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Partie F : Discussion sur la nature physico-chimique des nanoparticules colloïdales préparées

Les données analytiques que nous avons pu réunir dans ce Chapitre (issues en particulier de dosages chimiques, analyses granulométriques et microscopiques, études spectroscopiques et de diffraction, mesures de potentiels Zêta) nous permettent ici de proposer une description des nanoparticules colloïdales préparées dans nos conditions expérimentales.

L’ensemble des résultats que nous avons obtenus suggère en effet que l’on peut décrire ces nanoparticules comme composées :

- d’un « cœur » formé de nanocristaux d’apatite non-stœchiométrique (solution solide d’hydroxyphosphate de calcium et d’europium),

- à la surface duquel sont exposées des molécules d’AEP- où le groupement

phosphaté de chaque molécule d’AEP- interagit directement avec un ou plusieurs ions Ca2+ en surface des nanocristaux apatitiques. Cette « couronne » d’AEP expose alors vers l’extérieur les groupements ammonium –NH3+ des molécules

d’AEP, permettant ainsi d’atteindre une stabilisation colloïdale par le biais de répulsions électrostatiques entre particules adjacentes.

Toutes nos tentatives menées en vue d’obtenir des suspensions colloïdales en introduisant l’AEP après l’étape de précipitation de l’apatite ont échoué, et la présence d’un agent stabilisant/dispersant tel que l’AEP s’est avérée indispensable pour l’établissement d’une formulation colloïdale stable (avec ou sans dopage à l’europium). Ceci peut vraisemblablement s’expliquer par la nécessité de contrôler l’état d’agglomération du système dès que les premiers nanocristaux d’apatite se forment et non pas a posteriori.

Le phénomène d’agglomération (agrégation de plusieurs nanocristaux adjacents pour former des nanoparticules, plus grosses) semble en effet intervenir rapidement pendant la précipitation et mener à la création quasiment « irréversible » de ponts (interactions électrostatiques) entre nanocristaux adjacents, ne pouvant que difficilement être rompus même après traitement de sonification. Au contraire, la présence d’AEP- dans le mélange

réactionnel de manière simultanée avec les ions calcium et phosphates permet d’établir une compétitivité (pour les ions calcium présents dans le milieu) entre d’une part les ions

phosphates et d’autre part les ions moléculaires AEP-. En d’autres termes, la formation des

nanocristaux d’apatite est alors affectée par la présence des molécules d’AEP qui présentent également une certaine affinité pour les ions Ca2+. Ces molécules peuvent en effet occuper (de façon plus ou moins stable) certains sites de croissance cristalline en surface des nanocristaux en formation (effet inhibiteur de croissance cristalline suggéré par nos observations) et limiter les rapprochements entre cristaux adjacents par répulsion électrostatique.

Nous avons par ailleurs montré (qualitativement et quantitativement) que la modification de la quantité d’AEP dans le milieu de synthèse permettait de moduler la taille moyenne des nanoparticules en suspension (tout au moins au-delà d’une teneur limite en deçà de laquelle une sédimentation apparaît). Lorsque la teneur en AEP dans le milieu décroît, le nombre de molécules d’AEP effectivement fixées sur l’ensemble des cristaux d’apatite diminue, ce qui a donc pour conséquence un moindre effet désagglomérant (moins de répulsions électrostatiques), et donc des particules plus grosses car constituées d’un nombre plus important de nanocristaux accolés.

Pour des rapports molaires R = AEP/(Ca+Eu) dans le milieu de synthèse situés entre 0,6 et 1, les longueurs moyennes de cristallites évaluées par application de la formule de Scherrer (données DRX) sont proches des tailles moyennes déterminées par diffusion de la lumière, soit environ 30 nm. Ceci suggère que les nanoparticules dans ces colloïdes sont constituées de nanocristaux individuels ou tout au moins de l’association d’un nombre très limité de nanocristaux empilés. Au contraire, pour les rapports R inférieurs à ~ 0,6 le nombre de nanocristaux composant chaque nanoparticule augmente progressivement jusqu’à la sédimentation du système par perte du caractère colloïdal (l’effet de la force gravitationnelle l’emportant alors sur le mouvement Brownien des particules).

Remarquons par ailleurs que les tentatives de synthèse menées en fixant le pH initial à 8 voire 7 (au lieu de 9,5) ont mené à des suspensions gélifiées. Une hypothèse pour expliquer ce phénomène semble pouvoir être proposée en rappelant qu’une diminution de pH (ou de température ou de temps de maturation) permet de façon générale d’obtenir des phases apatitiques plus éloignées de la stœchiométrie et présentant une couche hydratée en surface des nanocristaux plus développée [Drouet et al. (2009)]. Or une telle apatite, plus immature, est susceptible de présenter une énergie de surface plus grande (donc une plus grande instabilité thermodynamique) qu’une apatite plus mature (bien que la présence de la couche hydratée permette déjà de diminuer cette énergie). Dans ces conditions, l’agglomération ou du moins les interactions fortes entre nanocristaux adjacents représente potentiellement un

moyen de réduire l’énergie du système en faisant par exemple disparaître certaines surfaces. Notre hypothèse est que lorsque le pH diminue de 9,5 à 7, le processus d’agglomération entre nanocristaux adjacents s’intensifie au détriment de l’interaction AEP-apatite. Autrement dit, les nanocristaux très immatures formés à pH 7 s’agglomèreraient dès leur formation avant d’avoir eu l’opportunité d’interagir avec l’AEP pour former un hybride stable. Cette hypothèse, qui semble appuyée par nos données expérimentales, devra néanmoins être validée par exemple à l’aide de mesures grandeurs thermodynamiques telles que les énergies de surface (par exemple par mesures d’angles de contact sur suspensions lyophilisées et compactées). Signalons également qu’une modification de la structuration des molécules d’eau autour des particules pourrait par ailleurs également être impliquée dans le phénomène de gélification observé.

Ces considérations ont donc guidé notre démarche expérimentale en préparant les colloïdes à un pH alcalin propice à l’obtention de suspensions stables ; le passage à un pH physiologique étant envisagé dans un second temps (cet ajustement de pH à la valeur physiologique sera détaillé au Chapitre 3).

Enfin, rappelons que nous avons observé que l’adsorption d’acide folique en surface des nanoparticules était possible, et ce sans déstabiliser la suspension (les molécules AEP demeurant, du moins dans leur majorité, adsorbées en surface). Ceci peut s’expliquer par un greffage de type électrostatique (comme pour l’AEP) sur des ions Ca2+ disponibles en surface, menant à des complexes de surface de type folate de calcium.

Considérant l’ensemble des éléments discutés ci-dessus, la Figure 81 donne une illustration schématique de ce modèle.

CHAPITRE 3 :

CONSIDERATIONS PRATIQUES VERS UNE