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II. LES MÉCANISMES INFECTIEUX DU HTLV-1 : DES STRATÉGIES

II.3.2. Paraparésie spastique tropicale/myélopathie associée à HTLV-

a) Tableau clinique

La paraparésie spastique tropicale ou myélopathie associée à HTLV-1 (TSP/HAM,

Tropical Spastic Paraparesis/HTLV-1-Associated Myelopathy) est une maladie inflammatoire

chronique, qui touche essentiellement les adultes, et en particulier les femmes, avec une apparition des premiers signes cliniques vers 40-50 ans (Gessain and Gout, 1992; Goncalves et al., 2010). Quelques cas chez des enfants ont été répertoriés mais ce sont des événements assez rares (Kendall et al., 2009).

δe lien entre l’infection par HTδV-1 et des cas de paraparésies spastiques tropicales (TSP) a été établi en 19κ5 par l’équipe de Guy de Thé, grâce à des études sérologiques et épidémiologiques réalisées chez des malades aux Antilles françaises (Gessain et al., 1985). Dans la même période, l’infection par HTLV-1 a également été associée à des myélopathies chroniques, dites HAM, chez des sujets au Japon (Osame et al., 1986). Une étude montra, peu de temps après, que ces deux pathologies étaient en fait une seule et unique maladie, qui fut qualifiée de TSP/HAM (Román and Osame, 1988).

δ’incidence de la TSP/HAε est un peu plus faible que celle de l’ATδδ puisque 0.25 à 3% des personnes infectées par HTLV-1 sont concernées, mais elle varie suivant les régions géographiques, témoignant de l’existence soit de facteurs génétiques favorables

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FIGURE 28 : Les infiltrations inflammatoires provoquent des atrophies de la moelle épinière et des lésions dans le cerveau, chez les malades atteints de TSP/HAM. Imageries par résonnance magnétique, chez des patients avec une TSP/HAM. Ces sujets présentent (A.) une atrophie de la moelle épinière (indiquée par la flèche blanche), (B.) ainsi que des lésions dans la substance blanche du cerveau (indiquées par la flèche blanche), causées par des infiltrations de cellules immunitaires, correspondant principalement des lymphocytes T. D’après (Goncalves et al., 2010).

A.

. B

119 au développement de la maladie chez les sujets contaminés, soit de cofacteurs socio-culturels ou environnementaux (Gessain and Mahieux, 2012; Orland et al., 2003).

La transmission sanguine du virus HTLV-1, notamment via des transfusions de sang, semble favoriser l’apparition de la TSP/HAε (Gessain and Mahieux, 2012). Par ailleurs, une contamination par transfusion associée à un jeune âge lors de l’apparition des signes cliniques sont autant d’événements augurant d’une progression très rapide de la maladie et d’un handicap plus sévère par la suite (Gotuzzo et al., 2004). Comme dans le cas de l’ATδδ, la période entre la primo-infection et l’apparition des premiers signes cliniques peut être longue, correspondant à plusieurs dizaines d’années, mais parfois, le délai d’incubation de la maladie est court, variant de quelques mois à deux ans. C’est notamment le cas lors de contamination par transfusions sanguines (Gout et al., 1990; Kaplan et al., 1991).

Du point de vue pathologique, la TSP/HAM est une méningomyélite chronique qui est combinée à une démyélinisation et une dégénération axonale (Cooper et al., 2009). Elle se caractérise par des infiltrations de cellules immunitaires, surtout au niveau de la substance blanche de la moelle épinière, mais qui peuvent également avoir lieu au niveau de la substance grise (Gessain and Mahieux, 2012; Izumo, 2010). Ces infiltrations correspondent principalement à des lymphocytes T CD4+ au début de la maladie puis, par la suite, majoritairement à des lymphocytes T CD8+, provoquant une atrophie de la moelle épinière ainsi que des lésions de sa substance blanche (Umehara et al., 1993) (FIGURE 28A). Toute la moelle épinière peut être touchée mais, dans la plupart des cas, seule sa partie basse est atteinte. Récemment, il a été décrit que d’autres organes peuvent être affectés par des infiltrations inflammatoires, dont le cerveau et sa substance blanche (Mendes et al., 2014) (FIGURE 28B).

Au niveau clinique, pour la majorité des patients, le début de la maladie est insidieux, correspondant à des lombalgies, qui peuvent également affecter les membres inférieurs, avec des sensations de raideur et de faiblesse. Par ailleurs, à ce stade, de nombreux malades développent des troubles urinaires et sexuels (De Castro-Costa et al., 2006).

Par la suite, avec la progression de la maladie, apparait une paraparésie ou une paraplégie spastique chez les sujets, entraînant d’importantes difficultés de déplacement (Nagai and Osame, 2003). En outre, la faiblesse musculaire au niveau de leurs membres inférieurs ainsi que les troubles sphinctériens sont accentués.

δ’évolution de la TSP/HAM est variable toutefois, après 10 ans, près de 50% des patients sont grabataires (Araújo et al., 1995; Olindo et al., 2006).

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FIGURE 29 : Modèle de l’origine des lésions inflammatoires au niveau du système nerveux central des patients atteints de TSP/HAM.

Représentation schématique des trois hypothèses proposées pour expliquer les lésions observées au niveau du système nerveux central des patients atteints de TSP/HAM, suite à des infiltrations massives de cellules immunitaires et notamment de lymphocytes T (LT). (1) Un modèle cytotoxique dans lequel les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques, dirigés contre des antigènes viraux, détruisent massivement les cellules du système nerveux

central infectées par le virus. (2) Un modèle « bystander », dans lequel ce sont les cytokines proinflammatoires, produites par les lymphocytes T présents dans le système nerveux central, qui sont responsables de l’altération des cellules nerveuses. (3) Un modèle auto-immun dans lequel les protéines des cellules nerveuses sont directement ciblées par le système immunitaire, en raison d’un mimétisme moléculaire. D’après (Olière et al., 2011).

121 Le diagnostic de cette maladie inflammatoire est établi essentiellement avec la démonstration de l’infection par HTδV-1, détectée au niveau biologique, par un titre sérique des anticorps dirigés contre le virus et une charge provirale élevés chez le malade (De Castro- Costa et al., 2006; Olindo et al., 2005). La présence d’une pléiocytose modérée, à prédominance lymphocytaire au niveau du liquide céphalorachidien, avec parfois des cellules leucémiques, qui peuvent aussi être retrouvées dans le sang, participent également à l’identification de la pathologie TSP/HAε. Enfin, des tests neurophysiologiques et l’imagerie par résonnance magnétique sont utilisés pour préciser le diagnostic et suivre la progression de la maladie (Andrade, 2005; Felipe et al., 2008; Kira et al., 1991).

Contrairement à l’ATδδ, quelques cas de neuromyélopathies semblables à la TSP/HAM ont été détectés chez des patients infectés par le virus HTLV-2, confirmant que ce virus a un pouvoir pathogène moins important que le HTLV-1 (Dooneief et al., 1996; Hjelle et al., 1992; Murphy et al., 1997).

b) Pathogenèse

Malgré de nombreuses études, les mécanismes à l’origine du développement de la maladie TSP/HAM chez les personnes infectées par HTLV-1 restent mal connus. Trois principales hypothèses sont avancées pour expliquer les lésions causées par les infiltrats inflammatoires massifs, qui sont observées au niveau du système nerveux central des patients (Matsuura et al., 2010; Saito, 2010) (FIGURE 29).

La première correspond à un modèle cytotoxique, dans lequel les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques (LTc), dirigés spécifiquement contre des antigènes viraux (notamment Tax et HBZ), entrent massivement dans la moelle épinière et le cerveau pour détruire les cellules du système nerveux central infectées par le virus. Ce sont particulièrement les cellules gliales infectées par HTLV-1 qui sont lysées par les LTc (Lehky et al., 1995) (FIGURE 29).

Le deuxième modèle proposé est basé sur un mécanisme « bystander », dans lequel ce sont les cytokines proinflammatoires qui sont responsables de la destruction des cellules du système nerveux central. En effet, les lymphocytes T dirigés contre les antigènes viraux, dont les LTc, ainsi que ceux infectés par HTLV-1, qui sont présents dans les infiltrats, sécrètent de nombreuses cytokines, dont le TNFα et l’IFσ , qui ont des effets délétères et pourraient être responsables de la destruction des cellules nerveuses (Kuroda and Matsui, 1993; Nakamura et al., 1993) (FIGURE 29).

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FIGURE 30 : Mécanismes viraux de déstabilisation de la barrière hématoencéphalique. Représentation des mécanismes mis en place par le virus HTLV-1 pour franchir la barrière hématoencéphalique et entrer dans le système nerveux central. (1) Les lymphocytes infectés sécrètent des cytokines proinflammatoires, dont du TNFα, qui activent la voie NF- B dans les cellules endothéliales de la barrière hématoencéphalique, altérant les protéines composant les jonctions serrées entre ces cellules. La perméabilité de la barrière est alors augmentée, favorisant le passage des particules HTLV-1 et des lymphocytes T infectés. (2) Les cellules endothéliales peuvent également être infectées par le virus HTLV-1, provoquant une désorganisation des jonctions serrées, certainement via la protéine Tax, augmentant ainsi la perméabilité de la barrière hématoencéphalique. D’après (Miller et al., 2012).

123 Enfin, un modèle reposant sur des mécanismes auto-immuns est également proposé pour expliquer les lésions dans la moelle épinière et le cerveau des sujets TSP/HAM. Dans ce modèle, les protéines des cellules nerveuses sont directement ciblées par le système immunitaire, en étant reconnues par des anticorps et des clones de lymphocytes T autoréactifs, dirigés au départ contre la protéine Tax du virus HTLV-1. Ce mécanisme s’explique par un mimétisme moléculaire entre l’épitope dominant de Tax (situé entre ses résidus 346 à 353) et les protéines neuronales hnRNPA1 (heterogeneous nuclear Ribonucleoprotein A1) (Levin et al., 2002) (FIGURE 29).

Quel que soit le modèle, le virus HTLV-1 ainsi que les cellules infectées doivent traverser la barrière hématoencéphalique, composée principalement de cellules endothéliales, pour pénétrer dans le système nerveux central et entraîner ensuite l’infiltration d’autres cellules immunitaires. Ce passage a été confirméxpar la détection de protéines Tax dans le liquide céphalorachidien, ainsi que celle de lymphocytes T infectés, avec le même site d’intégration proviral que des lymphocytes T situés dans le sang du patient (Cartier and Ramirez, 2005; Cavrois et al., 2000).

Une étude in vitro a ainsi montré que les cellules T infectées sécrètent du TNFα, qui altère la couche de cellules endothéliales de la barrière hématoencéphalique, favorisant le passage des virions HTLV-1 à travers ces cellules, par transcytose ou infection transitoire (Romero et al., 2000) (FIGURE 30).

D’autres données ont confirmé la sécrétion de TσFα et d’Iδ-1α par les lymphocytes T infectés, qui activent la voie NF- B dans les cellules endothéliales, provoquant la désorganisation des jonctions serrées entre les cellules, augmentant par conséquent la perméabilité de la barrière hématoencéphalique (Afonso et al., 2007a) (FIGURE 30). Par ailleurs, l’infection productive des cellules endothéliales a été prouvée, entraînant l’altération de l’expression des protéines constituant leurs jonctions serrées (Afonso et al., 2008). La protéine Tax pourrait, en outre, être impliquée dans la désorganisation de ces jonctions.

Grâce à ces différentes stratégies, le virus HTLV-1 et les lymphocytes T infectés peuvent donc déstabiliser la barrière hématoencéphalique et augmenter sa perméabilité, pour finalement favoriser leur entrée dans le système nerveux central (Miller et al., 2012).

A partir des différentes recherches menées sur la TSP/HAM, un modèle de développement de cette maladie inflammatoire a pu être établi, comprenant, comme pour le modèle de l’ATδδ, plusieurs grandes étapes successives (Gessain, 2011) (FIGURE 31).

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FIGURE 31 : Modèle de développement de la TSP/HAM associée à HTLV-1. Ce modèle, basé sur l’ensemble des données disponibles actuellement, comporte trois étapes majeures : la primo- infection par transfusion sanguine essentiellement ou par transmission sexuelle, suivie de la prolifération clonale des lymphocytes infectés, dont les lymphocytes T CD4+, induite par la protéine Tax, et enfin la migration de ces

cellules T CD4+ infectées vers le système nerveux central, dans lequel elles vont ensuite entrer, entraînant des

lésions inflammatoires. La réponse immune anti-HTLV-1 induit l’arrivée d’autres cellules immunitaires, notamment des lymphocytes T CD8+ cytotoxiques au niveau des infiltrats dans le système nerveux central,

augmentant l’inflammation et les lésions. Au bout d’une période plus ou moins longue, suivant le mode de contamination des patients, la TSP/HAM se développe, provoquant d’importants handicaps chez les malades. D’après (Gessain, 2011).

125 Tout commence avec la primo-infection des individus par HTLV-1, qui se déroule, dans ce cas, essentiellement par transfusion sanguine, voir par transmission sexuelle.

Après une courte phase de multiplication et de production virale, HTLV-1 se réplique ensuite par expansion clonale des lymphocytes T CD4+ infectés principalement, induite par la protéine virale Tax (FIGURE 31).

Contrairement aux sujets asymptomatiques, les lymphocytes T CD8+ cytotoxiques ne peuvent contrôler efficacement l’expansion de ces clones, conduisant donc à une augmentation de la charge provirale, ainsi qu’à une importante fréquence de cellules T CD4+ activés (FIGURE

31). Des études ont démontré que la présence d’une charge provirale élevée chez les personnes infectées par HTLV-1 constituait un facteur de risque important pour le développement d’une TSP/HAM et pour sa progression (Nagai et al., 1998; Olindo et al., 2005). Par ailleurs, le niveau d’expression de la protéine Tax dans les lymphocytes T CD4+ infectés, qui induit leur

expansion clonale et augmente donc la charge provirale, représente également un facteur de risque important dans l’apparition de la maladie (Bangham et al., 2009).

Enfin, les cellules T CD4+ infectés migrent vers le système nerveux central puis franchissent la barrière hématoencéphalique en la déstabilisant (FIGURE 31). Ces infiltrats sont renforcés par l’arrivée d’autres cellules immunitaires, dirigées contre les antigènes viraux, dans le cadre de la réponse immune anti-HTLV-1. Finalement, après une période de latence plus ou moins longue suivant le mode de contamination, le patient développe une TSP/HAM.

c) Traitements

Les lésions induites au cours de la TSP/HAM étant irréversibles, il est important de mettre au point des traitements permettant de limiter leur développement. Le traitement symptomatique est fondamental et constitue la base des thérapies élaborées, avec une prise en charge sur le long terme des patients.

Cependant, les molécules testées à l’heure actuelle restent décevantes car elles n’apportent que des améliorations modestes des symptômes et ce, uniquement, pour les sujets en phase précoce de la maladie (Gessain and Mahieux, 2012). En effet, la corticothérapie ainsi que l’emploi d’IFσα et d’IFσ 1a, modulant la réponse immune, montrent des effets limités (Izumo et al., 1996; Nakagawa et al., 1996; Oh et al., 2005). Une combinaison de deux analogues nucléosidiques (zidovudine et lamivudine), inhibant la transcription inverse virale, a également été testée mais n’a pas donné d’améliorations cliniques visibles (Taylor et al., 2006).

127 D’autres traitements (plasmaphérèse, immunoglobuline, anticorps anti-IL-2 humanisés, vitamine C à forte dose) ont, en outre, été essayés, mais sans réels effets cliniques chez les malades, bien que dans certains cas la charge provirale ait été diminuée (Gessain, 2011).

Des études cliniques ont également été réalisées sur le valproate (VPA), un inhibiteur d’histone déacétylase, permettant d’accroître l’expression du génome proviral dans les cellules infectées par HTLV-1.

Une première expérience, menée à la εartinique sur une cohorte de 16 patients souffrants d’un stade avancé de TSP/HAε, n’apporta aucune amélioration clinique, malgré une bonne efficacité du VPA, certainement en raison de la présence de lésions irrémédiables déjà causées au cours de l’évolution de la maladie (Lezin et al., 2007). Les résultats dexcette étude ont permis d’imaginer une nouvelle stratégie, dans laquelle un traitement antirétroviral, comme la zidovudine (AZT), inhibant la transcriptase inverse, est administréexconjointement au VPA, pour éviter l’infection de nouvelles cellules, suite à l’induction de l’expression virale.

Une deuxième étude clinique, basée sur cette stratégie, a donc été menée récemment, en utilisant un modèle de primates non humains (Papio papio), naturellement infectés par le STLV-1, l’équivalent simien du HTδV-1, responsable d’ATδδ chez le singe (Afonso et al., 2010). Dans le groupe d’animaux traités par l’association VPA/AZT, une diminution de la charge provirale, sans augmentation transitoire, a été constatée. Par ailleurs, cette combinaison induit une réponsexcellulaire T CD8+ efficace contre le STLV-1, tout en empêchant l’infection de nouvelles cellules. Toutefois, dès l’arrêt du traitement, la charge provirale des animaux réaugmente, montrant les limites de cette thérapie, qui ne permet pas d’éradiquer le virus, certainement localisé dans des réservoirs non identifiés pour l’instant.

D’importantes recherches restent donc encore à effectuer, afin de mettre au point une stratégie thérapeutique adaptée pour limiter les effets importants et handicapants de la TSP/HAM.

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