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La cité de l’an 2000 est un ouvrage écrit Michel Ragon et traitant des villes rêvées de l’an 2000 en 1968 L’ouvrage se découpe en trois chapitres, le premier pose les bases de l’architecture moderne, le deuxième fait

II. PUISSANCE DE MARQUE

60 La cité de l’an 2000 est un ouvrage écrit Michel Ragon et traitant des villes rêvées de l’an 2000 en 1968 L’ouvrage se découpe en trois chapitres, le premier pose les bases de l’architecture moderne, le deuxième fait

l’inventaire des projets architecturaux les plus audacieux à cette époque et enfin le dernier est consacré à la description des villes imaginées pour l’an 2000.

61 Ragon Michel, La cité de l’an 2000, Casterman. 1968, p 82 62

Cf. annexe : Vue extérieur construction, p 131

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Ragon Michel, La cité de l’an 2000, Casterman. 1968, p 92

64 Id. p 98 65 Ibid. 66

Cf. annexe : Tableau La tour de Babel de Pieter Brueghel l'Ancien, p 110

grâce à des stands68, un groupe médical pour des consultations urgentes et imprévues, une crèche inter-entreprises, trois salles de sport69, … Par conséquent, les aménagements du siège social, pensé et construit par et pour les hommes, répondent à la volonté de Jacques Saadé de bien-être pour ses occupants, et son caractère anthropocentrique fait du siège social une sorte d’idéal utopique.

Mais d’un autre côté, avec ses salles de réunion aux murs entièrement vitrés et ses bureaux aménagés en open space ou cloisonnés par des vitres70, son plan d’implantation répond à une exigence de contrôle dont Ledoux nous parle : « il faut tout voir, tout entendre, ne rien dissimuler71 ». Serions-nous face à une architecture du panoptique ? C’est-à-dire d’après Michel Foucault une architecture carcérale répondant aux sujets de contrôle, de surveillance et d’autodiscipline en s’efforçant de rendre visible le détenu, en le mettant en pleine lumière, auprès du surveillant. Dans cette architecture le prisonnier se sait visible à chaque instant, et même s’il sait que cette surveillance n’est physiquement pas permanente, elle l’est sur le plan psychologique, ce qui l’amène à réguler son comportement. Dans le cas du siège social de la CMA CGM, cette architecture de verre permet de surveiller les faits et gestes de tous et par tous, par conséquent le pouvoir de surveillance n’appartient plus aux supérieurs hiérarchiques mais à tous. En sortant ses collaborateurs de leurs bureaux la CMA CGM les enferme dans une surveillance permanente. Nous ne pouvons nous empêcher de penser également à la ville de verre d’Evguéni Zamiatine, une ville aux maisons vitrées qui exposent les actes de ses habitants à la vue de tous et dont les habitants vivent au même rythme. De même, dans le siège social de la CMA CGM, les collaborateurs travaillent sous le regard de leurs collègues, mangent aux mêmes heures dans l’un des restaurants du siège social, prennent leurs pauses à la cafétéria, vont au sport et consultent un médecin dans l’enceinte même du bâtiment, …

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Cf. annexes : Vue cantine 1 et Vue cantine 2, p 139

69 Cf. annexe : Vue salle de sport, p 139

70 Cf. "The Adventure Goes On" by CMA CGM staff members [en ligne] [consulté le 13 juillet 2019, 23:50].

Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=-k9XTtw_ftk

Mais cette gamme de services mise à la disposition des collaborateurs permet aussi de « rationnaliser le travail des ouvriers […] afin d’en augmenter la productivité72 ». Alors, au- delà de cette architecture utopique souhaitée par Jacques Saadé et de cette architecture du panoptique, ne s’agirait-il pas aussi de la mise en place d’une politique managériale consistant à, en implantant dans son siège social une crèche inter-entreprises, trois salles de sport et un centre médical, réduire leurs déplacements et ainsi à l’entreprise d’augmenter leur temps de présence au travail. Nous pouvons rapprocher ce cadre de travail idyllique de l’idée des tiers lieux. Ces lieux de vie sociale, désormais aménagés au sein même des entreprises, permettent aux occupants de se rapprocher des autres et ainsi d’atténuer le sentiment d’isolement en créant un groupe. Mais cet objectif de rapprochement est celui des collaborateurs, du côté de l’entreprise il est tout autre. En inscrivant dans son organisation ces espaces, elle attend de ses occupants un certain comportement, voire elle contrôle leurs comportements, nous revenons ici sur la notion de dispositif développé dans l’introduction de cette partie. Elle contrôle leur temps de pause, leur santé, leurs aptitudes physiques, l’éducation de leurs enfants … elle les rend conforme à son projet d’entreprise.

Nous pouvons également penser que la mise à disposition d’une cafétéria, d’un restaurant d’entreprise et de trois salles de sport permet aux collaborateurs de se détendre. Ou plutôt les oblige à des temps de loisir. Ceux-ci, qui viennent s’opposer aux temps de travail et ce dans le même espace, y sont prescrits mais de façon productive. Il n’est pas question de pauses passives ou oisives, mais d’échanges entre collaborateurs autour de la machine à cafés ou d’un plateau repas, ou encore de maintenir sa forme physique. Ici il s’agit, même hors activité, de rester en activité. C’est ainsi que les collaborateurs peuvent devant leurs collègues prouver qu’ils ont ce temps libre et qu’ils savent comment le rendre productif.

Comme nous venons de le voir, et comme Jean Baudrillard nous le dit, les objets sont « aussi fabriqués comme preuve73 ». Pour le siège social de la CMA CGM il s’agit d’une preuve d’appartenance à une certaine catégorie d’entreprises en se conformant aux règles,

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Jean Georges, Voyages en Utopie, Découvertes Gallimard. 1994, p 72

preuve de réussite, d’ascension vis-à-vis du tissu local en construisant le plus haut immeuble de bureaux de la ville, preuve de pérennité en faisant appel à une starchitecte. Le standing de cette architecture et le niveau de services rendus en son sein agissent comme démonstrateurs de la marque. C’est aussi une forme d’autorité sur son environnement en instrumentalisant sa présence dans la ville. Cette autorité ne s’arrête pas à la porte du bâtiment, au contraire elle se développe à l’intérieur du siège social avec une architecture du panoptique cachée, dissimulée sous une politique managériale bienfaisante, sous couvert d’une utopie. Les aménagements de l’espace intérieur souhaités par Jacques Saadé lui permettent à la fois de contrôler ses collaborateurs, mais aussi de leur imposer sa vision du monde du travail. Dans ce cas, le siège social ne se contente pas de signifier la marque, il l’impose. Mais pour l’imposer réellement, entièrement, des aménagements intérieurs et une façade, même imposante, ne suffisent pas. De plus, comme nous l’avons dit en introduction de cette première partie, le siège social se doit de travailler. Alors la marque en fait un média publicitaire.