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par Françoise Marti

Dans le document Pierre Mertens, 
 Bruxellois capital (Page 35-38)

Maxime Decout, Nurit Levy,
 Michèle Tauber (dir.)


Les appropriations du discours antisémite.

Comportements mimétiques
 et détournements carnavalesques Le Bord de l’eau, 220 p., 24 €

Le lecteur-enquêteur se voit donc convié à endos-ser la passion de l’indice, et à faire cause com-mune avec le faussaire, le menteur, mais aussi l’enquêteur et le psychanalyste, passion d’autant plus palpitante que la littérature se partage entre recherche de sens et passion pour la tromperie.

C’est que, depuis la fin du XIXe siècle, la mission de la littérature qui consistait à témoigner de la totalité du réel est fortement remise en cause. C’est pourquoi le paradigme de l’indice y devient pré-pondérant et qu’elle devient terrain de jeu, chan-geant de « régime narratif », comme pour répondre à une quête impossible d’identité ; phénomène de plus en plus prégnant puisque ce seront surtout les écrivains de la seconde moitié du XXe siècle (Per-ec, Nabokov pour commencer) que Maxime De-cout convoquera pour appuyer sa thèse.

Le lecteur est ainsi invité à puiser l’inspiration chez Poe (« La lettre volée »), chez Agatha Chris-tie ou Conan Doyle, à emboîter le pas aux ama-teurs géniaux plutôt qu’aux professionnels myopes. Ceux-là lui fourniront mille exemples d’hypothèses imaginaires, nourries par leur

fan-taisie propre, car ils sont plus proches de la psy-chologie du criminel et donc plus aptes que les tâcherons officiels à révéler l’imposture, et les romans de Borges, Robbe-Grillet ou Perec jouent volontiers de la permutation entre enquêteur, coupable et victime. Mais le lecteur, s’il n’est pas convaincu par les conclusions du détective (quand ce dernier n’en propose pas deux, comme Perec dans La Crypte) pourra même se livrer à sa propre contre-enquête ; d’ailleurs, s’appuyant sur Le Voyeur de Robbe-Grillet, Maxime Decout en-tend montrer que la contre-enquête est une possi-bilité ménagée par le texte lui-même, qui joue sur les répétitions visant à semer la confusion dans l’esprit non seulement du héros, mais aussi du lecteur. La littérature, débordant du cadre poli-cier, devient tout entière labyrinthe à l’image du monde, où le lecteur se faisant Œdipe enquêteur tente de suivre un fil d’Ariane enchevêtré .

C’est ici que Maxime Decout se livre à une récu-sation en règle de la psychanalyse. Rappelant d’abord que la France fut le pays le plus réfractaire à la psychanalyse, il envisage littérature et psycha-nalyse comme deux sœurs ennemies, rivales se servant des mêmes outils pour explorer l’humain (déplacement, condensation dans le rêve…). Le problème serait que la psychanalyse se montre dans ses conclusions trop univoque, trop «  sim-pliste » (Nabokov). Et l’auteur de convoquer Per-ec, Robbe-Grillet, Nabokov, Calvino, Butor, pour montrer que la psychanalyse ne peut rendre compte de cette complexité, de la richesse polysé-mique de la littérature qui admet, elle, contradiction, paradoxe et erreur… Ainsi, à l’imposture psychana-lytique répond l’imposture littéraire, ô combien plus inspirée et créatrice, qui entend reprendre son bien, alors que sa rivale instrumentalise les textes 


La littérature contre-enquête

S’agit-il par ce titre, Pouvoirs de l’imposture, de démasquer quelque dessous historique, quelque manipulation odieuse, de dévoiler 


un scoop politique ? Ce serait méconnaître Maxime Decout qui creuse 
 son sillon après deux autres livres dans le même domaine, En toute mauvaise foi et Qui a peur de l’imitation ?. Il nous entraîne ici dans 
 une visite guidée des arcanes de l’imposture littéraire. Car, l’ignoriez-vous ?, « la littérature ment », et ment de tant de manières depuis Homère au moins, qu’il est temps de se livrer, sous le patronage d’Hermès, 


à quelque herméneutique pour démasquer les mystifications.

par Françoise Marti

LA LITTÉRATURE CONTRE-ENQUÊTE

littéraires qui ne sont pour elle que des faire-valoir.

Les textes ne manquent pas (Svevo, Pynchon, Robbe-Grillet) qui dénoncent la cure psychanaly-tique comme outil de domination, comme charla-tanisme ou comme discours sectaire.

Mais dans cette enquête sur l’imposture, la litté-rature est-elle seule en cause ? En elle, langage, savoir et identité sont trois pôles que l’imposture met en crise en même temps. Le langage est certes une cible de l’imposture, mais aussi son arme privilégiée. Car des voix du personnage, du narrateur, de l’auteur, qui croire, quand peut-être chacun ment ? Ou quand le texte est truffé de citations déguisées ? Notre guide comme à plaisir extrait de sa bibliothèque Des Forêts, Borges, Roubaud, Michon et encore Perec pour appuyer ses dires. Alors que faire quand les écrivains se livrent à ce jeu pervers de semer le doute :

« Feindre de douter de ses propres affirmations, c’est là le comble de l’impertinence et de la mau-vaise foi » ( Le Bavard, Des Forêts). Mais selon Maxime Decout, le lecteur n’est plus tout à fait innocent et prend plaisir à cette mauvaise foi.

Mais pourquoi donc ces ouvrages qui s’attachent à brouiller les cartes prennent-ils la tournure du ro-man policier, du jeu, où justement l’investigation conduit à la résolution de l’énigme, où la fin cor-respond à la restauration de l’ordre du monde ? Paradoxalement, la littérature rêverait-elle de mise en ordre ? Sartre salue en Portrait d’un inconnu, de Sarraute « un anti-roman qui se lit comme un roman policier », et de nombreux ouvrages curieu-sement se présentent comme un jeu d’échecs (La Défense Loujine, Feu pâle, de Nabokov), de puzzle (La Vie mode d’emploi de Perec), de jeu de go (Roubaud) ou de tarot (Calvino). Mais alors que la littérature policière juxtapose récit du crime et récit de l’enquête (métarécit), Butor, Robbe-Grillet comme Borges veulent défaire le savoir, et loin de la catharsis théâtrale dont le roman policier avait pris le relais, le roman prend des airs d’anti-métarécit, et accouche d’un ordre défait. Au centre du roman désormais se place la lutte entre l’intel-ligence humaine et l’opacité du monde.

C’est qu’entre le roman policier traditionnel et ces œuvres, il y a une conception différente du crime. Se fondant sur De l’assassinat considéré comme un des Beaux-Arts, de Thomas de Quin-cey, Maxime Decout souligne qu’à l’intersection entre assassinat et art, il y a la mise en scène, et qu’esthétiser le crime, c’est l’abstraire du réel,

plaisir auquel Holmes lui-même n’échappe pas. Il est donc question de considérer l’imposture comme un des Beaux-Arts, de considérer l’art comme un délit. Et c’est ainsi que chez Nabokov (La Méprise, Lolita), les méfaits sont vus comme des chefs d’œuvre littéraires. Ainsi l’enquête se mue en enquête textuelle, refusant « l’idiotie du réel » (Clément Rosset), comme celle du texte, c’est à dire son incapacité à apparaître autrement qu’il n’est. C’est, nous dit Maxime Decout, la

« mort du mauvais lecteur », l’impossibilité pour lui d’être passif, de faire appel à la rationalité, piégé qu’il est par le narrateur pour qui le monde est un texte à déchiffrer à partir d’un détail insi-gnifiant noyé dans la masse, derrière un langage crypté, ambigu, métaphorique.

L’abondance de ces écrits répond, selon l’auteur, à la crise du savoir et de la vérité qui naît aux XVIIIe-XIXe siècles. Ils instaurent un rapport lu-dique et jubilatoire entre le texte et le lecteur de-vant l’impossibilité d’appréhender le réel qui échappe. Cette tromperie n’est pas qu’une contes-tation du monde trompeur, elle illustre également le fait que le langage est potentiellement artifice.

Sous la direction du même Maxime Decout (avec Nurit Levy et Michèle Tauber) signalons la paru-tion des Appropriaparu-tions du discours antisémite aux Éditions du Bord de l’eau. Entreprise riche et ori-ginale qui réunit quatorze contributions sur la re-prise des stéréotypes antisémites par les auteurs juifs eux-mêmes : ici aussi, il s’agit d’explorer ce que signifient ces reprises : ironie ? Haine de soi ? Quête identitaire ? Et ont-elles la même significa-tion avant ou après la Seconde guerre mondiale ? Faisant un tour d’horizon de ces écrivains (princi-palement Cohen, Gary, Nemirovsky, Modiano) Maxime Decout établit la double signification de cette reprise : soit renversement positif du stéréo-type, soit ambivalence dans la quête identitaire.

Ainsi, Heine, Proust, Doubrovsky, Steiner (Le transport de A.H.) semblent présenter une ambiva-lence dans la réutilisation des stéréotypes, alors que Nemirovsky ou Emmanuel Berl manifestent d’avantage la « haine de soi » réputée juive. Cer-tains inversent les rôles bourreau-victime, ainsi Gary dans La Danse de Gengis Cohn, et David Grossman dans Voir ci-dessous, amour, ou ont re-cours à la bouffonnerie, comme Bernard Frank. On lira aussi un parallèle entre Philip Roth et le film Rosemary’s baby, le mensonge comme recours au désespoir chez Jurek Becker, ou l’hésitation sus-pecte de Jean Renoir au début du régime de Vichy.

Johann Chapoutot
 Comprendre le nazisme Tallandier, 428 p., 21,90 €

Dans ses  ouvrages, dont EaN a déjà rendu compte (par exemple, Le nazisme. Une idéologie en actes ou La loi du sang), Johann Chapoutot fait voir et sentir toute la dimension du crime avec une préci-sion et une érudition rares en France dans ce do-maine. Le motif essentiel du présent livre est la

« Révolution culturelle » que veut être le nazisme et qui se définit par des contenus qu’il n’a pas in-ventés : racisme, antisémitisme, inégalité humaine, darwinisme social. Tout cela est importé tardive-ment en Allemagne, à la fin du XIXe siècle, dans un pays en proie à la plus formidable mutation que l’Europe ait connue. La population passe en qua-rante ans de 40 à 67 millions d’habitants, les villes connaissent des croissances énormes, de quelques milliers à des millions d’habitants, entre 1870 et 1914. L’expansion économique dépasse largement celle de tous les autres pays européens.

Depuis 1871, date de sa fondation politique, l’Al-lemagne wilhelminienne, dans un climat d’excès, est en proie à une sorte d’hystérie du progrès.

Tout cela, déjà en soi fragilisé, est d’un coup en-glouti par la catastrophe irréparable de la Pre-mière Guerre mondiale dont l’Allemagne est lar-gement, mais pas entièrement, responsable.

Il se développe à cette époque brutalité sociale et mépris biologique, comme le montrent, parmi d’autres, Norbert Elias dans son remarquable Les Allemands ou Nicolaus Sombart dans un ouvrage beaucoup  plus superficiel, Les nobles vertus des hommes allemands. Désormais, il s’agit de  dé-barrasser l’Allemagne de tout ce que représente

l’Occident, de tout ce qui provient de la Révolu-tion française. Pour les nazis, il n’y a pas d’hu-manité ni d’égalité entre les hommes. Il y a d’un côté la latinité, les démocraties affaiblies, l’in-fluence en somme délétère de Rome, de l’autre le Volk, « communauté organique déterminée par la nature », le peuple biologique dans son authenti-cité juvénile. L’Allemagne seule est détentrice de  vie et de vérité. C’est le corps allemand musclé, gymnaste, livré aux forces de la réalité, qui seul compte. « Les nazis, ces zoologues de l’humain, considèrent que nous sommes des animaux qui se jettent à la gorge les uns les autres, des espèces ou des races qui s’entretuent littéralement pour la maîtrise des espaces et des environnements », écrit l’auteur. Il fallait désoccidentaliser l’Alle-magne, la rendre prétendument à elle-même . Ce corps allemand a besoin de son « espace vital », de Lebensraum, un concept né à la fin du XIXe siècle et justifiant la colonisation et la supé-riorité raciale de l’aryen. C’est l’ère aussi de l’in-vention de l’indo-européen, l’indo-germanique, comme on ne le dit pas par hasard en allemand, visant à faire de l’allemand et des langues ger-maniques les langues originelles. C’est une en-treprise pseudo-scientifique du XIXe siècle, dont, comme le rappelle Johann Chapoutot, Jean-Paul Demoule [1] a fait justice. Selon cette théorie, seuls le grec et l’allemand sont des langues ca-pables de créer de la pensée ; les Grecs seraient des Germains  descendus du Nord vers le Sud.

Construction imaginaire, mais qui ne mène pas nécessairement, comme ce fut le  cas, à l’exter-mination de populations entières.

Le rejet des idées de la Révolution Française,

« liberté, égalité, fraternité », est déterminant . Tout ce qui vient de la démocratie à la française est plus ou moins marqué de l’esprit juif, par 


Dans le document Pierre Mertens, 
 Bruxellois capital (Page 35-38)

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