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4 Un paradoxe au regard des évolutions de nos sociétés occidentales

La cybernétique s'est retrouvée discréditée puis oubliée pour des raisons de contexte comme de contenu intrinsèque, malgré des écrits parallèles pertinents. La paradiscipline a mis au point des notions et concepts fondamentaux pour l'analyse de différents pans de notre société actuelle. Et si ces analyses parallèles à la cybernétique pouvaient avoir un côté ubuesque à l'époque, elles s'avèrent aujourd'hui intéressantes, dans une société devenue

elle du o t ôle pa la o u i atio et l’i fo atio .

6 Les écrits para-cybernétiques : Cybernétique et société et leur pertinence

Les questionnements de ces hommes qui ont vu naître les premières machines à information pour lesquelles ils prévoyaient un avenir que nous connaissons sont fondamentalement actuels. De par

Agathe Martin – Master 1 Veille technologique et innovation – Université Paul Cézanne

leur fondamentalisme Norbert Wiener notamment, interrogeait l'Homme sur sa volonté sociétale face à la machine. Aujourd'hui, que les machines se soient multipliées sans réelle kubernetes, les questions fondamentales de Wiener sur la gouvernance, sur le rôle que nous y jouons tous, sur les directions que nous souhaitons prendre par le développement massif des machines sont devenues aujourd'hui d'une actualité brûlante.

L'importance de la communication et de l'information

La communication et l'information sont pour Wiener et les cybernéticiens des processus centraux du réel. Ils sont le liant du système social, l'élément constitutif du lien social. La communication est ce qui fait système et le système peut se définir uniquement vis-à-vis d'elle. « La communication est le ciment de la société », comme nous le déclare presque timidement au regard de ses conceptions, Norbert Wiener. De plus, le langage leur apparaît comme un élément moteur pour l'Homme. Il est primordial : « La parole représente le plus grand intérêt humain et l'accomplissement le plus caractéristique de l'homme » pour Norbert Wiener.

« La communication a une importance plus grande que le transport » pour Wiener, les questions de l'information et de la communication posent la question de l'individualité humaine et de ses limites, de la barrière entre les êtres humains, soit pour la chrétienté celle de l'âme. Cette âme aurait, et ce dans plusieurs traditions religieuses, une continuation au-delà de la vie elle-même.

Actuellement, nous considérons la continuité de l'individu comme débutant avec naissance, mais sans achèvement précis. Et que la question du siège de l'âme soit considérée religieusement ou scientifiquement, il s'avère que toutes les conceptions contemporaines de Wiener mènent au postulat suivant : « L'identité physique de l'individu ne consiste pas dans la matière dont il se compose. » Une transmission intergénérationnelle commence à apparaître avec les recherches o te po ai es à Wie e , e ui a e à la o lusio ue l i di idualit iologi ue de l'organisme contiendrait des résultats de son développement passé. Une mémoire de l'organisme au cours et au-delà de la vie est alors avérée. Dans ce cas, la télégraphie d'un homme (information, énergie et matière constitutive), pose la question du siège exact de l'information et pose le doigt sur la centralité de la communication et de l'information pour Wiener.

Ces réflexions nous amènent à considérer l'information en tant que processus de communication comme un élément central de la vie en société. Wiener dans Cybernétique et société semble nous décrire le monde actuel par le prisme de l'information et de la communication. Prisme au combien repris aujourd'hui, comme nous le soulignent de nombreux chercheurs en sciences de la communication. Nous serions pour Érik Neveu, pour Dominique Wolton, pour Armand Mattelard, pour Philippe Breton dans une société de la communication voire une société de l'information. Ce paradigme moteur en SIC est hautement relevé par Wiener et se pose en base des prospectives paracybernétiques. La communication est le centre de l'activité humaine pour Wiener comme pour ces auteurs actuels même si Wiener a une conception assez techniciste qui peut apparaître même plus pertinente. En effet, le contrôle de l'action est devenu également une téléologie sociale comme si la préservation de notre structure sociale via la communication était devenue enjeu pour les sociétés occidentales. Mais ce contrôle ne peut se faire que par la communication et l'information d'où leur rôle central, d'où l'expression de société de l'information et de la communication.

La globalisation

Wiener estime dans cet aparté sur le langage que la taille d'une société ou d'un empire est proportionnelle à ses moyens de communication. Il fait le parallèle entre des empires Perses ou Romains pour lesquels leur étendue était limitée à leurs moyens de communication, et toujours sur le mode de l'analogie, il en tire comme possible voire comme certain, une société mondiale liée par les modes de communication moderne. Toujours en visionnaire, il considère que c'est l'évolution des moyens de communication qui lui étaient contemporains qui amèneront à une société mondialisée, société que nous connaissons aujourd'hui.

De nos jours, avec l'avion, la radio; la parole des gouvernants s'étend aux extrémités du globe et un grand nombre des raisons qui s'opposaient autrefois à l'existence d'un État mondial ont été annulées.

N. Wiener. Cybernétique et société. 1952.

Cette vision d'une société mondiale, à une époque de sortie de guerre mondiale et d'entrée en guerre froide, monde par essence multipolaire, nous apparaît aujourd'hui aux vues de notre société actuelle totalement évidente. Pourtant, l'idée d'un monde global, d'un village global attendra les écrits de McLuhan pour se populariser, soit 1967. Norbert Wiener fait encore figure de visionnaire en 1952 sur un point encore une fois d'une actualité à la fois criante et à la fois durable.

Ce pa adig e de la so i t o dialis e, e s il tait d jà late t depuis la deu i e olutio industrielle, prendra, comme Wiener nous le prédit toute sa force et toute son envergure après la Deu i e Gue e do e t e l po ue de Wie e et la ot e, et o e il le p dit e g a de partie en raison du développement des moyens de communication. Sur ce point aussi il semble que nous sommes entrés en cybernétique. Wiener apparaît ici comme un chercheur d'état placé initialement sous le secret défense, mais lucide sur les développements vers lesquels vont mener les théories mathématiques et les machines qu'il découvre et participe à mettre au point. Sa vision de l'avenir et son discrédit ultérieur peuvent sembler liés. Nombre d'écrits nous rappellent qu'il parlait trop, peut-être a-t-il également trop écrit à partir de 1952 et de Cybernétique et société.

Mettant ainsi au jour les applications modernes et leurs dérives potentielles dès leur conception.

Permettant par là une critique de l'orientation de la recherche militaire et scientifique avant même la mise en application des découvertes. Il constituait un contre-pouvoir, il demandait une réflexion critique sur le développement des machines que peu de protagonistes de l'époque ont suivi et qui se et ou e aujou d'hui e o e appel e de leu s œu pa des he heu s et pe seu s contemporains. Cette réflexion n'était peut-être pas à l'époque souhaitée, peut être aurait elle mis en péril le développement des toutes ces technologies dont le poids économique et dont l'avantage comparatif pour l'occident reste très importants, encore plus aujourd'hui. Nous sommes entrés dans une dépendance aux machines peut-être souhaitée à l'époque pour maintenir l'avance de l'occident, et ce en grande partie en raison de la globalisation. Une globalisation qui en nous positionnant en concurrence directe avec les populations du monde suppose la création d'un avantage comparatif indépassable pour l'occident. Il s'agit peut-être là des machines à information de Wiener.

La notion de progrès

La notion de progrès est pour Wiener éminemment sujette à questionnements. En effet, comment dans un univers où toutes les composantes du système vont lentement à leur mort par accroissement de l'entropie, ne pas supposer à défaut d'entropie générale du système, l'extinction

Agathe Martin – Master 1 Veille technologique et innovation – Université Paul Cézanne

lente du système par l'entropie ? En effet, il s'agit là d'une remise en question de la notion même de progrès linéaire tel que conçu traditionnellement. Cette remise en cause sera fondatrice d'interrogations sur la science et les techniques. Pour Wiener la société doit être conçue comme un système que nous avons la charge de réguler, notamment au niveau des développements scientifiques et techniques. Cette idée d'une gouvernance de la science, en avance sur son époque où le savant quittait tout juste sa position d'inventeur isolé et devenait seulement depuis la guerre le rouage d'un système de recherche, est aujourd'hui toujours reprise et a formé nos conceptions actuelles de la responsabilité scientifique. Responsabilité il est vrai fortement questionnée à cette époque qui venait de voir se développer la bombe A. Wiener ne croit pas au progrès inéluctable tant avancé par l'occident de son époque. Et ce pour des raisons sociales, mais aussi pour des raisons physiques et biologiques. Tous les éléments de notre monde allant vers l'entropie, donc la mort informationnelle, notre monde y irait lui aussi dans sa globalité. Cette vision technicienne permet la remise en question du progrès et de notre avancée inéluctable en ce sens.

L'avenir d'un monde avec les machines à information

Wiener cherche également, tous comme les SIC actuelles à accompagner la société dans sa nouvelle révolution industrielle et dans les changements que peut provoquer l'essor de ce ui s appelle a l'i fo ati ue et des ou elles te h ologies. Wie e ous p dit u e ise sa s précédent, plus violente que 1929, et ses suites, avec son lot de chômage et de difficultés inhérentes. Il est déjà décelable un passage à une industrie nouvelle : fermeture des industries traditionnelles, exportation des dernières industries indispensables à la fourniture de l'occident en bien matériels dans des contrées éloignées et des pays « moins avancés », chômage massif, développement de nouveaux services de la nouvelle économie qu'il prévoit comme touchés ultérieurement par cette crise massive, véritable « désastre financier ». Pour Wiener, cette nouvelle révolution industrielle qu'il perçoit déjà en 1952, est pour lui une « épée à double tranchant ». Ce débat du bienfait et de la malédiction technologique sont toujours d'actualité : entre un usage raisonné des technologies et une course vers l'épuisement économique notamment de la société. Pour Wiener, nous courrons à la perte voire à la destruction de notre société à terme, non pas en raison des technologies nouvelles, mais en raison de la gouvernance menée par les Hommes de leur société. Le seul recours serait la régulation de la société par l'être humain, peut être à l'occasion du développement des nouvelles technologies. Il s'agit pour lui, d'une opportunité de réguler la marche du monde.

On peut percevoir dans « Cybernétique et société » Norbert Wiener comme un visionnaire de tendances futures. Celles-ci s'avèrent de plus des prévisions sur des tendances durables et fortes.

Comme un homme à même d'extrapoler sur des signes, de prémices de son temps, le temps futur de la société. Et de plus, il a été à même de sentir ces tendances sur des domaines variés et aucune d'entre elles ne s'est avérée décalée ou imprécise. Il reste aujourd'hui de ces écrits des paradigmes sociétaux forts et avérés et une société du contrôle et de la communication, sorte de société entrée en cybernétique.

7 la communication et le contrôle comme paradigme latent de nos sociétés

L'information et la communication, paradigmes centraux de nos sociétés occidentales désidéologisées, sont devenues des sociétés à l'idéal du contrôle et de l'information. Aujourd'hui, l'homme occidental ne semble plus pouvoir vivre dans cet univers autrefois incertain qu'est le monde et la nature. Différents pans de la société traduisent ce phénomène de volonté de contrôle

absolu des situations chez nos contemporains. Que cela s'exprime par le choc émotionnel crée par la plus petite catastrophe climatique, une tempête, une inondation conséquente qui devraient être maîtrisées par l'information que nous avons sur les zones constructibles ou non, par les prévisions météorologiques. Bref, la société du contrôle se développe. Cela se manifeste également par le développement de ce qui est nommé le risque zéro. Volonté de contrôle du risque à tous les échelons de la société, course vers la parade à toute éventualité, prospective économique, prospective électronique. Le contrôle des situations présente et future est devenu dans nos sociétés occidentales comme un droit auquel peuvent prétendre les citoyens. Le risque doit être minimisé au maximum via l'information et l'action subséquente à cette information. Cela se retrouve dans le domaine des entreprises où la « gestion du risque » que celui-ci soit économique, politique, juridique, criminel ou autre est devenu un domaine de travail à part entière.

L'i tellige e o o i ue ui se d eloppe aujou d hui e F a e, de faço assez ta di e, est grandement liée à ces questions de management du risque. L'essor de la doctrine du risque zéro dans les entreprises après celle du management par feed-back et celle du zéro papier, nous amène directement dans ce monde cybernétique que Wiener nous décrivait déjà dans les années 1950.

Nous semblons vivre sous le paradigme cybernétique, notre société est entrée en idéologie e ti ue. La atio alisatio des p o essus i a ts est à l œu e e soute ai est p e d le pas sur d'autres conceptions passées : religieuses, politique ou philosophiques. Comme si toute la matérialité du monde était suffisante à le décrire.

Le contrôle par feed-back informationnel des dirigeants d'entreprise ou de pays, via la veille et l'intelligence économique, via les services de marketing, les instituts de sondage, dessine une société où le contrôle de la situation devient l'enjeu principal si ce n'est le seul pour les gouvernants. Pourtant le danger n'a pas changé de nature : concurrence accrue de la Chine, certes, développement du terrorisme, mais la menace n'est pas semble-t-il aussi élevée que le laisserait supposer le comportement occidental à l'égard du risque extérieur et intérieur. Il semble plus que nous soyons passés dans une logique de confort matériel et social à conserver à tout prix, en minimisant au maximum les risques que des éléments perturbateurs puissent l'atteindre. La maîtrise, le contrôle de ces éléments paraissent être devenus plus importants aux yeux de nos dirigeants (mais aussi probablement de la population) que les enjeux idéologiques, politiques ou religieux. Notre société a basculé dans la préservation de ses acquis et a oublié tous les enjeux jugés aujourd'hui annexes de la direction d'un pays ou du monde. Comme si les pays, les entreprises, les citoyens rêvaient d'une assurance sur l'avenir que seuls l'information, la prospective et le contrôle des situations seraient à même de lui apporter.

Nous passons donc d'un modèle de société à idéaux à un modèle de société à techniques de préservation de sa structure et de son fonctionnement, avec comme idéal technique la communication et l'information, seules à même de nous assurer cet avenir « incertain ». Si aujourd'hui, des révoltes se dessinent ça et là, Espagne et Grèce en 2011 notamment dans nos pays occidentaux, Canada 2012, Occupy Wall Street 2012, Attac, etc. ce n'est plus toujours dans la contestation politique, mais dans la contestation technique : critique de la haute finance, critique des traités économiques, remise en cause du système éducatif ou demande de participation à une société excluant. La démarche de la critique est pointue et technique, il ne s'agit plus pour une bonne part de la contestation de remettre en question le modèle démocratique actuel, ni les positionnements politiques des États, mais bien de s'attaquer aux rouages techniques d'un capitalisme qui n'est plus en capacité de répondre à cette exigence actuelle de contrôle de la situation économique des pays occidentaux. Au-delà du côté conjoncturel ou du structurel des crises, c'est la non-légitimité de ces crises qui est aussi montrée du doigt. Comme si cette assurance-vie sur l'avenir économique et social de nos sociétés était incluse dans notre contrat

Agathe Martin – Master 1 Veille technologique et innovation – Université Paul Cézanne

social. Comme si l'État se devait d'être garant d'un contrôle technique de la situation qu'il ne peut pas ne pas être en mesure de contrôler. D'où peut-être ce recours massif à une politique technique de gestion des pays, donc Nicolas Sarkozy, nous a donné le meilleur exemple avec ses volontés managériales appliquées à la politique, élément clé de son succès électoral.

La cybernétique apparaît alors comme paradigme roi d'une société qui par l'information veut contrôler la nature ( et le monde ? ).

La peur de l'entropie informationnelle

Alors, la politique, le chef d'entreprise, le citoyen s'informent à outrance. L'employé aux achats est au fait du cours de la bourse, le chef d'entreprise de PME lit jusqu'aux Échos, l'employé service client est connecté sur BFM en continu via son smartphone, tous nous devons, tous nous voulons être informé en continu pour juguler un risque hypothétique de la vie. Cette nouvelle dictature de l'anxiété et du « stress » qui se jugule par l'information en continu se manifeste dans différents pans de la vie et pas seulement au niveau des chefs d'États et d'entreprise, même si la mesure de leurs indicateurs en temps réel et de leurs systèmes d'aide à la décision avait de quoi faire pâlir Norbert Wiener qui nous parlait déjà d'une société gouvernée par les machines. La gestion des crises à fait place à l'exigence de risque zéro dans le monde occidental, créant par là une peur de l'entropie informationnelle. Bon nombre de citoyens, notamment dans les grandes villes, semblent touchés par la peur de l'arrêt de l'afflux d'information, cela peut se constater par l'essor de l'information en continu, parfois regardée en boucle ou plusieurs fois dans la journée, par l'essor de la connectivité constante via les smartphones ou les ordinateurs connectés à Internet... Cette connectivité persistante au réseau est aussi visible chez les jeunes qui ne coupent plus cordons numériques avec leur famille ou leurs amis. Sorte de réassurance grégaire, lutte contre le vide informationnel, lutte contre l'entropie. Peut-être peut on y voir là le signe de la nécessité pour le cerveau humain d'être en constante excitation pour fonctionner et pour s'alimenter, mais l'overdose n'est pas loin... Probablement ces usages intenses vont ils se réguler avec le temps et devenir plus rationnels : à en considérer l'usage abusif du café à sa découverte en occident, celui de la télévision et de l'alcool à leur apparition au Groenland, l'usage intensif du web à l'arrivée du haut débit en France, etc. Il n'en reste pas moins que l'information et la communication de ie e t efuge, so te d li i do t la populatio e se le plus pou oi se passe . Peut-être dans cette incessante lutte du monde contre l'entropie que considérait Wiener.

Quelque chose semble se dessiner de l'ordre du continuum cybernétique dans la société civile.

Comme si nous étions entrés en cybernétique sans nous en rendre compte, recherchant tel le canon de DCA ou tel le patient de Rosenblueth à contrôler l'ensemble de nos actions par feed-back informationnel afin d'atteindre un but, une finalité, une téléologie qui semble devenir le contrôle lui-même. Nous vivons à présent dans un monde dont la plupart de ses éléments sont contrôlés par l'information, où la maison devient contrôlée par les machines de la domotique, où l'internet

Comme si nous étions entrés en cybernétique sans nous en rendre compte, recherchant tel le canon de DCA ou tel le patient de Rosenblueth à contrôler l'ensemble de nos actions par feed-back informationnel afin d'atteindre un but, une finalité, une téléologie qui semble devenir le contrôle lui-même. Nous vivons à présent dans un monde dont la plupart de ses éléments sont contrôlés par l'information, où la maison devient contrôlée par les machines de la domotique, où l'internet