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Partie II. Science et considérations techniques

8.1 Pathogènes microbiens

Le rôle le plus important de la turbidité en matière de santé est son utilisation comme indicateur de l’efficacité des procédés de traitement de l’eau potable, particulièrement la

filtration, pour ce qui est de l’enlèvement des pathogènes microbiens pouvant être présents dans l’eau. Plusieurs études ont évalué la relation entre la turbidité de l’eau potable, la présence de pathogènes dans cette eau et/ou les maladies gastrointestinales dans la population. Les données indiquent qu’il n’existe pas de relation mathématique universelle permettant de prévoir à partir des valeurs de turbidité un taux associé de maladies gastrointestinales dans la population. Les fortes augmentations de turbidité semblent toutefois pouvoir être utilisées pour établir le risque d’apparition de maladies. Quoiqu’il en soit, le secteur de l’eau potable considère que la turbidité est un paramètre très précieux pour l’évaluation des eaux destinées au traitement et le contrôle des systèmes d’approvisionnement en eau potable, ainsi que comme indicateur des

accroissements possibles des concentrations de bactéries, de kystes de Giardia et d’oocystes de Cryptosporidium (MWH, 2005).

De nombreuses éclosions de maladies gastrointestinales liées à l’eau potable ont coïncidé avec des cas de turbidité élevée (Kent et coll., 1988; MacKenzie et coll., 1994; Atherton et coll., 1995; British Columbia Centre for Disease Control, 1996; ASPC, 2001; O’Connor, 2002). À Milwaukee (Wisconsin), l’éclosion de cryptosporidiose survenue en 1993 avait été précédée d’un accroissement très marqué de la turbidité dans l’une des usines de traitement de l’eau potable de la ville (MacKenzie et coll., 1994). À Walkerton (Ontario), les fortes pluies, l’inondation et la turbidité élevée que n’arrivait plus à maîtriser l’usine de traitement ont été considérées comme des facteurs ayant contribué à l’éclosion de 2000 (O’Connor, 2002). À North Battleford

(Saskatchewan), une turbidité accrue de l’eau traitée due à une défaillance du décanteur à contact de boues a été notée à l’époque de l’éclosion de cryptosporidiose (ASPC, 2001). Logsdon et coll. (2004) ont relevé divers problèmes associés au traitement de l’eau potable qui constituent des facteurs pouvant accroître le risque d’éclosion de maladies hydriques, comme une dégradation de la qualité de l’eau filtrée (p. ex. forte turbidité) pouvant survenir durant la période de maturation des filtres ou à l’occasion d’une percée de filtre.

Des éclosions ont aussi été reliées à des approvisionnements municipaux dans des cas où aucune irrégularité n’avait été signalée dans le traitement et où les valeurs des paramètres de qualité de l’eau (dont la turbidité) étaient inférieures aux limites acceptées à l’époque (Hayes et coll., 1989; Maguire et coll., 1995; Goldstein et coll., 1996). Une éclosion de cryptosporidiose dans le comté de Clark (Nevada) (Goldstein et coll., 1996) a été associée à une usine d’eau potable à la fine pointe de la technologie qui produisait une eau d’une qualité dépassant les normes américaines en vigueur à l’époque. L’examen de l’usine de traitement de Carrollton effectué après une éclosion de cryptosporidiose (Hayes et coll., 1989; Logsdon et coll., 1990) a révélé qu’une filtration et des techniques de lavage à contre-courant non optimisées pourraient avoir causé un passage accru d’oocystes de Cryptosporidium.

Des études ont été réalisées pour examiner l’association possible entre les niveaux de turbidité des approvisionnements publics d’eau potable et le taux de maladies gastrointestinales endémiques (non liées à des éclosions) dans certaines collectivités. Schwartz et coll. (1997, 2000) ont comparé les fluctuations des niveaux de turbidité quotidiens moyens avec les visites à

l’hôpital (visites à l’urgence et hospitalisations) liées à des maladies gastrointestinales chez les patients gériatriques et pédiatriques à Philadelphie (Pennsylvanie). Les niveaux de turbidité de l’eau traitée étaient bien inférieurs aux limites réglementaires durant toute la période de l’étude, avec une valeur moyenne de moins de 0,20 UTN. Des associations entre la turbidité et les cas de maladie rapportés ont été observées pour certaines valeurs de turbidité 4 à 6 jours et 10 à 13 jours après l’exposition chez les enfants, et 9 à 11 jours après l’exposition chez les patients âgés. Les auteurs ont estimé que des accroissements de la turbidité de 0,04 UTN (soit d’environ 25 % de la plage totale de turbidité) étaient corrélés à un accroissement de 9 % des admissions à l’hôpital pour les patients âgés et à un accroissement allant jusqu’à 31 % pour les admissions pédiatriques.

Une étude similaire a été réalisée par Aramini et coll. (2000) à Vancouver (Colombie-Britannique). Les auteurs ont observé une corrélation entre la turbidité de l’eau brute de

l’approvisionnement en eau du district régional du Grand Vancouver (prédésinfection, absence de filtration) et l’élévation des taux de maladie 3 à 6 jours, 6 à 9 jours, 12 à 16 jours et 21 à 29 jours après l’exposition. Ils ont avancé que les turbidités supérieures à 1,0 UTN (valeur de l’ancienne recommandation canadienne, utilisée à l’époque) pouvaient expliquer jusqu’à 2 % des visites médicales liées à des maladies gastrointestinales et jusqu’à 1,3 % des hospitalisations liées à ce même type de maladies.

Egorov et coll. (2003) ont examiné s’il existait un lien entre les variations quotidiennes de la turbidité de l’eau potable et les maladies gastrointestinales dans une cohorte de Tcherepovets

(Russie). L’eau potable respectait les normes microbiologiques existantes durant toute la durée de l’étude. Cependant, les auteurs ont rapporté que les responsables locaux de la santé publique, considérant que l’eau n’était pas sûre, ont recommandé à la population de faire bouillir leur eau potable. La turbidité mesurée durant l’étude dépassait 1 UTN plus de 80 % du temps. Les auteurs ont établi que les personnes qui ont dit boire de l’eau du robinet non bouillie avaient un risque élevé statistiquement significatif de présenter une maladie gastrointestinale 1, 2 et 7 jours après l’exposition. Aucune association statistiquement significative entre turbidité et maladie

gastrointestinale n’a été observée chez les participants qui ont dit boire seulement de l’eau bouillie.

Un ensemble d’études a aussi examiné rétrospectivement la possibilité qu’une relation entre maladie gastrointestinale et turbidité ait existé à l’époque de l’éclosion de Milwaukee. Morris et coll. (1996) ont rapporté que durant l’éclosion, des cas de gastroentérite étaient

étroitement associés à la turbidité de l’eau potable 7 et 8 jours après l’exposition chez les enfants et les adultes, respectivement. Dans une analyse subséquente, Morris et coll. (1998) ont

déterminé que dans les 434 jours qui ont précédé l’éclosion, les épisodes de maladies

gastrointestinales chez les enfants et chez les adultes vivant dans la zone desservie par l’une des usines de traitement de l’eau potable (l’usine nord, où la turbidité moyenne de l’eau traitée a été plus élevée durant cette période) étaient fortement associés à la turbidité 8 et 9 jours après l’exposition, respectivement. Enfin, Naumova et coll. (2003) ont rapporté une forte association entre les hospitalisations liées à des maladies gastrointestinales et la turbidité de l’eau potable chez les personnes âgées 5 à 6 jours après l’exposition. Dans chacune de ces études (Morris et coll., 1996, 1998; Naumova et coll., 2003), les auteurs ont conclu que les temps écoulés entre l’exposition à l’eau turbide et les consultations médicales correspondaient à la période

d’incubation de Cryptosporidium.

D’autres études n’ont pu établir de lien entre la turbidité et la présence de maladies gastrointestinales endémiques. Une étude équivalant à celle de Vancouver a été effectuée à Edmonton (Alberta) (Lim et coll., 2002). Les chercheurs n’ont pas trouvé de relation significative entre la turbidité de l’eau traitée et les taux rapportés de gastroentérite chez les habitants de la ville. Plus récemment, Tinker et coll. (2010) n’ont pu trouver d’association entre la turbidité de l’eau filtrée et les taux de maladies gastrointestinales en comparant au moyen de séries

chronologiques la turbidité de l’eau potable et les visites à l’urgence liées à des maladies gastrointestinales à Atlanta (Géorgie). Les auteurs ont noté une faible association entre la turbidité de l’eau brute et les taux de maladies gastrointestinales.

Les liens entre la turbidité et les taux de maladies gastrointestinales dans la population ont aussi été étudiés au moyen d’autres mécanismes de surveillance épidémiologique. Gilbert et coll. (2006) ont rapporté une association entre la turbidité de l’eau traitée et les appels liés à des maladies gastrointestinales passés à un service téléphonique d’information médicale. Par ailleurs, Beaudeau et coll. (1999) ont trouvé une corrélation positive entre les accroissements de la

turbidité de l’eau brute et les accroissements des ventes de médicaments antidiarrhéiques en vente libre à Le Havre (France).

Mann et coll. (2007) ont passé systématiquement en revue la littérature scientifique traitant de la turbidité de l’eau potable en rapport avec les maladies gastrointestinales

endémiques. Les auteurs ont conclu qu’à ce jour, les études ont donné des résultats variés : des relations entre la turbidité de l’eau potable et les maladies gastrointestinales au sein des

populations ont été observées dans certaines études, tandis que d’autres études n’ont pu établir de telles relations. Selon les auteurs, des différences méthodologiques entre les études pourraient expliquer certains résultats contradictoires. Il n’existe pas actuellement de méthode standard pour

l’analyse des associations entre les niveaux de turbidité et les problèmes de santé, ce qui rend difficile la comparaison des résultats des études.