte consiste, étant donné un jeu de tuiles τ et une tuile t ∈ τ, à décider s’il existe un pavage de τ qui contient la tuile t en position 0. La pavabilité périodique consiste, étant donné un jeu de tuiles, à décider si

2.2. PAVAGES [C4, U6] 41 ce jeu de tuiles possède un pavage périodique. La pavabilité finie consiste, étant donné un jeu de tuiles τ et une tuile t ∈ τ, à décider s’il existe un pavage t-fini de τ. La pavabilité

à diagonale contrainte consiste, étant donné un jeu de tuiles τ et un sous-ensemble des

tuiles D ⊆ τ, à décider s’il existe un pavage du quart de plan N2 dont les tuiles sur la diagonale x = y sont dans D. Toutes ces questions de pavabilité sont indécidables.

Certaines formes de pavabilité ont une démonstration d’indécidabilité assez directe. Ainsi, l’arrêt des machines de Turing se réduit, d’une part, à la pavabilité à origine contrainte, en forçant l’unique tête Turing dans l’état initial à être positionnée en 0, et d’autre part, à la pavabilité finie, en forçant par la bordure du pavage fini la tête dans l’état initial à apparaître en bas d’un rectangle de calcul. Le cas de la pavabilité à diagonale contrainte, dont l’indécidabilité permet à A. Kahr et al [44] de résoudre le problème initial étudié par H. Wang et J. R. Büchi, n’est pas beaucoup plus difficile. La réduction procède en forçant l’apparition dans le pavage de segments initiaux du calcul de la machine de Turing de longueurs non bornées. Voici une indication pour aider le lecteur à résoudre le problème de pavabilité de N2 à ligne contrainte (qui se réduit facilement à la pavabilité à diagonale contrainte) : considérer un jeu de quatre tuiles A, B, a, b où les contraintes locales imposent à droite de A et de a soit a soit B, à droite de B et de b soit

b soit A, au-dessus de A soit A soit B et au-dessus de B, a et b soit a soit b et où les tuiles autorisées sur la première ligne sont uniquement les tuiles A et B.

Les cas de la pavabilité du plan et de la pavabilité périodique, qui sont étroitement liés comme le montrent Y. Gurevich et I. Koriakov [39] en établissant leur inséparabilité récursive, sont plus complexes. Comme nous l’avons vu, l’ensemble des jeux de tuiles qui ne pavent pas le plan est récursivement énumérable : il suffit de trouver une taille de carré qui n’est pas pavable. De même, l’ensemble des jeux de tuiles qui pavent périodiquement le plan est récursivement énumérable : il suffit de trouver un carré pavable dont les couleurs à gauche et à droite (resp. en haut et en bas) coïncident. Il s’agit donc de trouver des méthodes pour construire des jeux de tuiles apériodiques et de coupler le problème de l’arrêt d’une machine de Turing avec ce jeu de tuiles de sorte que le nouveau jeu de tuiles pave le plan si et seulement si la machine de Turing ne s’arrête pas sur l’entrée vide. De fait, l’étude de la pavabilité et celle des jeux de tuiles apériodiques se confondent. Le problème posé par H. Wang fût rapidement résolu par un de ses étudiants en thèse, R. Berger en 1966 :

Théorème 26 (R. Berger [8,9]). La pavabilité du plan est indécidable.

R. Berger construit un énorme jeu de tuiles apériodique et démontre comment l’utili-ser pour réduire le problème de l’arrêt des machines de Turing. Un résultat moins connu est qu’il exhibe en annexe de sa thèse [8] un jeu apériodique de 104 tuiles. La démonstra-tion de R. Berger est longue et complexe et, en 1971, R. M. Robinson [84] propose une construction plus élégante d’un petit jeu de tuiles, une méthode de preuve d’apériodicité par composition, ainsi qu’une réduction du problème de l’arrêt plus simple reposant sur une technique d’ombrage détaillée plus loin. Si cet article reste la référence sur l’indécida-bilité de la paval’indécida-bilité du plan, la démonstration comporte des zones de flou où le travail combinatoire de vérification de la composition est laissé au lecteur. Le lecteur trouvera dans H. Wang [91] une discussion de ces résultats ainsi que des remarques structurelles sur la pavabilité par des tuiles de Wang.

À partir de ces résultats d’indécidabilité, l’étude des pavages a emprunté deux voies principales. D’une part, certains se sont intéressés à l’étude des pavages les plus complexes : ainsi W. P. Hanf [40] et D. Myers [71] établirent l’existence de jeux de tuiles qui pavent le plan mais dont tous les pavages sont non récursifs et B. Durand et al [28] construisirent, à l’aide de la complexité de Kolmogorov, des jeux de tuiles dont les pavages sont de complexité maximale. D’autre part, les intrigants jeux de tuiles apériodiques furent l’objet d’une compétition pour la détermination du plus petit jeu de tuiles apériodiques, dans l’espoir de mieux comprendre les mécanismes mettant à jour l’apériodicité. Pour un résumé de cette compétition et la description des jeux de tuiles associés, le lecteur consultera B. Grünbaum et G. C. Shephard [37, chap. 10 et 11] et l’actuel challenger, avec 13 tuiles, obtenu par K. Čulik [18].

L’utilisation de la pavabilité pour l’étude des propriétés des automates cellulaires, d’une part, nécessitant d’adapter les résultats de pavabilité et, d’autre part, plongeant des propriétés des pavages qu’il convient de comprendre dans la dynamique des automates cellulaires, nous avons besoin non seulement de la pavabilité comme d’un résultat boîte noire établi, mais aussi d’en comprendre les détails de la démonstration. Aussi, nous présentons ci-dessous trois méthodes de démonstration de l’indécidabilité de la pavabilité.

Méthode par composition

La première méthode, qui est la méthode historique, est la plus géométrique. Dans un premier temps, un jeu de tuiles apériodiques est construit par composition. Puis, dans un second temps, ce jeu de tuiles est modifié pour y ajouter le calcul Turing et rendre effective la réduction.

Cette méthode construit des jeux de tuiles apériodiques qui sont auto-similaires en faisant intervenir deux types d’objets. D’une part les tuiles avec leurs contraintes locales, d’autre part une substitution qui à une tuile associe un agencement de tuiles de sorte que l’ensemble des images des tuiles par cette substitution soit, en un certain sens, isomorphe au jeu de tuiles initial. La démonstration procède alors comme suit. Tout d’abord, on montre que toute tuile d’un pavage appartient à un agencement de tuiles et, récursive-ment, que tout agencement appartient à l’image d’un agencement par la substitution. Ainsi, toute tuile d’un pavage est dans l’image itérée de la substitution, qui est néces-sairement apériodique si la substitution possède les bonnes propriétés syntaxiques. Dans cette version faible, qui est la méthode employée implicitement par R. M. Robinson [84], ou explicitement par R. Ammann et al [2] sur des tuiles polygonales, l’apériodicité est conséquence du fait que les pavages contiennent un objet lié à la substitution. B. Durand

et al [27] ont proposé une construction simplifiée, avec une démonstration élégante,

re-posant sur ce principe pour des substitutions de tuiles de Wang par des carrés de tuiles 2 × 2.

Une fois le jeu de tuiles apériodiques obtenu par composition, la méthode d’ombrage, due à R. M. Robinson [84], consiste à utiliser le caractère auto-similaire de la substitution pour assurer la présence partout dans le pavage de zones de calcul de toute taille avec un coin identifié où initialiser le calcul. Chaque proto-tuile obtenue par substitution projette une ombre sur les tuiles de niveau inférieur. Si la substitution est bien choisie, l’ombrage définit des zones ensoleillées de toutes tailles présentes partout.

2.2. PAVAGES [C4, U6] 43 Nous avons proposé dans [C4] une nouvelle construction qui est une version forte de la méthode par composition, qui permet en outre de se passer de la méthode d’ombrage. Pour toute substitution s : Σ → Σ sur un alphabet fini Σ, soit S : ΣZ2

→ ΣZ2 l’application de la substitution à un coloriage du plan, définie pour tout coloriage C ∈ ΣZ2

, tout z ∈ Z2 et tout c ∈ Z2

2 par S(C)(2z + c) = s(C(z))(c). L’ensemble limite ΛS de la substitution est le sous-shift non vide ΛS =Tn∈NΛ(n)S où Λ(0)S = ΣZ2

et Λ(n+1)S =nσz(C) C∈ S(Λ(n)S ), z ∈ Z2o

. Après avoir donné une condition syntaxique simple sur s pour l’apériodicité de ΛS, nous construisons une substitution apériodique s et un jeu de 104 tuiles dont les contraintes locales forcent son ensemble de pavages, non vide, à être un sous-ensemble de ΛS. Puis, nous montrons comment modifier ce jeu de tuiles pour transformer toute substitution t en un jeu de tuiles τ dont un quotient de l’ensemble des pavages Xτ est égal à Λt, i.e.

π(Xτ) = Λt où π est un coloriage des tuiles de τ dans les lettres de t. Ainsi, l’ombrage peut être remplacé par une substitution dont l’ensemble limite contient partout des zones de calcul de toutes tailles avec un coin pointé.

Méthode par point fixe

Indépendamment de nos travaux, B. Durand et al [30] ont mis au point récemment une nouvelle méthode pour démontrer l’indécidabilité de la pavabilité. Cette méthode se dis-tingue des autres par le fait qu’elle n’est pas du tout géométrique et propose une ap-proche plus calculatoire. L’idée consiste à utiliser un analogue du théorème du point fixe de Kleene, voir P. G. Odifreddi [75]. À tout triplet, constitué de deux entiers n et k et d’une machine de Turing M, on associe un jeu de tuiles τ de sorte que tout pavage par ce jeu de tuiles se décompose en une grille régulière de carrés de côté n qui échangent avec leurs quatre voisins k bits d’information sur chaque bord et qui exécutent la machine M sur l’entrée constituée des 4k bits de sorte qu’un bloc n’apparaisse dans le pavage que si l’entrée est reconnue par la machine en temps inférieur à n. Le jeu de tuiles simule donc, en un certain sens, le jeu de tuiles codé par la machine M. Sous de bonnes hypothèses, le codage possède un point fixe : un jeu de tuiles dont tout pavage est constitué d’une grille régulière de blocs qui codent des tuiles de M. Ce jeu de tuiles, qui code une sub-stitution, est nécessairement apériodique. L’approche peut être affinée pour coder via les proto-tuiles la réduction du problème de l’arrêt des machines de Turing.

Méthode par transducteur et mots sturmiens

Une troisième méthode obtenue indépendamment par J. Kari [51] repose sur ses travaux initiaux pour la construction de petits jeux de tuiles apériodiques, dont le jeu de 13 tuiles de K. Čulik [18] est une optimisation. Le principe consiste à considérer une tuile de Wang comme un élément d’un transducteur qui force une relation entre le mot biinfini constitué par la ligne des couleurs nord et le mot biinfini constitué par la ligne des couleurs sud : les couleurs ouest et est désignent les états du transducteur. Le second ingrédient de la construction consiste à remarquer que par un codage sturmien, les mots biinfinis peuvent être utilisés pour coder des tuples de nombres rééls sur lesquels les tuiles peuvent effectuer certaines transformations affines. Ainsi, J. Kari réduit le problème de l’immortalité des systèmes de transformations affines à la pavabilité du plan. Or, l’immortalité des machines de Turing, qui est indécidable comme nous le verrons en section 2.3, se réduit à l’immor-talité des systèmes de transformations affines. La démonstration obtenue est alors courte

et élégante. Par rapport à l’approche par composition, elle perd une certaine flexibilité qui permet les adaptations nécessaires aux réductions sur automates cellulaires.

Problème ouvert 10. Adapter les techniques classiques de réduction aux automates

cellulaires à la méthode par transducteur et mots sturmiens.

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