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Notre travail aura permis à la fois de répondre à notre problématique, et à la fois de nuancer la capacité de la médecine générale, et du soin de premier recours à y répondre. Nous avons essayer de dégager les conditions de faisabilité d’une action sur les déterminants sociaux de la santé en pratique, pour la médecine générale notamment. Nos résultats montrent que, dans les conditions de notre terrain de recherche, des actions sont possibles.

Si nous sommes venu les nuancer, c’est pour rappeler qu’en santé il existe souvent deux niveaux de travail entre lesquels la médecine est en tension permanente : l’intérêt du patient singulier qui consulte à un instant donné de sa vie, et l’intérêt général d’une population sur le long terme. Gérer cette tension est un problème bien connu de la médecine. Nous avons vu qu’elle se retrouve également dans les enjeux de l’accompagnement global, et dans beaucoup des champs qui constituent les déterminants sociaux de la santé. Ainsi, sur un niveau macroscopique, le soin de premier recours a une action plus nuancée sur les processus systémiques qui expliquent l’impact de ces déterminants sociaux sur la santé des personnes accompagnées.

Cette réponse nuancée est logique, puisqu’il n’est pas du rôle de la médecine générale ou du premier recours de régler seule cette question. Si nous avons relevé ici certains paradoxes dans la capacité des dispositifs d’accompagnement pour agir sur les déterminants sociaux, le propos n’est pas de remettre en cause le recours à ceux-ci à l’échelle de notre pratique, au contraire. Nous devons œuvrer à orienter les personnes vers le droit commun, et vers l’ensemble des dispositifs existants dont ils peuvent bénéficier. Le non-recours aggrave les situations de vie et risque de fragiliser les dispositifs de droit commun plus que de les améliorer.

Penser la question de leurs limites macroscopiques est une question politique qui traverse l’ensemble de la société, et qui doit se régler à cette échelle. Si la médecine générale, et plus largement le soin de premier recours, ont un rôle à jouer dans cette complexité, c’est d’abord en l’acceptant, pour pouvoir en tenir compte dans l’organisation de la pratique, des enjeux de savoirs et de pouvoir, ainsi que dans son rapport aux usagers. La meilleure compréhension des enjeux autour des déterminants sociaux de la santé, et de la complexité des niveaux d’action possibles pour les prendre en compte dans les parcours de vie des personnes, permettront de fabriquer avec elles les solutions les plus adaptées.

À l’issu de notre travail, nous pouvons dégager plusieurs perspectives afin d’œuvrer à une meilleure prise en compte des déterminants sociaux dans les parcours de soin, ainsi qu’à une meilleure compréhension des enjeux autour de cette thématique.

4.1) Pour la pratique :

Se donner les moyens d’agir

Nous avons vu que les conditions de faisabilité d’une action sur les déterminants sociaux de la santé dans notre étude reposent sur un travail pluridisciplinaire, intersectoriel, et comprenant une dimension communautaire. La part importante du travail social, de la médiation, de l’interprétariat, mais aussi des très nombreux partenariats développés pour fabriquer des parcours de soin rend compte de leur importance majeure pour notre problématique. Ce sont aussi tous les temps de travail en commun, dans des espaces formels ou informels, entre les professionnels et avec les usagères et usagers, qui font la pertinence des parcours de soin proposés. Et ce dans un temps long à la fois ponctuellement, mais également par des accompagnements au long cours.

Autant d’éléments qui dépendent de l’organisation de l’offre de soin. Le centre de santé communautaire en est une forme, mais pas la seule. Ce qui compte le plus est probablement de donner les moyens aux personnes de travailler ensemble.

Or l’organisation du système de soin de premier recours aujourd’hui en France permet peu ce genre d’organisation. Même si des progrès sont faits avec l’augmentation des lieux d’exercice regroupé, la segmentation du travail entre les professions, le paiement à l’acte, le manque d’articulation entre le travail social, médical, paramédical, et la médiation sont loin d’en faire la norme.

Le genre d’alternative que propose un lieu de soin comme celui étudié tient encore trop aux initiatives individuelles, pris sur du temps bénévole ou auto-financée. Dégager du temps de travail non rémunéré par l’acte, comme la coordination de soin, les échanges et rencontres entre différentes structures intervenant pour l’accompagnement d’une personne, etc., ou la fabrication de structure s de soin collectives, que ce soit en exercice libéral ou salarié, représente une surcharge de travail peu ou mal valorisée. L’absence de modalités de financement pérennes, et d’espaces dédiés dans l’organisation des soins fragilise le développement et la pérennité de ces initiatives. En témoigne un travail de recherche sur les freins et leviers au développement de centre de santé communautaire (76) mais les problématiques existent pour tous les modes d’exercice.

Là encore, les leviers nécessaires pour débloquer les moyens d’agir à plus grande échelle dépendent d’une volonté politique qui aujourd’hui en France reste marginale et précaire.

« La santé dans toutes les politiques »

L’intérêt de la dynamique communautaire a déjà été expliquée. Elle est un enjeu politique, mais également un vrai enjeu de santé, puisqu’elle porte les conditions de développement d’un système de soin adapté aux besoins et aux ressources des personnes concernées.

Au-delà, elle porte une enjeu plus profond en lien avec notre thématique. À l’heure où les enjeux de santé s’envisagent dans tous les champs de la vie – ce travail en est un symptôme – il serait inquiétant de voir la médecine gérer seule la question de ce qui est sain ou ne l’est pas, ce qui est bon pour les gens ou ne l’est pas, en somme la question de la norme. Le risque à étendre le champ de la santé à une approche globale, qui touche à peu près tous les champs de la vie sociale, réside dans un rapport normatif à la santé, que porte culturellement la médecine. Nous avons proposé des concepts tels que l’homéostasie et l’allostasie pour essayer de le penser.

L’importance d’une approche communautaire est donc dans le fait de redonner du pouvoir aux usagers au sein du système de soin (décisions, mode d’action, droit), mais également dans la construction collective de la norme. Cette approche nous semble devoir prendre non pas la direction d’une médicalisation des champs du social, mais plutôt d’un partage du monopole de la médecine à définir la norme, en santé et ailleurs.

Nous pensons que l’échec des dispositifs d’assistance, notamment dans ce qu’ils produisent de discriminant, est une preuve de leur échec à intégrer des systèmes de valeur et des normes produits collectivement.

Former et informer

Il est ressorti à plusieurs endroits précisément, et un peu partout de façon globale, le fait qu’agir sur les déterminants sociaux de la santé nécessite avant toute chose de prendre conscience de leur existence. Pour l’intégrer dans l’organisation du soin, dans l’organisation du travail, dans la façon de chercher les causes des problématiques amenées par les patients, et dans la façon de penser les réponses, il faut en avoir conscience pour agir. Il nous semble donc important de souligner la nécessité d’encourager la formation et l’information sur leur existence, leur fonctionnement, les modèles permettant de les penser, et de construire des façons de les intégrer à la pratique. Que ce soit auprès des soignants, des patients, mais également des enseignants eux-mêmes, et des décideurs politiques.

Évaluer l’impact des actions de façon quantitative

Nous l’avons dit plus haut, un travail complémentaire permettant de dégager des critères d'évaluation quantitatifs de l'efficacité des accompagnements intégrant les dérminants sociaux de la santé dans les parcours de soin pourrait et devrait être mené. Sur ceux proposés ici, mais ailleurs tout autant. Les données de la littérature sur le sujet couplées à des données qualitatives comme celles de nos résultats pourraient permettre de dégager des indicateurs quantifiables et pertinants pour une telle évaluation.

4.2) Pour la recherche :

Pour sortir de la relation d’assistance

Il serait intéressant de classer chacun des accompagnements proposés en soin de premier recours entre dispositifs assistanciels et dispositifs assurantiels, et d’évaluer en quoi ils produisent une action symptomatique ou radicale sur la cause qui les fait exister. Nous l’avons ébauché ici, mais cet question mériterait un travail plus approfondi sur le sujet.

Dans la même ligne, nous pensons qu’une analyse comparée entre des mesures de santé publique ou de protection sociale produites dans une dynamique communautaire (au sens où les usagers ont un vrai pouvoir de décision, pas d’une consultation par des questionnaires) et des mesures produites par des institutions où siègent des personnes qui n’en sont pas les bénéficiaires serait intéressante pour préciser les pistes ébauchées ici. Il faudrait tenter d’y analyser là encore en quoi ces mesures répondent de façon symptomatique à un problème donné, et en quoi elles proposent une action plus radicale sur la cause qui les font exister.

Nous pensons qu’un tel travail donnerait des clés intéressantes pour comprendre les conditions permettant de dépasser la relation d’assistance, et penser des actions systémiques sur la question des déterminants sociaux de la santé.

Pour une approche communautaire de la recherche

Enfin cette recherche, pour intégrer pleinement la dynamique communautaire, se doit d’intégrer les usagères et usagers dans la fabrication même des protocoles, et la réalisation du travail de terrain. Nous l’avons dit, pas en leur distribuant des questionnaires, mais en les intégrant pleinement dans la fabrication des questions de recherche, et en partageant autant les savoirs universitaires que les savoirs empiriques de façon symétrique. Il faudrait peut-être pour cela penser une forme de médiation en recherche communautaire. Car si on ne trouve que ce qu’on cherche, on ne cherche que ce qu’on connaît. Les usagères et usagers sont donc à même d’apporter des connaissances essentielles pour orienter ces recherches dans le bon sens.

La question de l’enfance

La question de l'enfance a permis de mettre en lumière la nécessité d'une approche systémique pour agir sur les déterminants sociaux. Il s'agit là d'assumer la complexité de cette question à entrées multiples, à la fois intimes et universelles, qui pose la question de ce qu'une société transmet de génération en génération. Cette transmission est en quelque sorte le reflet de nos institutions sociales au sens anthropologique du terme (famille, éducation, norme, culture, langage...) comme au sens politique. Dans les quartiers populaires, c'est un champ d'action où des moyens conséquents peuvent être mis en oeuvre,. En particulier au niveau de l'école où de multiples institutions et associations peuvent intervenir autour d'un enfant ou d'un groupe d'enfant sur le plan culturel, social, éducatif, dans l'intégration du handicap, etc..

Analyser d'un point de vue transdisciplinaire ce que ces étayages permettent de créer, les limites qu'ils rencontrent pour améliorer la vie et la santé des personnes à cette phase clé de la vie serait précieux pour comprendre le caractère systémique des enjeux envisagés dans notre travail. Nous avons vu par exemple le poids que peut avoir la construction de la norme chez des familles allophones dans la prise en charge en orthophonie, sollicitée la plupart du temps par le milieu scolaire. Des recherches longues croisant les sciences humaines et les sciences du vivant pourraient donner un éclairage utile dans"l'aide à grandir". Un éclairage qui partant des quartiers populaires, n'en serait probablement pas moins opérants dans des milieux plus favorisés.

Conclusion

Notre premier résultat a été de voir qu’il existe de nombreux rapports émettant des recommandations pour agir sur les déterminants sociaux de la santé. Depuis les premiers textes dans les années 70 sur la santé globale jusqu’à la création par l’OMS de la Commission sur les déterminants sociaux de la santé au milieu des années 2000. En France, nous n’avons retrouvé que deux rapports qui se penchent sur le sujet et émettent des recommandations, dont le premier date de 2009. Il est intéressant de voir que si l’un émane du Haut Conseil de Santé Public, l’autre émane de l’Inspection Générale des Affaires Sociales, dont la mission est proprement intersectorielle. Ce rapport insiste d’ailleurs sur l’importance déterminante de cette approche pour traiter la question. L’originalité de notre recherche tient au fait de confronter ces recommandations à la pratique en soin de premier recours, pour analyser les conditions de leur application. Après avoir défini douze catégories de déterminants sociaux, et analysé rétrospectivement une cohorte de 37 personnes suivies dans un centre de santé communautaire en 2019, nous avons pu dégager dans huit des douze catégories des actions mise en place pour agir sur ces déterminants sociaux en soin de premier recours.

La faisabilité de ces accompagnements tenait d’abord à l’organisation du centre de santé.

Celle-ci intégrait une approche pluridisciplinaire entre soignants (infirmiers, médecins, orthophonistes), travailleuse sociale (assistante de service social), médiatrice et médiateur, interprètes, gestionnaire, agent d’entretien (également dans un rôle de médiation pour l’un des dossiers).

Elle intégrait également les conditions matérielles et organisationnelles facilitant l’émergence des déterminants sociaux dans les parcours de soin : consultations longues, à plusieurs, avec médiation et interprétariat, soins non programmés. La composante communautaire a aussi influencé cette organisation, ainsi que l’offre de soin produite.

Cette organisation est le fruit d’une connaissance notable sur l’existence de ces déterminants sociaux, et d’une volonté de se donner les moyens de les intégrer dans les parcours de soin.

Elle tenait ensuite à la prolongation de cette dynamique pluridisciplinaire à l’extérieur du centre de santé. Sur une cohorte de 37 patients, nous avons recensé l’intervention de 73 types de professionnels différents. Cette collaboration s’est construite avec de nombreuses institutions et partenaires, dans de nombreux champs de la vie sociale, ce que l’on appelle l’intersectorialité. Nous avons ainsi dénombré 77 institutions ou organisations partenaires au total sur les 37 parcours de soin analysés.

Ces partenaires et institutions sont autant de maillons essentiels dans l’action sur les déterminants sociaux. Ils sont pour la plupart des institutions de service public, parfois des acteurs associatifs. C’est sur l’important service qu’ils offrent, et la qualité des accompagnements qu’ils rendent possible que repose la possibilité d’agir sur les déterminants sociaux de la santé des personnes. Nos résultats mettent en valeur l’importance de transmettre et d’enseigner les déterminants sociaux de la santé, condition préalable à toute action pour les intégrer dans la pratique. Ils montrent également l’importance des conditions matérielles d’organisation du soin de premier recours pour les prendre en compte dans les parcours de soin. En effet, ce travail pluridisciplinaire et cette approche globale, au sein du centre de santé comme de l’ensemble des structures citées dans ce travail, tient au fait de pouvoir y accorder un temps long. Cette possibilité est aussi intimement liée à la pérennité des structures décrites.

Au terme de l’analyse de nos données, la réponse qui émerge à notre problématique est que, dans les conditions que nous venons de décrire, il est possible de proposer des accompagnements pour agir sur les déterminants sociaux de la santé dans les parcours de soin pour au moins huit des douze catégories envisagées en amont. Ces conditions dépassent de loin la seule compétence de la

médecine générale, mais elle n’en est pas moins un élément fort. Notamment par son approche « généraliste » de la santé, c’est-à-dire globale, qui fait sa compétence propre.

Les accompagnements décrits dans nos résultats présentent une grande cohérence avec les recommandations de l’OMS, du HCSP et de l’IGAS sur le sujet, ce qui est en faveur de leur pertinence.

Mais cette approche catégorielle de la question ne rend pas compte de la complexité de notre problématique. En effet, dans le monde social les personnes ne se découpent pas catégorie par catégorie, et tous ces champs s’interpénètrent tant dans leur vie qu’à tous les niveaux qui structurent la société. Cette intersectionnalité amène une complexité qui limite l’impact des actions ciblées sur un champ précis, notamment lorsqu’elles n’envisagent pas le parcours de vie des personnes dans le contexte global où il se déroule.

Ainsi les actions mises en avant dans nos résultats prouvent qu’il est possible d’agir sur les déterminants sociaux de la santé à un des niveaux envisagé, celui que nous avons qualifié de micro- social, ou intermédiaire. Mais une action au niveau plus global, macroscopique, présente une complexité supplémentaire qui dépasse le seul niveau du soin de premier recours. C’est à ce niveau d’action que l’on retrouve d’ailleurs les quatre catégories manquantes. Nous l’avons mis en avant de deux façons.

La première en voyant catégorie par catégorie des limites macroscopiques qui compliquent la mise en œuvre des accompagnements proposés en premier recours, ou en limitent l’impact. Ces limites relatives ne remettent pas en question la pertinence des accompagnements proposés, seulement leur porté.

La seconde en reconstituant de façon transversale certaines problématiques, ce qui montre qu’agir sur une des catégories du social sans intégrer les autres ne suffit pas toujours à résoudre le problème. Ce constat est en faveur d’une action systémique, c’est-à-dire sur un maximum de champs de la vie des personnes en même temps.

Nous pourrions dire qu’il existe une approche curative, homéostatique, ciblée sur le haut-risque, qui agit sur la cause des maladies, et une approche préventive, allostatique, populationnelle, et qui vise la cause des incidences. Mais cette dichotomie serait trop catégorique, la réalité est plus poreuses, et les deux stratégies entretiennent un rapport dialectique qui les rend complémentaires.

C’est pourquoi il n’est pas question ici de remettre en cause la pertinence des accompagnements mis en place lorsqu’ils s’apparentent à cette stratégie curative ou du « haut-risque », puisqu’ils sont profondément nécessaires pour accompagner les personnes. Il s’agit plutôt d’accepter la complexe nécessité d’un deuxième niveau d’action synchrone, pensant le lien avec des leviers macroscopiques. Cette action synchrone en s’articulant avec le soin de premier recours, ouvrirait la possibilité d’un impact plus systémique des actions entreprises sur les déterminants sociaux de la santé à cette échelle. Mais ces leviers ne relèvent pas de la compétence de la médecine générale dans son exercice en premier recours, du moins pas directement.

Si le soin de premier recours peut permettre de faire le pont vers une action macroscopique, c’est peut-être par l’intégration dans ses modes de fonctionnement des dynamiques profondes à l’origine des causes sociales des problèmes de santé. L’ensemble de notre travail bibliographique, d’enquête de terrain, couplé à notre expérience pratique dans le domaine indiquent qu’une piste pour agir à la racine des déterminants sociaux de la santé se trouve dans l’intégration d’une dynamique communautaire. Celle-ci peut être un moyen de permettre aux usagères et usagers de se rapprocher des centres décisionnels, pour contribuer à façonner les systèmes de soin et de protection sociale