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Si la parole publique est caractérisée par sa diversité et son abondance, il semble en être tout autrement pour la parole que nous avons qualifiée de « privée ». Celle-ci sera présentée sous forme typologique, trois grandes « formes » pouvant être mises à jour.

2.1) Des papiers personnels :

Certaines personnalités de l’extrême droite et parfois même des militants ont déposé des documents relevant du « privé » dans des fonds d’archives. Ceux-ci recèlent des lettres, des notes voire même des objets leur ayant appartenus. Ils nous permettent d’entrer dans l’intimité de ces protagonistes. Ces pièces se trouvent donc pour la plupart dans des centres d’archives, qu’ils soient départementaux, régionaux ou nationaux. Le principal problème est lié à leur accessibilité tant la période étudiée est proche de nous. La plupart requièrent une autorisation de consultation préalable.

Le nombre de fonds potentiellement consultables semble assez important et concerne avant tout les grands caciques de l’extrême droite de l’immédiat après-guerre. Toutefois, la marginalité de cette famille politique et le culte du secret évoqué plus haut limitent le nombre de fonds déposés. Ils sont aux vues des autres courants politiques,

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beaucoup moins importants. Fait significatif, le fonds dédié à la FEN a été déposé aux archives du Centre d’Histoire de Sciences Politiques à Paris de manière anonyme. Cette personne ne voulait certainement pas apposer son nom à ce passé, assurément très chargé. Cette remarque s’applique d’autant plus pour des archives privées.

On trouve aux Archives Nationales, entre autres, les fonds Alfred Fabre-Luce, Henry Du Moulin de Labarthète tandis que celui relatif à Xavier Vallat est conservé à Lyon. Bien entendu, aucun nom n’est « récent » dans cette liste. Tous les fonds ne nécessitent pas des demandes préalables. C’est le cas de celui consacré au collaborateur Fernand de Brinon fusillé en 194751. Toutefois, malgré sa date de mort précoce, les documents conservés ont une bien plus importante amplitude chronologique.

Certains cas exceptionnels sont à signaler. Les plus significatifs concernent deux

des plus « grandes » figures du fascisme français, l’auteur du best-seller

collaborationniste des Décombres Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau. Tous deux ont collaboré à Je suis partout et se retrouvèrent dans les colonnes du Rivarol. Entre les deux dates, une peine de mort commuée en peine de prison. En 1950, ils se trouvent tous deux enfermés à Clairvaux où ils ont on l’occasion de se parler. Ces écrits publiés sous le titre de Dialogue de vaincus en 1999 ressemblent donc plus à des sources d’archives privées qu’à des livres dont la vocation première est extérieure. Ce sont là deux caciques qui ont pesé dans le milieu collaborationniste français et dont les plumes conservent après-guerre une influence certaine dans les milieux d’extrême droite. Ces dialogues de prison ont été retranscrits par leurs soins. Nous n’avons pas de raison de croire que des travestissements aient été effectués, les passages racistes et antisémites n’ayant pas été rayés, bien qu’il faille garder des précautions. En tout cas, la plupart des sujets tournent souvent autour de la référence « fasciste ». Le premier dialogue s’intitule d’ailleurs « Le drapeau noir et la croix gammée ». Il n’est pas le seul. « Devant l’Allemagne éternelle » traite des rapports avec le germanisme tandis que « Au secours de Clio » malmène la muse. Comme le remarque Robert Belot en préface, nous sommes loin de la parole publique utilisée devant le procès pour éviter l’échafaud. La liberté de parole imprègne ces dialogues, où se mêlent oralité, légèreté et même

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vulgarité52. Ce ton n’est d’ailleurs pas très éloigné de certains périodiques néofascistes, notamment l’Immonde dans les années 1970’.

2.2) Des écrits internes :

Notre définition de la parole « privée » prend également en compte les bulletins intérieurs et notes destinées aux seuls militants ou cercles des dirigeants. Par eux, nous entrons dans les arcanes des groupes, dans leur vie interne.

Travailler sur de telles sources est essentiel pour notre étude. En effet, si nous disposons de paroles publiques, normées et calibrées à destination de l’extérieur, celles de l’intérieur sont bien différentes.

Cette recherche a d’ores et déjà été fructueuse. Le fonds d’archive de la FEN est très riche. Aux côtés des périodiques dirigés vers l’extérieur comme les Cahiers

universitaires, un petit texte comme Pour une critique positive est écrit « par un militant

pour un militant ». Son auteur est l’historien Dominique Venner. Si aujourd’hui il est plus largement diffusé, il n’était à l’origine lu que dans les seuls milieux militants nationalistes. On trouve également des bulletins comme Méthodes et organisation destinés aux correspondants universitaires, secrétaires et responsables de sections et groupes locaux. Celui de 1960 revient sur les « injures ou considérées comme telles » : fascistes, nazis, ultras, etc. Pour le nationaliste, les entendre doit être « une cause de satisfaction ». Cela signifie que la FEN est gênante ! La réponse préconisée va de l’éclat de rire à la botte53.

Un recueil concernant Ordre Nouveau a été déposé à la Bibliothèque Nationale de France. Outre les tracts, trois épais cours de formations destinés aux militants sont présents. L’un d’entre eux concerne le nationalisme et évoque dans ce cadre le fascisme54. Ce ne sont là que quelques exemples parmi d’autres. On entre bien là dans les coulisses de la mémoire collective, sa construction, son polissement qui précède la présentation à un extérieur très souvent hostile.

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Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau, Dialogue de « vaincus », prison de Clairvaux, janvier- décembre 1950, Paris, Berg International Editeurs, 1999.

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Fonds Fédération des Étudiants Nationalistes, 1er carton, 1er dossier, Centre d’Histoire de Sciences Po Paris.

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