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A partir de la Constitution, c’est la jurisprudence qui est venue expliciter les règles de partage entre

Dans le document LES ETABLISSEMENTS PUBLICS (Page 31-34)

1. L A REPARTITION DES COMPETENCES EN MATIERE DE CREATION D ’ ETABLISSEMENTS PUBLICS MERITERAIT

1.1. A partir de la Constitution, c’est la jurisprudence qui est venue expliciter les règles de partage entre

Le législateur a longtemps bénéficié d’une large compétence en matière de création de personnes morales de droit public. Dans la lignée des ordonnances royales, qui, sous l’Ancien Régime, soumettaient la création de gens de mainmorte à une autorisation afin d’éviter la multiplication de ces personnes morales échappant pour partie à l’impôt, la création de nouveaux établissements publics a toujours été soumise à une procédure visant à s’assurer que le recours à la formule reste, sinon limité, du moins contrôlé. Aussi le législateur avait-il, par l’article 205 de la loi de finances du 25 juillet 1925 (loi Queuille), soumis à son approbation préalable la création de tout établissement public national. La loi du 17 août 1948 a ultérieurement assoupli ce dispositif en permettant la modification du statut des établissements publics de l’Etat par décret en Conseil d’Etat (CE, 16 décembre 1960, Sieur L’Herbier, R. p. 707). Le juge de l’excès de pouvoir contrôlait le respect de cette procédure, ce qui pouvait le conduire à censurer les actes réglementaires portant création d’établissements publics nationaux ou d’autres entités dotées de la personnalité morale sans autorisation législative (CE, 14 mai 1948, Sargos, R. p. 208 ; CE, 18 mai 1960, Diop, R. p. 325 ; CE, 30 juin 1961, Rémy, R. p. 454)31.

La répartition retenue par la Constitution de 1958 marque un assouplissement au regard du droit antérieur. En n’exigeant plus du législateur que la fixation des « règles concernant la création de catégories d’établissements publics », l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 a restreint l’étendue du domaine législatif en matière de création d’établissements publics32. Comme dans bien d’autres domaines, l’élargissement des prérogatives du pouvoir réglementaire répondait à un souci de souplesse et d’efficacité.

Pour autant, la portée que le constituant a entendu donner à la notion de catégorie d’établissement public au sens de l’article 34 ne ressort pas clairement des débats qui ont précédé l’adoption de la Constitution. L’article 31 du projet initial n’en faisait pas mention puisqu’il disposait33 : « La loi est votée par le Parlement./ Sont réglées par la loi les questions

31 Références empruntées à O. Dugrip, « La notion de règles concernant la création des catégories d’établissements publics dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’Etat », in Mélanges en l’honneur de Roland Drago, Paris : Dalloz, 1996, pp. 369 sq.

32 Même si, à la différence de la loi de 1925, l’article 34 s’applique aussi aux établissements publics locaux.

33 Toutes les informations qui suivent sont tirées de l’ouvrage édité par le comité national chargé de la publication des travaux préparatoires des institutions de la Ve République : Documents pour servir à l’histoire de l’élaboration

relatives :/ (…) – à la répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités locales ainsi qu’à la création d’offices, d’établissements publics, de sociétés ou d’entreprises nationales (…) ». Devant le comité consultatif constitutionnel, cette rédaction n’a été l’objet que d’un amendement de pure forme ayant pour effet d’isoler la question des établissements publics et assimilés dans un alinéa spécifique. Transmis tel quel à la commission constitutionnelle spécialement créée au sein du Conseil d’Etat, le texte de cet alinéa n’est pas sorti profondément modifié de cette consultation – « Sont fixées par la loi les règles concernant :/ (…) – La création d’offices et d’établissements publics nationaux, ainsi que la nationalisation ou la dénationalisation d’entreprises ou d’activités (…) ». C’est un texte peu différent qui fut finalement soumis à l’assemblée générale du Conseil d’Etat, la loi étant, dans cette version, appelée à fixer les règles concernant « les modalités de création d’établissements publics nationaux (…) ». C’est lors du débat à l’assemblée générale que la notion de catégorie d’établissements publics a émergé, (cf. encadré ci-dessous).

Débats de l’assemblée générale du Conseil d’Etat lors de l’élaboration de l’article 34 de la Constitution34

André Heilbronner : « On dit : les modalités de création. Le Gouvernement veut se réserver le droit de créer des offices sans l’autorisation du Parlement, dans un simple cadre, avec une simple procédure établie préalablement. Je rappelle, encore une fois, que la création d’une personne publique administrative est, en principe, du domaine de la loi ».

Aubert Lefas : « Je crois que la règle s’applique aussi aux établissements publics locaux ».

André Deschamps (rapporteur général) : « Nous les avons sciemment écartés (…). Il faudrait s’entendre ; il s’agit de catégories d’établissements, comme la création d’un hôpital-hospice. Une catégorie créée pour donner la personnalité morale à une nouvelle catégorie d’établissements publics, même s’il s’agissait d’établissements publics locaux, ceci est également, par nature, du domaine de la loi ».

Gilbert Devaux (commissaire du gouvernement): « En ce qui concerne le texte tel qu’il est prévu, je craindrais que : « création des établissements publics nationaux » ne revienne à conformer certaines pratiques qui obligent à aller devant le Parlement chaque fois qu’on veut créer un lit. C’est une situation absurde. Quand il s’agit d’un établissement public national, il est absurde d’être obligé d’avoir recours à la loi pour créer un lit (…). C’est dans ce but que le gouvernement avait dit : les modalités de création. La création d’une catégorie spéciale nouvelle, la façon de s’intégrer dans cette catégorie nouvelle, c’est cela que veut dire : modalités de création ».

René Cassin (président) : « "Modalités de création d’établissements", ce n’est pas correct ».

Aubert Lefas : « Sur le plan catégories, je suis entièrement d’accord. Mais, en revanche, je maintiens que la création de catégories d’établissements publics qui ne sont pas nationaux (…) est du domaine de la loi par nature ».

René Cassin : « Quand on crée un établissement nouveau avec des modalités légèrement différentes, c’est une nouvelle catégorie ».

René Cassin, en réponse à une nouvelle observation sur les établissements locaux : « Il ne s’agit pas toujours de consolider le droit existant, mais quelquefois de faire une réforme. C’est délibérément que le Gouvernement a mis la création de nouvelles catégories (sic) d’établissements nationaux ».

Marcel Martin (rapporteur) : « Je propose de dire : la création de catégories de personnes morales. D’abord, parce que c’est le droit actuel. Ensuite, parce qu’il y a intérêt à éviter le foisonnement par voie réglementaire de nouvelles catégories de personnes morales, ce qui introduirait une confusion ».

Alors qu’à l’issue d’un vote, la formule « modalités de création d’établissements publics nationaux » avait paru l’emporter sur celles de « création de catégories de personnes morales » et de « catégories d’établissements publics nationaux », c’est cette dernière option qui figure dans la minute d’Assemblée générale. Pour des motifs qui ne sont pas entièrement explicites, le mot « nationaux » a ensuite disparu de la version présentée en réunion interministérielle postérieurement à l’avis du Conseil d’État.

de la Constitution du 4 octobre 1958, Paris : La Documentation française, 1991 (voir plus spécialement le vol. III : Du Conseil d’État au référendum).

34 Id., pp. 460-462.

Devant les incertitudes liées à la formule finalement adoptée, c’est à la jurisprudence qu’il est revenu de fixer la ligne de partage entre domaines législatif et réglementaire. Selon une formule inchangée depuis 1979 (CC, n° 79-108 L, 25 juillet 1979, Agence nationale pour l’emploi, R. p. 45), relèvent d’une même catégorie au sens de l’article 34 les établissements

« dont l’activité s’exercice territorialement sous une même tutelle administrative » et dont la spécialité est « analogue ». Deux critères de ressemblance se cumulent donc : celui du contrôle exercé sur l’établissement, et celui de la nature de l’activité. Encore faut-il souligner qu’avec cette décision, le Conseil constitutionnel a assoupli sa jurisprudence et laissé une place plus grande au pouvoir réglementaire qu’il ne le permettait antérieurement, lorsqu’il exigeait l’exercice d’une spécialité, non pas « analogue », mais « étroitement comparable » et faisait du caractère administratif ou industriel et commercial de l’activité un troisième critère de ressemblance à la catégorie existante35 (CC, n° 61-15 L, 18 juillet 1961, Institut des hautes études d'outre-mer, R. p. 39).

Parallèlement à cette évolution jurisprudentielle, le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour instituer de nouvelles catégories d’établissements. Ont ainsi été créés :

- les « établissements publics à caractère scientifique et technologique », (EPST), par la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 (art. L 321-1 et suivants du code de la recherche) ;

- les « établissements à caractère scientifique, culturel et professionnel » (EPSCP) par les lois n° 84-52 du 26 janvier 1984 et n° 2007-119 du 10 août 2007 (art. L 711- 1 et suivants du code de l’éducation);

- les établissements publics fonciers et d’aménagement, par la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 (art. L. 321-1 et suivants du code de l’urbanisme) ;

- les « exploitants publics », qualification donnée par la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 à La Poste et France Télécom, que le Conseil d’Etat avait interprétée comme désignant des établissements publics ;

- les établissements publics « économiques », qualification donnée par la loi n° 94-679 du 8 août 1994 aux chambres d’agriculture, chambres de commerce et d’industrie et chambres des métiers ;

- les établissements publics de coopération culturelle (EPCC), créés par la loi n° 2002-6 du 4 janvier 2002 (art. L. 1431-1 du code général des collectivités territoriales).

L’appartenance d’un établissement public à l’une de ces « familles » d’établissements n’a aucune incidence sur le régime juridique applicable : la qualification d’établissements

« économiques » des chambres consulaires n’ôte par exemple pas à ces dernières leur caractère d’établissements administratifs (TC, 18 décembre 1995, Chambre de commerce et d’industrie de Paris, R. p. 827).

A la lecture de ce simple état des lieux, l’on constate que le droit des établissements publics n’a rien d’un « jardin à la française ». A l’absence de clarté de la règle constitutionnelle, répondent le caractère nécessairement empirique et parfois évolutif des constructions jurisprudentielles visant à l’interpréter ainsi que les initiatives législatives qui, sans être illégitimes lorsqu’elles sont considérées isolément, n’en font pas moins peser sur l’ensemble le poids d’un manque de coordination et de cohérence. Si on peut le déplorer d’un point de vue purement juridique, il faut souligner que ces incertitudes ont surtout d’indéniables inconvénients pratiques : à chaque création ou modification des règles d’un établissement public, elles conduisent à de fréquentes interrogations quant au véhicule normatif adéquat, quant à la marge de manœuvre dont on dispose au regard d’une catégorie déjà existante, et quant à l’appréciation de ces questions par le juge.

35 L’abandon de ce critère a d’ailleurs été critiqué par la doctrine : voir notamment R. Chapus, qui estime que ce choix « heurte le sens commun » et n’a été justifié que par des « motifs obscurs » (DAG t. 1, 14ème éd. n° 530, 3°).

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