• Aucun résultat trouvé

Présentation des résultats concernant la participante P3.

Présentation de la participante. P3 est une femme d’origine colombienne, divorcée, dans la cinquantaine. P3 est la mère de sept enfants, certains adolescents et d’autres majeurs; ils ont tous immigrés au Québec en sa compagnie. En Colombie, elle a travaillé en tant qu’adjointe civile pour l’armée près d’une quinzaine d’années et aurait entre autres effectué des infiltrations dans la guérilla. Cette période a été une importante source de stress pour P3, et ce, plus particulièrement lorsque la guérilla l’aurait ciblée

a été faussement emprisonnée pour maintenir son alibi. L’emprisonnement aurait par contre été maintenu plus longtemps que prévu, en plus de ne pas recevoir la protection prévue. Elle a donc vécu un important sentiment de trahison et de rage, en plus de craindre pour sa vie. P3 rapporte avoir aussi vécu diverses formes de violence conjugale. À la suite de ces évènements, elle a cherché refuge au Canada, où elle est arrivée en 2011 avec ses sept enfants. Ils ont tous éventuellement obtenu le statut de résidents permanents. Au moment de commencer le groupe, P3 était femme à la maison et avait divers engagements bénévoles. Elle rapportait se sentir coupable vis-à-vis de ses enfants pour les difficultés vécues, et soulignait, à cet effet, parfois recevoir des reproches de ses enfants. Elle se sentait anxieuse et déprimée et a mentionné souffrir de phobie sociale, condition pour laquelle elle était suivie par une psychologue. De plus, elle a rapporté ne plus se sentir la même depuis les évènements difficiles qu’elle a vécus en Colombie; allant jusqu’à dire qu’elle ne se considère plus « normale ». Quant à ses expériences précédentes avec des médiums artistiques, P3 participait depuis quelque temps au groupe « art et communauté » d’un autre quartier de la ville. Elle avait donc déjà utilisé des médiums artistiques variés dans une optique de travail réflexif sur soi. Elle se disait donc à l’aise et heureuse que de telles activités soient incluses dans l’intervention de groupe proposée.

Participation au groupe. Lors de la première séance, lorsque les participantes ont pu expérimenter les différents médiums offerts, P3 a été la seule à exprimer un besoin d’être à l’écart des autres participantes. Elle s’est donc installée à une petite table en

retrait pour la première exploration. Elle a par contre rejoint le reste du groupe pour la deuxième exploration, soit le dessin alterné, et ce, à la demande des intervenantes. Elle a paru apprécier cette activité artistique et être à l’aise avec les différents médiums disponibles. Par contre, elle a aussi semblé stressée, comme ont pu en témoigner quelques petits rires nerveux. Pour la troisième séance, portant sur l’activité de la carte postale, P3 a choisi de faire une carte postale uniquement sous une forme écrite. À la quatrième séance, lors de l’activité de l’espace sécurisant, P3 a paru à la fois investie et activée par l’activité. En effet, son investissement était visible par le fait qu’elle a rapidement commencé sa réalisation et qu’elle s’est plainte, à la fin de la période de création, qu’elle aurait poursuivi l’activité plus longuement. Elle aurait aussi aimé un format plus grand et davantage de matériel artistique. Elle a d’ailleurs proposé d’amener, pour les prochaines séances, de son propre matériel artistique afin d’avoir davantage de ressources matérielles pour les prochaines activités artistiques. Quant à son activation, P3 a manifesté une certaine nervosité lors de la période de création, qui s’est exprimée par une agitation motrice et un besoin de verbaliser tout au long de la création. Sa réalisation représente son village d’enfance en Colombie avec son père, qui semblait une importante figure d’attachement de sécurité pour elle. La figure 13 correspond à la création que P3 a réalisée durant l’activité de la carte postale.

Figure 13. Carte postale de P3.

Lors de la septième séance, P3 est arrivée en début de rencontre avec son propre matériel artistique, qu’elle a proposé de prêter au groupe, ainsi qu’avec une toile qu’elle avait réalisée chez elle. Il s’agissait de l’image qu’elle avait réalisée lors de l’activité de l’espace sécurisant, mais qu’elle n’avait pas eu le temps de finir à sa satisfaction. Elle a donc pris l’initiative de refaire cette activité chez elle sur canevas, avec de l’acrylique. L’image était semblable à l’espace sécurisant, mais comportait davantage de finition ainsi que des ajouts. Les intervenantes lui ont accordé un bref moment pour partager à propos de cette toile et P3 a ainsi pu partager quelques éléments supplémentaires :

s’est ouverte quand on m’a dit que je pourrais venir au Canada. Ici, c’est moi seule, sans mon mari, avec mes quatre fils et mes trois filles, et ici (flèche), c’est l’avion pour aller au Canada, le ciel, les couleurs commencent à changer. Le Canada c’est beau, c’est la paix, y’a la neige, c’est le changement.

Lors de l’activité artistique de la septième séance, la décoration du porte-folio, P3 a rapidement commencé sa réalisation et s’est plainte du trop court délai accordé à cette activité. Il n’y a pas eu de verbalisation après cette réalisation, il est donc difficile d’accéder au sens de l’image créée par P3 (fleurs avec un ciel). Lors de la huitième séance, P3 est arrivée en avance d’environ 30 minutes pour poursuivre son travail sur son porte-folio, tel que l’avaient proposé les intervenantes à la fin de la séance précédente, ce qui témoigne d’une motivation et d’un investissement dans cette activité artistique. La figure 14 correspond au porte-folio réalisé par P3, la section masquée couvre l’inscription qu’elle a faite de son prénom.

En ce qui a trait à l’activité des quatre cadrans, ayant lieu lors de la huitième séance, P3 a semblé touchée et émue par cette activité où elle a notamment abordé des douleurs digestives et cervicales. Elle a beaucoup verbalisé durant le processus de création : « C’est où le colon? J’ai une douleur, un problème au colon, là depuis que j’ai 17 ans. », ou encore : « Elle me rend (en parlant de sa douleur) de mauvaise humeur parce que ça pourrait devenir pire. » et « Je suis toute rouge. » P3 a aussi semblé interagir davantage avec les autres participantes lors de cette activité. Son explication de chacun de ses quatre cadrans forme une histoire cohérente dont se dégage une impression clivée de son pays d’origine, la Colombie négative, en opposition avec son pays d’accueil, le Canada positif. Elle présente plusieurs signes d’agitation psychomotrice lors du partage subséquent en groupe, notamment des mouvements de balancement des jambes. La figure 15 correspond aux quatre cadrans réalisés par P3.

La dixième séance portait sur l’activité du bol de lumière. Lors de la présentation de la légende accompagnant cette activité, P3 a spontanément mentionné que cette légende était semblable à l’histoire des participantes : « C’est comme si c’était notre histoire. Nous on a en dedans beaucoup de tristesse, de choses lourdes… comme les pierres, que je veux sortir de nous, et on voudrait les tasser. » Durant la période de création, P3 a semblé vivre des émotions intenses tout en étant absorbée par sa réalisation. Elle a en effet travaillé rapidement avec un visage concentré, en plus de pousser de nombreux soupirs en cours de création. À un certain moment, son visage s’est empourpré et elle a expliqué aux intervenantes qu’elle avait une montée d’émotions. Elle a précisé à la suite d’un soupir : « Peinturer, c'est l'émotion, l'anxiété. » Il est intéressant de noter que P3 a choisi de mettre à l’extérieur de son bol les étapes de son parcours de vie, qui inclut de nombreux éléments négatifs (p. ex. la guerre), alors qu’elle a mis à l’intérieur de son bol des représentations de ses forces personnelles (p. ex. sa foi en Dieu et son espoir). La figure 16 montre l’intérieur et l’extérieur du bol de lumière réalisé par P3.

P3 était absente pour la onzième séance où avait lieu la rétrospective des réalisations artistiques ainsi que le début de la réalisation de l’œuvre collective. Elle n’a donc pas pu participer au choix du thème pour la création collective. Lors de la séance 12, pour la poursuite de la création collective, une section de papier blanc a été rajoutée pour P3. Une autre participante, avant le début de la séance, lui a expliqué le concept de la création et P3 a ainsi rapidement commencé le processus de création. Elle a paru pressée et préoccupée par la crainte de manquer de temps. Elle a ainsi limité les interactions avec les autres participantes pour dessiner une maison des jeunes. Elle a par la suite rapidement expliqué son dessin : « Un jour, je voudrais apprendre le français et aider les jeunes avec des dépendances et ceux qui sont loin de leur maison et avoir une grande maison. » La figure 17 correspond à la portion de création collective réalisée par P3.

Analyse des réalisations artistiques. Pour cette participante, cinq réalisations ont été retenues, soit : l’espace sécurisant, le porte-folio, les quatre cadrans, le bol de lumière et la création collective. Au regard des créations de P3, plusieurs constatations sont possibles. Dans un premier temps, l’utilisation d’une grande variété de médiums semble témoigner d’une ouverture aux activités artistiques, en plus d’une aisance avec le processus créatif. Dans un second temps, bien qu’il y ait une prépondérance d’éléments figuratifs, P3 a aussi utilisé à quelques reprises des éléments abstraits. Ces éléments abstraits sont généralement associés à des expériences ou émotions souffrantes. Par exemple, elle utilise un gribouillis dans l’activité des quatre cadrans pour illustrer la première fois où elle a ressenti sa douleur. Elle utilise aussi des bandes de couleur pour évoquer les étapes de sa vie qu’elle juge difficiles dans le bol de lumière. Il est aussi intéressant de noter que P3 est une des participantes qui a le plus élaboré durant les séances sur la signification des couleurs qu’elle utilisait. Cet investissement symbolique des couleurs ajoute souvent un deuxième niveau de sens. Par exemple, chaque bande sur son bol de lumière a une signification : le rouge représente la colère et la rage qu’elle a envers son pays, le bleu représente l’espoir et la foi en Dieu, le rose représente ses enfants et le noir représente l’absence d’espoir et la guerre. Dans l’activité des quatre cadrans, les couleurs ont aussi été symboliquement investies, le bleu y représente son père, le jaune son médecin et le rouge la représente, elle et sa douleur. De plus, à propos des éléments picturaux, on retrouve une forte prépondérance d’éléments liés à la nature ou de représentations de figures humaines. En effet, des éléments de la nature se retrouvent dans quatre de ses cinq créations, alors qu’on retrouve au moins une figure

humaine dans trois de ses cinq créations. Il est aussi intéressant de noter que les créations de P3 occupent généralement une importante part du support artistique (p.ex., le papier sur lequel elle dessine), ce qui peut témoigner d’un bon investissement dans le processus créatif. À titre d’exemple, il n’y a aucun espace de laissé vierge sur sa création de l’espace sécurisant ainsi que sur son bol de lumière. Finalement, on peut remarquer, dans les créations de P3, un rapport contrasté entre la Colombie, qui est souvent associée à une colère ou tristesse, et le Canada, qui est quant à lui associé à la beauté, l’espoir et la sécurité. Bien qu’elle ait souvent mentionné avoir beaucoup d’espoir en son futur, P3 semble difficilement pouvoir articuler dans ses créations des éléments précis de ses attentes ou espérances.

Synthèse. L’une des premières choses qui ressort quant au processus de P3 relève de son grand intérêt et investissement dans l’utilisation de l’art comme vecteur de communication et levier thérapeutique. En effet, elle participait en même temps à un autre groupe qui utilisait aussi des modalités artistiques, elle a spontanément refait chez elle une création du groupe qu’elle n’avait pas eu le temps de compléter à son goût, elle a apporté du matériel artistique de chez elle et a régulièrement mentionné que la durée allouée aux activités artistiques était trop courte, et ce, malgré qu’elle y avait généralement déjà mis plusieurs éléments picturaux. Ses réalisations semblent à la fois évoquer des éléments précis (souvenirs, aspirations, souffrances) et symboliser des états émotifs. Pour soutenir cette expression, elle a développé un grand lexique personnel des couleurs employées et de leur symbolique pour elle.

Il est aussi intéressant de noter que les éléments abstraits de ses créations représentent souvent des éléments souffrants. Il est donc possible de faire l’hypothèse que les créations abstraites ont une fonction contenante et protectrice pour P3 et que, de cette façon, elle peut prendre plus facilement contact avec la souffrance ainsi modulée. De plus, ses créations occupent une grande part du support artistique, ce qui semble témoigner d’un bon investissement dans l’activité artistique, mais ce qui peut aussi exprimer la présence de plusieurs émotions. En effet, les émotions de P3 sont représentées dans plusieurs de ses réalisations artistiques, ou encore, P3 les a manifestées durant la période de création ou de partage. Elle a tout de même mentionné à quelques reprises que les activités artistiques l’aidaient à gérer son stress et son anxiété. Finalement, il est intéressant de noter que P3 a souvent eu un besoin de verbaliser durant les activités artistiques, de commenter ce qu’elle faisait ou illustrait via sa création. Par contre, elle n’apparaissait pas nécessairement à la recherche d’un dialogue, mais semblait simplement se parler à voix haute. Ainsi, lorsqu’une des intervenantes lui répondait, cela pouvait entraver davantage son processus créatif plutôt que de le soutenir. En effet, elle manquait souvent de temps et la discussion, en plus de la ralentir, ne paraissait pas l’amener plus loin dans sa réflexion, ni la soutenir dans un besoin de ventiler.

Documents relatifs