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Bien que les effets du développement de la production industrielle se soient surtout manifestés à partir du XV III' siècle, le mouvement avait commencé bien avant avec une augmentation régulière du nombre et de la variété des produits proposés à la consom m ation courante (verre à vitres, ustensiles en fer et en fonte, tissus à bas prix, papiers imprimés multicolores) ; les techni­ ques du génie civil permettaient une meilleure circulation des marchandises et des personnes (routes, ponts, écluses et canaux) ; les techniques militaires changeaient la façon de combattre ; les systèmes de production se structu­ raient (travail posté dans les mines, travail divisé, premières manufactures) ; l ’horloge domestique était le symbole de la perfection mécanique et le signe de l’emprise de la technique sur la vie quotidienne ; mais la culture classi­ que ne proposait rien qui puisse permettre à “ l ’hom m e cultivé’’ de com ­ prendre, au sens plein du terme, cette technique qui comm ençait à le cerner de toutes parts. Tout au plus y appliquait-il les stéréotypes classiques renfor­ cés par la littérature : le beau et le laid, le bruit et la puissance, l’efficacité servile.

Le patrimoine culturel, transmis par l’éducation et qui fructifiait par la réflexion, avait comme support l’enseignement des arts libéraux : grammaire, rhétorique, logique et des arts de Quadrivium : arithmétique, géométrie, musi­ que et astronomie. Les instruments d ’accès à la culture étaient la connais­ sance des langues anciennes, la capacité de réfléchir et de disserter sur des questions philosophiques, théoriques, relatives à l’animé et l’inanimé, la méca­ nique “ céleste” dans des rapports avec la mécanique “ terrestre”, la possibi­ lité ou l’impossibilité d ’une description mathématique du monde.

Il était entendu que la technique ne participait ni du rationnel ni du natu­ rel comme le montre les étymologies des termes de machine, mécanique, ingé­ nieur, qui sont imprégnés de l ’idée de ruses et d’artifices pour obtenir des effets étrangers à l’ordre naturel. Mais la science avait tôt fait de percer le mystère ; il s’agissait d’une com position de machines simples et élémentai­ res pour les ensembles, d ’un jeu de mouvements et de forces pour ce qui était cinématique et dynamique, d’une question de proportions pour les cons­ tructions statiques. Le reste était l’affaire des “ bons artisans” et de leur savoir technologique, savoir peu rationnel, qui lui aussi basculerait un jour dans le dom aine de la science.

Certes, l’héritage de la civilisation gréco-latine comportait des ouvrages techniques (Vitruve, par exemple), mais ces textes n’étaient pas destinés à servir de support à la réflexion ni même à un enseignement public. C ’était des recueils de solutions pratiques destinés aux professionnels de tel ou tel secteur. On trouve cependant, de temps à autre, des auteurs comme Ph. Delorm e pour l ’architecture ou A . Ramelli pour les machines qui se présen­ taient com me des techniciens et qui écrivaient pour les techniciens avec un souci de réflexion qui dépassait celui de transmettre du savoir. C ’est ainsi que Ramelli (1588) fait de la diversité des machines (dans l’unité des princi­ pes) ei de ranifiee (dans le remplacement de la main par la machine) les deux outils conceptuels permettant de dominer le règne machinal. Quant

aux artisans, menacés dans leur patrimoine de savoirs pratiques, ils se le trans­ mettaient dans le plus grand secret. Cette transmission s’accompagnait, dans la plupart des cas, d ’un bas niveau d ’activité intellectuelle. On répétait inlas­ sablement ce qui avait réussi une fois (exemple de l ’art campanaire, de la construction des m oulins ou des charpentes). Dans d ’autres cas, on s’élevait d ’un cran dans l ’activité réflexive comme dans la taille des pierres mais alors les artisans couraient le risque de voir leur savoir capté, mis en forme et ensei­ gné au niveau supérieur sous le nom de stéréotomie ; d ’où la réglementation des apprentissages jusqu’à la suppression des corporations qui détruisit le cadre institutionnel derrière lequel ils se retranchaient.

Il faut attendre la fin du X V IIP siècle pour que la technique surgisse à l ’avant-scène avec la publication des grandes encyclopédies dont l ’Encyclo­

p éd ie ou discours raisonné des sciences, des arts et m étiers avec ses “ plan­

ches sur les sciences, les arts libéraux et les arts m écaniques’’ est la plus connue.

C ’est à partir de cette époque que s’engage le débat, indépendamment de tout souci didactique ou culturel, sur les bienfaits, surtout économ iques et capitalistiques, de la production manufacturière et sur ses méfaits sociaux et psychologiques. Débat où s ’illustreront de nombreux auteurs, K. Marx (1)* étant, bien évidemment, le plus éminent.

Historiquement, c’est à un Allem and, J. Beckmann (1777) que revient le mérite d ’avoir tenté d ’introduire la technique dans le champ culturel. Ceci est attesté par le fait que c’est sous sa plume qu’apparaît pour la première fois le terme de “ technologie” pris au sens de réflexion sur la technique et ses produits. Beckmann pense surtout à une approche économ ique mais par un rapide glissement dans le sens de la facilité et de la demande. Technolo­

gie devient le titre convenu pour des recueils de savoir-faire pratiques.

En 1932, J. Lafitte, dans une courte mais pénétrante étude, pose claire­ ment les jalons en distinguant trois types de technologies :

— la technologie des techniciens ou art de construire ; — la technologie classifiante et historique ou mécanographie ;

— la technologie réflexive, enfin, ou m écanologie dont il fait une branche des sciences.

Plus récemment les travaux d’ethnologues comme H . Leroi-Gourhan (qui nom m e Technologie, avec une majuscule, sa m éthodologie) ; de philosophes des techniques com m e G. Sim ondon (qui se réfère explicitement à Lafitte) ou de sociologues comme A. M olès avec sa “ théorie des objets” sont des apports importants. On peut y ajouter de nombreuses m éthodes de concep­ tion, de production d ’organisation ou de commercialisation (dont le design) qui sont des instruments d’action mais qui peuvent, sous certaines condi­ tions, devenir des instruments de réflexion sur la technique en général.

U n problème est d ’extraire de toute ces techniques, m éthodes ou théories, un outillage cohérent et maniable. Un autre problème est d ’exposer les résul­ tats de leur application. L’invention d’une réthorique spécifique, multidimen- sionnelle, conjuguant la com m unication graphique, l ’analyse de systèmes, le suivi d’une lignée et la recherche des causes d ’une évolution n’est pas chose facile. C ’est même, à notre avis, un ultime mais sérieux obstacle à l ’appro­ che culturelle de la technique.

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