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2. LES PARTICULARITÉS DE LA LECTURE D’ŒUVRES LITTÉRAIRES

2.2 Lire des œuvres littéraires en contexte scolaire

2.2.2 Le parcours proposé aux élèves

Dans un premier temps, rappelons que comme l’enquête de Dezutter (2005) l’a révélé, la lecture d’œuvres littéraires complètes est presque toujours accompagnée de tâches, lesquelles sont très souvent évaluées (76,7 % ont déclaré les évaluer

souvent ou toujours, alors que seulement 6,5 % ont déclaré ne jamais les évaluer). Cette situation vient certainement influencer le travail que les élèves font en lien avec ces lectures, de même que l’image qu’ils en ont. Également, les tâches les plus souvent utilisées, selon ce qu’ont déclaré les enseignant(e)s participant à l’enquête de Dezutter, demeurent assez conventionnelles. Il en va de même pour les conduites d’enseignement et d’apprentissage recensées par Van Grunderbeeck, Théorêt, Cartier, Chouinard et Garon (2004).

Dans un sens pédagogique plus large, comment les élèves qui sont passés à travers l’enseignement au secondaire se présentent-ils aux niveaux d’enseignement supérieurs? En présentant une recherche qu’elle a menée sur le rapport à la lecture littéraire chez des étudiantes et étudiants à la deuxième année de la formation initiale à l’enseignement du français au secondaire (niveau du baccalauréat), Émery-Bruneau (2011) expose la situation :

« ces étudiants ont en effet reçu une formation hétérogène en lecture de texte littéraire au secondaire et au postsecondaire, formation qui a davantage été menée par la subjectivité de leurs enseignants (choix des contenus, des corpus, des approches, des pratiques, etc.), car, dans le contexte québécois, aucun corpus national ni aucune approche de l’enseignement du texte littéraire aux écoles primaire et secondaire ne sont prescrits » (p. 159).

Dans une recherche qu’ils ont menée au niveau collégial au Québec (CÉGEP), Babin et Dezutter (2014) ont identifié les pratiques dans les trois cours de Français, langue d’enseignement et littérature. Il en ressort, du côté des enseignant(e)s, que les pratiques sont là aussi assez conventionnelles. D’abord, concernant les temps d’enseignement autour de la lecture des œuvres, les parties avant et pendant la lecture sont encore assez peu exploitées, alors que le principal travail se fait après la lecture de l’œuvre. Et ce travail demeure surtout centré sur le texte, quoique pas exclusivement, une attention portée sur le lecteur faisant aussi son apparition (principalement par des discussions), mais conjointement à l’attention portée sur le texte, que l’attention sur le lecteur ne remplace pas. Les tâches

demeurent dans le domaine de ce que les élèves connaissent, à savoir les questionnaires de lecture, les exposés explicatifs, les rédactions de critique ou les dissertations. Par contre, il faut mentionner que cette orientation vers l’écrit est également conditionnée par l’épreuve d’écriture que les étudiantes et étudiants devront passer à la fin de leur parcours au collégial.

Donc, les pratiques demeurent conventionnelles, tout en variant d’un milieu à un autre. Si la latitude laissée aux enseignants fait en sorte que les acquis des élèves varient d’un milieu à un autre, elle peut aussi conduire à un enseignement lacunaire. Tauveron fait un constat en ce sens. Même si son constat est basé sur le contexte scolaire français, il demeure pour nous pertinent, car le contexte québécois semble confronté aux mêmes problèmes :

« Dans ce contexte général, si la littérature fait l’objet d’une entreprise de séduction évidente, elle ne fait cependant pas l’objet d’un apprentissage spécifique. On lit la littérature, mais on la lit comme on lirait un documentaire ou, pire parfois, comme on lirait une liste de commissions. On vérifie sa “compréhension” par le même type de questionnaire dont on use pour tous les autres écrits, un questionnaire centré d’abord sur la littéralité du texte. On ne met en place, la concernant, aucune posture de lecture particulière. L’attention se porte quasi exclusivement sur “ce que ça raconte” (la fable ou l’intrigue) dans une lecture référentielle qui laisse peu de place à la dimension symbolique et esthétique » (p. 14).

Comme pour donner encore plus de poids à l’influence du contexte scolaire et à l’influence des tâches qui y accompagnent la lecture d’œuvres littéraires, Michel Le Bouffant (1998) a travaillé à mieux comprendre le travail de l’élève dans l’exécution des tâches autour de la lecture. Il en ressort qu’ils « répondent » à la commande scolaire en adaptant leurs stratégies de lecture. Le Bouffant a en effet identifié « quatre stratégies principales de lecture en fonction des consignes qui orientent l’activité des lecteurs », sans se limiter à la classe de français ni aux œuvres littéraires complètes (Ibid., p. 113). D’abord, la lecture littérale. Celle-ci correspond à « une lecture sans orientation particulière autre que la prise de connaissance de l’énoncé. Elle correspond, en fait, à une lecture hors de toute véritable situation de

communication, hors de tout projet pour l’élève » (Ibid., p. 113). Le Bouffant fait aussi remarquer que cette lecture intervient en milieu scolaire et que par conséquent, elle correspond aussi à une forme de non-lecture. La deuxième stratégie, la lecture intégrale, vise une compréhension globale du texte. Cette lecture intervient par exemple quand on demande à l’élève de résumer le texte ou de répondre à un questionnaire. La troisième stratégie, la lecture d’exploration, que l’auteur nomme aussi « lecture d’écrémage », s’utilise surtout dans la lecture documentaire, mais pas exclusivement. Dans cette lecture, l’élève cherche une information, il ne lit pas nécessairement le texte en entier. Le lecteur porte son attention surtout sur l’architecture globale du texte. Finalement, la lecture de repérage. Cette lecture se pratique aussi surtout dans la lecture documentaire. Dans ce cas, « la lecture est orientée, sélective : on ne lit, de manière linéaire, que les passages qui paraissent répondre à notre objectif de recherche » (Ibid., p. 114). Ces informations nous paraissent pertinentes à notre recherche pour mieux comprendre comment les consignes influenceront les stratégies utilisées par les élèves, et finalement, comment la tâche influencera les modalités de lecture.

Cependant, force est de constater que les enseignantes et enseignants sont également confrontés à des difficultés chez leurs élèves, que Tauveron classe en deux catégories : les difficultés cognitives et les difficultés culturelles. Les premières concernent par exemple la difficulté pour les élèves de réaliser, pour un personnage, « la synthèse des informations discontinues le concernant tout au long du texte », ou la difficulté à « distinguer le but et la quête secondaire d’un personnage de son but et de sa quête principale » (p. 24). Du côté des difficultés d’ordre culturel, on retrouve les lacunes des élèves à reconnaître les stéréotypes, les symboles. Ils ne retirent pas la compréhension attendue de certains textes, de certaines allusions dans des textes, qui pourraient nuire à leur compréhension. Toutes ces difficultés peuvent conduire les enseignantes et enseignants à choisir des textes plus accessibles, dont la lecture est plus « simple ».