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La passion, la responsabilité et le coup d’œil comme qualités essentielles de

Dans le document l’exercice du pouvoir politique (Page 60-65)

PARTIE III: WEBER ET LES POUVOIRS POLITIQUES CONTEMPORAINS

I- La passion, la responsabilité et le coup d’œil comme qualités essentielles de

1- La passion et la responsabilité

La passion est une inclination, un penchant profond, elle est un état affectif intense et irraisonné qui domine un individu.C’est un sentiment qui occupe excessivement l’esprit d’un homme. Dans ce cas, on dira que la passion est un danger. D’ailleurs dans la philosophie antique, les stoïciens conseillaient de lutter contre la passion qui est un sentiment de trouble de l’âme. Aussi dans sa définition générale, elle fait référence à la notion de souffrance, d’excès de violence. Mais dans la sphère de la politique telle que défini par Weber, la passion trouve un sens plus particulier d’autant plus qu’elle se trouve très importante en tant que qualité de l’homme politique. Pour Weber le dirigeant doit avoir un « dévouement passionné à une cause, au dieu ou au démon qui en est le maître. » (Weber, 2002, p.195). L’homme politique est celui là même qui

met sa "main dans la roue de l’histoire". Autrement dit, il influence le déroulement de l’histoire en tant qu’ensemble des évènements qui adviennent dans la vie de l’homme et des peuples. C’est à ce titre qu’il doit faire face à des libertés humaines qui ne se manient pas comme des choses. Le dévouement en tant que qualité, doit mobiliser l’être tout entier du dirigeant.

Ici, la passion ne doit pas être donc perçue comme un danger qui nuirait la vie mentale ou physique du chef, mais elle doit être comprise comme cette force ou cet amour que l’homme politique a pour le métier qu’il exerce. C’est dans cette perspective d’éviter que la passion se transforme en souffrance que notre illustre penseur préconise qu’à la passion, il faut ajouter la qualité de la responsabilité. Le responsable est celui qui répond de ses propres actions ou de celles des autres, il se présente comme le garant du peuple. Dans ces conditions, toutes les actions qu’il va poser doit être pensées dans l’intérêt du peuple, pour son bien être. La responsabilité donne donc sens et contenu à la passion. C’est pourquoi Weber estime que :

La passion seule, si sincère soit-elle, ne suffit pas. Lorsqu’elle est au service d’une cause sans que nous fassions de la responsabilité correspondante l’étoile polaire qui oriente d’une façon déterminante notre activité, elle ne fait pas d’un homme un chef politique. (Weber, 2002, p.196).

La conception des qualités du politique trouve ici une distinction remarquable avec celle de Nicolas Machiavel, homme politique italien. Si Weber place la passion et la responsabilité au cœur des qualités qui constituent le caractère de l’homme politique moderne, ce n’est pas le cas avec Machiavel.

Ce dernier préconise comme qualités essentielles du politique : "la ruse et la force".

La ruse est un procédé ingénieux utilisé pour avoir le dessus sur un ennemi, pour abuser d’une victime. Elle est aussi définit comme étant le talent qu’a une

personne à tromper autrui. Pour Machiavel, l’honnêteté et la justice ne suffit pas pour prendre le dessus sur son adversaire. Il le dit clairement en ces termes :

Il serait louable chez un prince de tenir sa parole et de vivre avec droiture et non avec ruse, chacun le comprend : toutefois, on voit par expérience, de nos jours que tels princes ont fait de grandes choses qui de leur parole ont tenu peu compte, et qui ont su par ruse manœuvrer la cervelle des gens ;et à la fin ils ont dominé ceux qui se sont fondés sur la loyauté.(Machiavel, 1972, p.165).

On comprend avec Machiavel que l’homme honnête et responsable ne peut prospérer en politique car l’homme est de nature méchant. Celui qui veut donc faire de la politique sa profession doit donc s’attendre à la méchanceté humaine et par conséquent être capable d’user de la ruse pour éviter les pièges et les obstacles que l’adversaire politique peut constituer.

Un souverain prudent, par conséquent, ne peut ni ne doit observer sa foi quand une telle observance tournerait contre lui, et que sont éteintes les raisons qui le firent promettre.

Et si les hommes étaient tous bons, ce précepte ne serait pas bon ; mais comme ils sont méchant et ne te l’observeraient pas à toi, non plus tu n’as pas à l’observer avec eux.

(Machiavel, 1972, p.166)

Cette nature humaine dont Machiavel nous étale ici ne trouve pas l’approbation de Rousseau. Celui-ci opte pour une nature humaine bonne (l’amour de soi). L’homme arrive en société par un "contrat social". Et c’est en vertu de cet accord de tous que s’établit le pouvoir ou l’autorité du chef. Le pouvoir politique doit donc avoir pour but essentiel la préservation de la liberté humaine. Tel est d’ailleurs le sens que lui donne Rousseau. L’État, en tant qu’il résulte d’une forme d’association doit « défendre et protéger de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé »(Rousseau, 2010, p.53). Il n’y a donc pas lieu, pour le dirigeant de chercher à tromper son peuple car si l’objectif du politique consiste à duper son peuple, on ne peut alors parler de responsabilité.

Cette caractéristique du politique que donne Weber vient donner un sens nouveau dans le monde de la politique car depuis Machiavel au moyen-âge, l’homme politique est considéré comme un être rusé qui ne cherche qu’à satisfaire son intérêt par quels que moyens que ce soit. Mais avec notre auteur, on comprend que c’est par la passion et non par intérêt personne que l’homme doit aller à la quête du pouvoir bien que le sentiment de domination, de privilège, d’intérêt font partir de la sphère politique.

Le sentiment de responsabilité qui sous-tend la passion donne une autre dimension au politique. Weber nous amène à comprendre que l’homme politique doit assumer les conséquences de ces actions. C’est à ce prix qu’il peut être à même d’agir de façon rationnelle et mesurée. En plus de la passion et de la responsabilité, il nous enseigne également une autre qualité qui est nécessaire pour l’exercice du pouvoir d’État. Il s’agit du coup d’œil.

2- Le coup d’œil

En lieu et place de la force physique du lion que préconise Machiavel comme l’une des qualités essentielles de l’homme politique, Weber estime que dans la nouvelle gestion du pouvoir d’État, le politique trouve sa force dans le retranchement et dans le détachement.C’est en cela que le coup d’œil devient une qualité essentielle dans la gestion du pouvoir. Le coup d’œil, comme le signifie Weber lui-même, est une qualité psychologique déterminant qui consiste à « laisser les faits agir sur soi dans le recueillement et dans le calme intérieur de l’âme et par conséquent savoir maintenir à distance les hommes et les choses. »(Weber, 2002, p.196). Il avertit dans ce sens que « L’absence de détachement comme telle est un des péchés mortels de l’homme politique » (Ibidem).

Ici, le coup d’œil est synonyme de calme et d’analyse des évènements qui adviennent dans la gestion du pouvoir. Il ne s’agit pas d’user de la force physique pour réprimander les manifestations, user de la ruse pour contourner et modifier le cours des évènements mais plutôt observer le déroulement de l’histoire, se détacher de l’opinion publique pour mieux analyser les faits. Le coup d œil se combine donc avec le sens des opportunités. Il s’agit pour ainsi dire de savoir analyser les situations de façon concrète au sein d’un groupe, de ne pas se perdre dans les détails, de garder une hiérarchie des situations urgentes, de savoir choisir les moments favorables et repérer les possibilités de règlement de situations. La qualité du coup d’œil permet de trouver une stratégie adéquate et efficace.

Dans cette logique de détachement, la pensée wébérienne trouve une convergence avec celle de Platon qui estime lui aussi que le détachement est l’une des qualités principales et nécessaires que le dirigeant de la citée doit avoir pour pouvoir se placer au dessus de la doxa, pour éviter la corruption du pouvoir et la vanité des choses. En effet, Platon estime que les hommes sont pour la plupart du temps attachés aux choses sensibles et sont par conséquent incapable d’éviter la corruption des choses sensibles et vaines. En invitant le roi à s’adonner à la philosophie, il invite du même coup l’homme politique à se détacher de la sensibilité pour mieux saisir les choses dans leur essence. Le coup d’œil que Weber fait allusion ici s’inscrit dans cette logique.

La problématique qui se pose à ce niveau c’est la question de la cohabitation dans la même personne ces qualités apparemment opposées. Si la qualité de la passion qui exprime un sentiment ardent et de vigueur semble faire bon ménage avec la responsabilité, le coup d’œil en tant que sentiment de méditation et de froideur semble plutôt s’y opposer. Pour Weber, on fait « la politique avec la tête et non avec les autre partis du corps et de l’âme » (Weber, 2002, p.196).Autrement dit, il faut savoir maitriser sa fougue afin de prendre des

décisions qui conviennent en toute responsabilité en prenant le temps de mieux les analyser. La passion est la source de motivation qui anime le politique, la responsabilité et le coup d’œil lui permettent d’être lucide dans ses prises de décisions et de mieux juger les faits. Raymond Aron estime que :

Influencé par les autres systèmes, le sous-système politique a ses lois propres de fonctionnement et de développement, et, à son tour, il influence tous les autres puisque c’est par lui que sont prises les décisions visant à atteindre les objectifs de la collectivité tout entière. (Aron, 1972, p.285).

Si la décision prise par le politique influence toute la communauté, il va s’en dire que celle-ci doit être faite avec beaucoup de précaution. C’est là qu’intervient l’éthique de la conviction ou l’éthique de la responsabilité dans le domaine de la politique.

II- La conviction ou la responsabilité : deux éthiques différentes qui

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