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Outils et stratégies opérationnelles de prévention et de contrôle du colmatage

Chapitre I : Synthèse bibliographique

2. Focus sur le colmatage membranaire : modélisation et contrôle

2.2. Outils et stratégies opérationnelles de prévention et de contrôle du colmatage

colmatage

2.2.1. Prétraitement de la suspension

Le traitement de la suspension en amont de la filtration est très utilisé pour diminuer son potentiel colmatant et augmenter ainsi les flux de perméation. Ce prétraitement visant à modifier les propriétés physicochimiques de la suspension peut être réalisé par le biais de méthodes mécaniques, biochimiques et/ou chimiques.

Concernant les suspensions à base de fruits, la plupart des prétraitements visent à déstabiliser les composés connus pour leur pouvoir colmatant, notamment les pectines. Il s’agit souvent de traitements enzymatiques mettant en œuvre des enzymes pectolytiques (pectinases), parfois associées à des hémicellulases, cellulases et amylases. Ils visent majoritairement à hydrolyser les substances pectiques ce qui entrainent leur floculation, et peuvent être suivis d’un ajout d’agents de collage (gélatine, bentonite) pour amplifier la sédimentation des flocs formés. Les flocs formés peuvent ensuite être retirés de la suspension par traitement mécanique, ce qui aboutit généralement à un jus moins visqueux et moins turbide présentant un pouvoir colmatant réduit. D’autres techniques de prétraitement mettant en œuvre des protéases peuvent également être utilisées pour déstabiliser la fraction protéique [2,5]. Les prétraitements enzymatiques des suspensions à base de fruits font l’objet de très nombreux travaux de

36 recherche, visant notamment à développer des enzymes plus stables dans de larges gammes de pH, moins sensibles aux solvants organiques et présentant de meilleures activités catalytiques [3].

Des prétraitements mécaniques peuvent également être mis en œuvre (centrifugation, préfiltration) afin de modifier la distribution granulométrique de la suspension, par exemple en éliminant ses plus grosses particules. L’utilisation d’adjuvants de filtration au cours du procédé (terres de diatomée, cellulose) permet également d’améliorer les rendements de la filtration en formant une pré-couche filtrante qui protège la membrane d’éventuelles interactions avec la suspension à filtrer. Cette technique est utilisée pour la filtration du vin, mais présente certains inconvénients (présence d’adjuvants dans les eaux de rinçage, génération de déchets supplémentaires).

2.2.2. Choix du type de membrane

La nature chimique et la structure du matériau membranaire impactent fortement le comportement colmatant des suspensions à base de fruits, notamment par le biais de phénomènes d’adsorption. Les membranes sont généralement de nature organique ou inorganique (des matériaux hydrides organique- inorganique existent également). Comme développé précédemment (partie 1.2.3.), les matériaux organiques sont reportés comme étant plus sensibles au colmatage que les matériaux inorganiques. Cependant, le contrôle du colmatage n’est pas le seul argument à prendre en compte dans le choix du matériau membranaire, ce dernier étant également guidé par le coût des membranes et leur durée de vie.

Les membranes inorganiques sont constituées généralement d’alumine, de dioxyde de titane et/ou de dioxyde de zirconium et sont plus résistantes mécaniquement, chimiquement et thermiquement que les membranes organiques. Elles peuvent subir des nettoyages plus agressifs, avec des températures allant jusqu’à 120 °C et une gamme de pH s’étalant de 0 à 14 et sont résistantes aux oxydants. Ces propriétés sont recherchées, particulièrement en agroalimentaire où garantir la décontamination des installations est indispensable. Elles présentent également une durée de vie plus importante que les membranes organiques. Elles sont par ailleurs relativement cassantes ce qui peut les rendre délicates à manipuler. Leur principal inconvénient est néanmoins leur coût, qui limite leur application à des installations à petites échelles ou présentant de fortes capacités d’investissement. Il faut cependant noter que de nombreux travaux s’intéressent au développement de membranes céramiques moins coûteuses [5,91].

Ces dernières années, la science des matériaux a également œuvré au développement de matériaux organiques plus résistants aux hautes températures, aux solvants et pouvant travailler dans une large gamme de pH. De nombreux matériaux organiques sont ainsi disponibles et se caractérisent par des propriétés surfaciques diverses, notamment leur degré d’hydrophobicité. Quelques-uns des principaux matériaux utilisés dans la littérature sont présentés par la figure I – 7.

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Figure I – 7 : Matériaux membranaires organiques. CA : Cellulose acétate ; PES : polyethersulfone ; PS :

Polysulfone ; PVDF : poly(fluorure de vinylidène) ; PTFE : polytétrafluoroéthylène. Adaptée de [75].

En théorie, plus la membrane est hydrophobe, plus elle est susceptible de colmater. Par ailleurs, pour assurer une productivité correcte avec un passage important du solvant à travers la membrane, ce dernier doit présenter une certaine affinité avec la surface membranaire. Une certaine hydrophilie des membranes est ainsi recherchée pour le traitement de suspensions aqueuses ou hydroalcooliques. Différentes techniques émergent pour la modification des propriétés de surface des membranes organiques afin d’améliorer leur performances et/ou de leur conférer une plus grande résistance au colmatage comme par exemple la greffe de groupements hydrophiles fonctionnels sur des membranes en polyethersulfone (PES) [75,92].

Si ces nombreux avancements permettent de développer de nouveaux matériaux plus résistants et plus performants, le matériau membranaire reste un levier de contrôle du colmatage dur à maîtriser. Au vu de la diversité des suspensions et des matériaux membranaires, le choix de la membrane nécessite des essais préalables pour tester une large gamme de matériaux. Ces essais peuvent se révéler coûteux en temps et en investissement, surtout dans les domaines où une grande variété de suspension est étudiée.

2.2.3. Choix des conditions opératoires

La maîtrise du colmatage membranaire pendant la filtration repose sur un choix adéquat de paramètres opératoires qui régissent l’hydrodynamique de la suspension à proximité de la membrane et conditionnent l’intensité des forces s’appliquant sur les entités en suspension. Comme souligné plus haut, la formation et l’évolution du colmatage pendant la filtration dépend d’un subtil équilibre entre forces convectives et forces répulsives. Ainsi, l’impact des forces convectives sur le colmatage ne peut pas être considéré indépendamment de celui des forces répulsives, et vice-versa.

Lors d’opérations à pression constante, la pression transmembranaire permet d’agir sur la force de perméation. Selon la loi de Darcy (Eq. I - 1), le flux de perméat est directement proportionnel à la pression. En théorie, toute augmentation de pression conduit à une augmentation proportionnelle du flux de perméat. En réalité, la mise en place et l’évolution du colmatage se traduit par une augmentation de la résistance au transfert et ainsi par une perte de la linéarité entre flux et pression au cours de la filtration. Cette augmentation de la résistance à la perméation peut être expliquée par (i) des forces de perméation trop importantes par rapport aux phénomènes de rétrotransport conduisant à une accumulation trop importante de matières colmatantes à proximité de la membrane ou (ii) à une

38 compression du dépôt déjà formé, lui conférant une résistance spécifique plus élevée et donc une résistance à la perméation plus grande. Ce phénomène est favorisé par la présence de particules fines et colloïdes dans le dépôt et est souvent observé lors de la filtration de suspensions biologiques [18].

Lors d’opérations à flux constant, la force de perméation est directement contrôlée par le flux de perméat fixé pendant l’opération et l’augmentation du flux est associée à une augmentation de la pression transmembranaire. Plus le flux de perméat est élevé, plus la quantité d’espèces arrivant sur la membrane est importante. En l’absence de forces de rétrotransport adéquates, cela peut entraîner une accumulation de composés colmatants causant également une perte de linéarité entre pression et flux due à l’augmentation de la résistance à la perméation. Si pour des valeurs de flux basses le colmatage reste faible, au-delà de certaines valeurs de flux un colmatage sévère peut s’installer et entraîner une augmentation considérable de la pression transmembranaire. Ce colmatage sévère demande des procédures lourdes de nettoyage des membranes.

Au vu de ce qui précède, il apparait nécessaire de définir des pressions ou des flux permettant de contrôler le colmatage, tout en assurant une productivité acceptable. Lors d’opérations à flux constant, des tests expérimentaux avec différentes valeurs de flux sont couramment réalisés en amont de l’opération de filtration afin de définir le flux de perméat pour lequel le colmatage reste acceptable. En fonction du degré d’acceptabilité fixé (pas de colmatage, colmatage faible, colmatage viable), différentes valeurs seuils de flux peuvent être définies (flux critique, « threshold flux », « sustainable flux »). Ces différents concepts feront l’objet d’une description détaillée par la suite. Quelques publications traitent également de l’identification expérimentale d’une pression optimale lors d’opération à pression constante, mais cela reste plus rare.

Si la définition de pression et de flux optimaux en amont de la filtration permet de maitriser le colmatage, d’autres stratégies, liées à l’hydrodynamique autour de la surface membranaire, permettent de le limiter pendant l’opération de filtration. La relaxation par arrêt de la perméation consiste à supprimer la force convective pendant un temps défini lors de la filtration. En résulte une déstructuration du dépôt réversible formé sur la membrane par l’action des forces répulsives devenues prédominantes, associée à une resuspension des éléments du dépôt dans le flux de rétentat. Dans la même logique, un

rétrolavage peut également être effectué. Il consiste à renvoyer une partie du perméat à contre-courant

à travers la membrane. En théorie, il permet non seulement de déstructurer le dépôt mais également d’éliminer le blocage réversible des pores. Cependant, cette stratégie ne peut être effectuée que si la membrane est résistante au gradient de pression inversé. Par ailleurs, ces deux stratégies nécessitent des tests expérimentaux afin de définir leurs paramètres optimaux (fréquence, durée, volume de perméat rétrofiltré, etc.).

La stratégie la plus utilisée pour limiter le colmatage pendant l’opération de filtration reste la mise en œuvre d’un cisaillement à la surface de la membrane. Le cisaillement à la membrane génère des forces

39 de rétrotransport comme la diffusion induite par cisaillement ou la portance inertielle qui vont pouvoir resuspendre les composés dans le flux de rétentat et ainsi limiter la formation du dépôt. De très nombreuses techniques visant à augmenter le cisaillement aux abords de la membrane sont utilisées ou sont en cours d’étude, parmi lesquelles la filtration tangentielle, l’incorporation de promoteurs de turbulence, le bullage au gaz, l’application de champs électriques, d’ultrasons [2], ou plus récemment l’utilisation de systèmes de filtration dynamique [74]. Par la suite seule sera détaillée la filtration tangentielle, qui est largement utilisée à l’échelle industrielle et reste la technique de référence dans le domaine agroalimentaire pour la maîtrise du colmatage membranaire.

La filtration tangentielle consiste à faire circuler la suspension parallèlement à la surface de la membrane, à de fortes vitesses (1.5 – 7 m.s-1). Cela a pour effet de créer un gradient de vitesse à

proximité de la membrane, générateur de forces de cisaillement. L’épaisseur du dépôt est ainsi limitée, ce qui permet en théorie d’atteindre des productivités quasi-stationnaires associées à un colmatage stable et maîtrisé. Selon diverses études, l’augmentation de la vitesse tangentielle aboutit généralement à une amélioration de la productivité. Cependant, certains auteurs indiquent que l’augmentation de la perméation permise par les forces de rétrotransport entraîne des transports convectifs additionnels de particules vers la membrane qui peuvent également augmenter le colmatage [93]. D’autres limites de ce mode de fonctionnement sont soulignées par la littérature. En effet, il est associé à des coûts d’investissement (pompes de circulation puissantes) et de fonctionnement relativement élevés, une énergie non négligeable étant nécessaire pour assurer la circulation de la suspension à de fortes vitesses. En fonction des applications, le gain en productivité ne compense pas forcément l’énergie nécessaire à la circulation, particulièrement dans le cas de produits à faible valeur ajoutée [94]. Par ailleurs, les forces de rétrotransport accentuées par le cisaillement agissent sur des classes de taille de composés déterminées (> 1 µm) et ne sont efficaces que pour des mécanismes de colmatage réversibles. Or, dans le cas de suspensions polydisperses et complexes comme les suspensions à base de fruits, le mécanisme de colmatage majoritaire pourrait s’avérer différent.

Au vu de ce qui précède, il semble pertinent de se questionner sur la nécessité de s’orienter systématiquement sur un mode de filtration tangentiel lors de la microfiltration de suspensions à base de fruits. Dans d’autres domaines (notamment le domaine du traitement des eaux), ce questionnement a conduit au développement de systèmes de filtration à membranes immergées, fonctionnant selon un mode de filtration quasi-frontal (filtration externe-interne). Le chapitre suivant s’attache à décrire succinctement ce type de configuration membranaire, qui pourrait, de par ses atouts, trouver des applications prometteuses pour la microfiltration de suspensions à base de fruits.

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