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Les périmètres d’établissement : une opportunité saisie par les employeurs

CHAPITRE 1. La mise en place des CSE : quelles évolutions sur le dialogue social ? . 24

1.2. Les périmètres d’établissement : une opportunité saisie par les employeurs

C’est en effet l’un des changements les plus impactants des ordonnances : la modification des règles

portant sur la reconnaissance de l’établissement distinct. S’il revient en principe à un accord collectif

majoritaire conclu entre l’employeur et les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise de définir le nombre d‘établissements distincts au sein de l’entreprise (L 2313-2) ou, à défaut d’accord collectif majoritaire, d’une négociation avec le CSE (L 2313-3), c’est en dernier recours l’employeur qui décide en tenant compte de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel (L 2313-4). La notion d’autonomie de gestion du responsable de l’établissement fait aujourd'hui l’objet de débats juridiques nourris, discutant notamment, sur la base de décisions jurisprudentielles, des critères de définition de cette autonomie de gestion ou du caractère « suffisant » - plutôt que « relatif » – de cette autonomie.26

Cette possibilité de revoir les périmètres de la représentation du personnel a été fortement mobilisée par les directions des entreprises enquêtées. Celle-ci a consisté à réduire plus ou moins fortement le nombre d’établissements distincts, correspondant auparavant à des comités d’entreprises distincts. Certains cas sont marqués par une volonté de centraliser fortement les relations sociales, pour diverses raisons.

L’opportunité a parfois été saisie de revoir légèrement les périmètres pour mieux coller à la réalité

opérationnelle de l’entreprise. C’est par exemple le cas de Sécu (3200 sal.) où un « regroupement »

(DRH) au niveau des unités opérationnelles (en fusionnant par exemple les régions « Ouest » et «

Nord-26 « Établissement distinct au sens du CSE, une occasion manquée », Dalloz Actualités, 16 janvier 2019 (H. Ciray, Soc. 19 déc. 2018, FS-P+B+R+I, n° 18-23.655).

Ouest ») a permis de passer de 7 CE à 5 CSE. Les élus estiment avoir « limité la casse » comme le disent les DSC CFDT et CGT.

Au sein de l’établissement Hospi, la finalité de la refonte du périmètre était de rationaliser la représentation du personnel, de la professionnaliser et de la réorganiser. Ce centre hospitalier à but non lucratif, de plus de 1000 salariés, disposait de 4 comités d’entreprises, désormais réunis en un seul CSE depuis novembre 2018. Avec le temps, la distinction entre les instances était devenue poreuse, avec un glissement des questions entre le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le CHSCT. La direction a souhaité regrouper les instances des différents sites du groupe en un seul CSE. L’objectif était d’avoir une instance unique, qui soit au courant de toutes les problématiques de l’entreprise et qui puisse se réunir tous les mois. Ce regroupement a permis de faire participer la direction du groupe aux réunions de la nouvelle instance, les rendant plus formalisées et « solennelles », là où, comme le dit un responsable syndical, « avant on faisait ça à la bonne franquette ».

Pour la nouvelle directrice de Handi, également dans le médico-social, le regroupement est vu comme une opportunité dans un contexte de changement interne. Depuis 2017, l’association a absorbé deux établissements de même nature. Deux autres associations sont en cours d’absorption, ce qui doublera l’effectif d’ici la fin de l’année (pour arriver à environ 600 salariés). Le CSE qui devra être mis en place avant la fin de l’année 2019 sera donc transitoire. Une autre élection du CSE devra intervenir à partir de 2020 après les opérations d’absorption en cours. Actuellement, l’activité est structurée en 14 établissements sans autonomie de gestion. Il n’y a toutefois qu’un seul CE et un seul CHSCT, mais des DP dans la plupart de ces établissements. Le dialogue social est anesthésié par les conflits entre les deux syndicats représentatifs (SUD, CGT) et entre le syndicat majoritaire (SUD) et la direction. Les ordonnances sont vues alors par la direction comme une occasion pour faire table rase et repartir sur une nouvelle organisation du dialogue social. L’enjeu est de recréer une instance représentative avec une diversité des acteurs syndicaux permettant de sortir d’un face-à-face entre la direction et le syndicat majoritaire.

« Je veux une seule instance, en tant qu’employeur j’ai besoin d’avoir un endroit de convergence culturelle, d’avoir des gens de structures différentes qui se parlent, ça permet une harmonisation. On a des vrais pratiques différentes, des questions de conditions de travail, des problèmes d’accidents du travail, donc on sera meilleurs en ayant une réflexion commune. Aujourd'hui j’ai 14 façons de fonctionner avec des élus différents. Les DP ça ne fonctionne pas. Il n’y a pas de cohérence d’ensemble » (DG, Handi).

La directrice fait l’hypothèse que « le fait d’avoir un CSE où tout sera centralisé permettra d’avoir des

élus qui travailleront sur tout, qui auront une vision transverse ». Les négociations avec les syndicats

n’ont pas encore été entamées.

Au sein de l’entreprise Négoce (négoce de matériaux, 1200 sal., division régionale d’un groupe national), la négociation entre la direction et le syndicat unique CFDT a débouché sur un consensus en faveur de la concentration des instances, en respect avec l’esprit de la loi (« l’idée du CSE ce n’est pas

de faire de l’établissement », DRH). Les anciennes instances étaient basées sur les périmètres des

établissements avec 7 CE et 3 CHSCT (constitués par métier), qui viennent de se transformer en un CSE unique et une CSSCT.

« Dans notre fonctionnement, il y avait des redites… avant il fallait faire 5 fois la même présentation sur les conditions de prévoyance par exemple. Ça a du sens de traiter en central. Il y avait une perte de temps et d’efficacité. (…) Ce fonctionnement par secteur et par établissement, on a jugé avec [l’ancien DSC] qu’il était moins adapté avec le fonctionnement du CSE. Dans l’organisation du groupe, on faisait partie des seules régions avec des CE

d’établissement, car j’étais attachée à beaucoup de proximité. Mais l’idée du CSE ce n’est pas de faire de l’établissement. » (DRH Négoce)

Dans d’autres entreprises, les négociations ont été moins consensuelles et marquées par des tensions

sur les objectifs de centralisation de la direction. L’entreprise Comput dispose d’un dialogue social

nourri mais connait un contexte économique dégradé. Encadrée par un accord de méthode complet, définissant les nouveaux périmètres, la négociation aboutit à la création de 3 CSE et 8 CSSCT en lieu et place de 7 comités d’établissements et de 12 CHSCT.

« On est sur une organisation très centralisée. Les 7 présidents de CE n’avaient aucun pouvoir,

par exemple aucun pouvoir d’embauche, de licenciement, etc. Autant je comprends qu’ils veulent de la proximité, autant d’un point de vue économique ça n’a pas de sens. On a fait des PDV [plans de départs volontaires] dans le passé, il fallait consulter 12 CHSCT et 7 CE, une ICCHSCT, un CCE, alors que tout cela est très théorique, il n’y avait pas de marge de négociation locale sur les aspects économiques au niveau de tel ou tel CE. (…) Hier je ne cessais de dire de renvoyer au niveau central les questions DP, mais il n’y avait pas d’instance centrale. Donc on voyait 11 fois les mêmes questions sur la simplification du bulletin de salaire. » (DRS Comput,

6000 sal.)

Les motifs économiques sont avancés sans détour par la direction : « autant je concevais que les élus

étaient attachés à des établissements, autant sur la partie économique ce n’était pas tenable » (DRS).

Les établissements sont considérés comme n’ayant pas d’autonomie, les directions étant prises au siège parisien, quand ce n’est par la maison-mère à l’étranger. Dans ce contexte, la logique de rationalisation aurait pu convenir de n’aboutir qu’à un seul CSE unique, ce qui n’était pas envisageable ni pour les syndicats, ni pour la direction (« ce n’était pas possible, il fallait aboutir à un accord… »). Les 3 CSE correspondent in fine à des périmètres regroupés d’établissements quelque peu factices, respectant une logique territoriale sans réalité opérationnelle. Les CSE correspondent ainsi à trois bandes Nord, Centre et Sud, dont les découpages ont été l’objet d’âpres discussions stratégiques selon les poids des syndicats. Aujourd'hui trois syndicats différents (CFE-CGC, CFTC et UNSA) pilotent via un secrétaire chacun de ces CSE. La CGT qui était majoritaire dans plusieurs CE ne l’est plus dans ces CSE. Ces comités jouent un rôle central notamment en matière de gestion des activités sociales et culturelles. C’est en revanche au niveau du CSEC que se joue véritablement le dialogue social d’entreprise. Le regroupement des instances pose des problématiques réelles de charge de travail pour les élus, comme nous le verrons plus bas.

Une autre entreprise de services informatiques (InfoRM, sous convention Syntec) se développe par rachats successifs. Elle était donc dotée de plusieurs entreprises avec chacune leurs instances de représentation et de négociation. La définition d’une UES, à la demande d’une intersyndicale en 2018, a facilité la logique voulue par la direction de centralisation du dialogue social et de réduction des mandats. Pourtant demandeurs de la constitution d’une UES notamment pour obtenir une harmonisation des conditions de travail, les syndicats ont espéré en vain la fixation de comités sociaux et économiques à un niveau plus décentralisé. Les 5400 salariés sont donc depuis peu (mai 2019) couverts par un seul CSE composé de 34 élus titulaires, ainsi que par une trentaine de représentants de proximité sur le terrain.

« On a voulu un seul CSE car on a un seul DG pour l’ensemble des sociétés et un seul DRH. Les sociétés n’ont plus d’autonomie. Avant on avait 5 CE, un par entité. On était dans la situation ubuesque de faire plusieurs NAO. (…) On a créé un seul CSE pour canaliser l’information » (DRH).

Cette centralisation permet de mettre une cohérence avec des chantiers en cours sur l’harmonisation des statuts des salariés des différentes entités formant l’UES. « Le fait d’avoir une seule instance va

faire gagner en efficacité » explique le DRH. Mais le maintien d’une proximité n’est pas encore bien

appréhendé. Le rôle des RP se met doucement en place.

Très nettement donc, le passage au CSE renforce la logique de concentration et de centralisation qui

était apparue comme une tendance structurante de l’évolution des instances représentatives du personnel sur les dix ou quinze dernières années.27 C’est dans ce contexte que des négociations asymétriques se sont tenues dans lesquelles la stratégie défensive des syndicats a été de limiter la coupe des moyens. Un des buts est notamment de contrecarrer cette centralisation par le maintien de moyens, pour les élus, de rester au contact du terrain et de limiter l’éloignement des lieux de travail.