• Aucun résultat trouvé

2 LA VILLE DURABLE EN ACTION

2.2 Analyse comparée des moyens d’actions rencontrés

2.2.5 Outils mis en place

Les démarches explicitées dans les parties précédentes aboutissent à l’élaboration de divers moyens d’action adoptés par les villes pour appliquer concrètement les objectifs de ville compacte, dense, attractive, de qualité, qu’elles ont fixés sur la base de démarches intégrée, transversale, globale et participative. Il s’agit d’une problématique nommée « instrumentation de l’action publique » par Pierre Lascoumes et Patrick Le Galès dans leur ouvrage « Gouverner par les instruments » (Lascoumes et Le Galès, 2004). L’intrumentation de l’action publique se définit par :

« …l’ensemble des problèmes posés par le choix et l’usage des outils (techniques, moyens d’opérer, dispositifs) qui permettent de matérialiser et d’opérationnaliser l’action gouvernementale. »

(Lascoumes et Le Galès, 2004, p.13)

Les outils mis en place par les villes étudiées ont été répartis en trois catégories : outils réglementaires et législatifs (incluant les outils économiques, fiscaux et incitatifs), les outils de négociation et les outils innovants. Certains moyens d’action de négociation et législatifs ont déjà été traités pour expliquer les démarches précédentes. Les outils exposés dans cette partie sont davantage opérationnels. Ils sont plus ou moins appliqués selon les villes, voire pas du tout. De même, ils ne sont pas exclusifs, leur combinaison est possible. L’intérêt est donc d’analyser le potentiel de chaque outil, leur portée et leurs résultats spécifiques sur chaque territoire.

Les outils réglementaires

Les plans directeurs et les lois fixent des orientations plus ou moins précises pour le développement urbain. Selon les pays, la planification est plus ou moins centralisée et il a été vu qu’elle prend différemment en compte la notion de densité, de qualité et de développement durable, ce qui contribue à une politique plus ou moins efficace à des échelles territoriales différentes. Ces plans constituent les lignes directrices, les principes stratégiques qui seront déclinés à l’échelle locale. Ils vont conditionner la réalisation des projets urbains, point abordé plus bas. A ces plans, s’ajoutent des outils réglementaires qui découlent de prescriptions législatives nationales, régionales, ou municipales.

La planification territoriale menée par la Generalitat en Catalogne a beaucoup utilisé ce type d’outils, à partir de 2003. Tout d’abord, le droit de l’urbanisme a largement été transformé par trois décrets successifs de modification de la loi sur l’urbanisme, en 2005, 2006 et 2007. La loi prévoit une complémentarité d’action entre la Generalitat (qui fixe les objectifs et qui contrôle) et les municipalités qui disposent de beaucoup d’autonomie pour appliquer les directives. Plusieurs outils de planification intégrée, réglementaires et incitatifs ont été élaborés pour articuler les différentes politiques sectorielles, mises en place par la réforme

législative. Les Plans Directeurs Urbains doivent prévoir des réserves foncières qui seront construites suivant un mode d’occupation du sol évitant la dispersion urbaine et favorisant la cohésion sociale. D’autre part, la loi oblige les municipalités à constituer rapidement des réserves foncières pour combler le besoin en logements sociaux; elle leur permet également de refuser des permis de construire aux projets ne répondant pas aux exigences en terme de proportion de logements conventionnés. Des instruments économiques de partage des plus- values foncières ont également été mis en œuvre. Une certaine proportion du sol, dans le cadre d’un projet urbain, doit être réservée à des équipements ou espaces publics, gérés par la municipalité. De plus, une certaine proportion du profit obtenu par les promoteurs privés, du fait de l’aménagement d’un terrain public qui leur a été vendu, doit servir à urbaniser la part publique. D’autre part, la loi sur la mobilité durable, abordée au point 2.2.2, instaure des obligations aux municipalités lorsque celles-ci prévoient des extensions urbaines, pour conjuguer accessibilité et compacité. Enfin, la Generalitat a complété sa politique d’infrastructures de transports par des mesures incitatives et dissuasives pour influer directement sur le comportement des usagers. Cela s’est traduit par la baisse de la tarification des transports en commun, par des mesures fiscales favorisant l’achat de véhicules propres, par la régulation du trafic et des vitesses, par des péages interurbains, etc. Barcelone a mis en avant la force de l’action publique, montrant que des mesures coordonnées de maîtrise du sol, d’usage du sol, de transports, contribuent à l’élaboration d’une organisation polycentrique de villes compactes interconnectées par des réseaux de transports collectifs. (Laigle, 2009)

Plusieurs autres villes ont joué de la réglementation pour contribuer à la mise en place de leurs principes directeurs. Munich, par exemple, s’est servie de la loi fédérale sur l’équité sociale de 1994 pour mettre en place une redistribution de la plus-value foncière, d’une manière semblable à ce qui se fait à Barcelone. Les deux tiers de la plus-value foncière produite par des opérations d’aménagement doivent être réinvestis dans l’amélioration des infrastructures et dans le logement social (MEEDDAT, 2008). Breda mène également une politique active de maîtrise foncière, qui ne relève pas, ici, de prescriptions réglementaires, mais de la volonté municipale. En achetant des terrains attractifs de par leur situation géographique, elle se dote d'un pouvoir de négociation important, ce qui lui permet de garder le contrôle sur les projets menés et de revendre avec profit. Elle a donc le choix soit d’assurer en régie la totalité d’un

projet, soit de se positionner comme collaboratrice à part entière parmi d’autres aménageurs privés (Masboungi, 2008). Ainsi, elle a déjà acquis 10 % des terrains alentours de la future gare TGV en vue d’en faire un futur espace de vitalité et non une banlieue dortoir de Rotterdam (Audouin, 2006). De plus, la ville a procédé à des achats anticipés visant à préserver des terres d’une future urbanisation et évite ainsi la spéculation des prix du sol. (Masboungi, 2008)

De telles mesures sont moins présentes voire absentes à Birmingham et à Rennes; les caractéristiques de chaque projet de régénération ou d’extension urbaine sont alors plus fluctuantes et dépendent davantage du contexte. Les principes directeurs dictés par les différents plans des villes et les mesures réglementaires encadrent le niveau opérationnel, la logique de projets urbains qui construisent la ville, souvent en collaboration avec le secteur privé. Il est donc intéressant d’étudier la manière dont sont appliqués les principes directeurs des villes au niveau des projets urbains, comment les villes parviennent-elles à la réalisation de projets articulés les uns aux autres, en cohérence avec la politique globale affichée, et comment réussissent-elles à conjuguer les intérêts du secteur privé avec les intérêts environnementaux, économiques et sociaux de la ville ?

Les outils de négociation

Les outils de négociation analysés tournent autour de la mise en œuvre des projets urbains, principalement gérés par le partenariat public-privé. Le principe général consiste à appliquer les objectifs inscrits dans les plans directeurs aux projets locaux. L’enjeu primordial est de ne pas perdre de vue les différentes exigences de la politique métropolitaine et de les intégrer à un niveau plus local, en assurant une cohésion d’ensemble des différentes opérations mises en œuvre sur le territoire.

L’articulation plan-projet est cruciale à Barcelone, la planification d’ensemble, introduisant et articulant les différents secteurs clés à prendre en compte dans l’aménagement du territoire, ayant besoin de se décliner à une échelle locale. Les mesures de planification réglementaires mises en place encadrent fortement la réalisation des projets. Le partage des plus values assure la création d’espaces publics complétant les opérations. D’autre part, des conditions

d’investissement et d’exploitation ont été prescrites pour encadrer le partenariat public-privé. Le cofinancement des projets entre le secteur privé et public dans des entreprises paramunicipales permet d’entreprendre des projets d’envergure. La municipalité peut alors gérer les espaces publics faisant partie des opérations engagées, avec le profit urbanistique cité plus haut. D’autre part, des consortiums initiés par les municipalités peuvent déléguer la gestion d’Aires Résidentielles Stratégiques au domaine du privé. La construction et la gestion des équipements publics ou des infrastructures de transports peuvent être également reléguées aux aménageurs privés. Ces différentes mesures permettent au secteur privé de participer à l’aménagement urbain de la région métropolitaine de Barcelone, tout en assurant une cohérence d’ensemble, suivant les lignes directrices de la planification territoriale gérée par la Generalitat. (Laigle, 2009)

Les projets menés dans le bassin Rennais, sont réalisés dans cet esprit. La municipalité est associée à un aménageur privé dans une société d’économie mixte. L’avantage de cette structure est que l’aménageur connaît le territoire sur lequel il travaille, et adapte ses actions aux exigences locales. D’autre part, les politiques gardent le contrôle sur l’aménagement mené, ce sont eux qui dictent les lignes directrices. (Crinon, 2008)

A Birmingham, le partenariat public-privé est une pratique ancienne pour mener les projets urbains. Les négociations se font de manière assez libre, les partenariats reposent sur des relations de confiance; une réelle souplesse d’action en ressort. Toutefois, cet outil est solidement encadré par des bases juridiques; une loi nationale cadre les engagements demandés par la collectivité aux acteurs du privé. Ainsi, à Birmingham, le partenariat public- privé a permis de réaliser des projets de grande envergure, nécessaires pour redorer l’image de la ville. La continuité des opérations avec le tissu urbain existant est très largement pensée. Les partenariats ont conduit à la fois, à la qualité et à la rentabilité, quand par exemple, la sécurité est acquise par la gestion de l’espace et non par sa clôture. Les équipes de projets multidisciplinaires mises en place par le service de l’aménagement urbain permettent d’atteindre les objectifs fixés par la municipalité. Cependant, à axer la régénération de la ville sur le commerce, les projets en ont oublié l’aspect social, amenant à un décalage entre quartiers commerciaux et ludiques, et quartiers défavorisés. La gestion de l’espace réalisée par

le domaine privé n’implique pas l’habitant et limite sa liberté (surveillance télévisuelle). L’habitat doit prendre le relais du commerce, mais est-ce que le partenariat public-privé saura aboutir, en plus d’un rendement économique, à un rendement social ? La ville s’attelle aujourd’hui à cette problématique; il lui manque un schéma d’aménagement qu’elle prévoit de bâtir, dictant aux développeurs (aménageurs) un cadre, au lieu d’attendre leurs propositions. (Gravelaine De et Masboungi, 2006)

Aux Pays-Bas, le partenariat public-privé dans les opérations d’aménagement est également très répandu, mais mené suivant des procédures précises, en cohérence avec les plans directeurs. Breda illustre bien ce point; sa politique est remarquable en ce que le cadre à respecter par tout projet urbain y est défini très clairement par la municipalité, permettant la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Le promoteur de Chassé Park est un exemple d’une implication des acteurs du privé dans le rendement social. Pour monter ce quartier en plein cœur de la ville, le développeur devait s’intéresser au côté social, créer une identité et assurer une qualité pour attirer les habitants. Ainsi, à la qualité architecturale s’ajoute la qualité de la gestion, assurant une durabilité du quartier. Enfin, une équipe « développement durable » veille, en amont de tous projets, à éviter toute action sectorielle et à assurer le respect des exigences de la municipalité (Masboungi, 2008). A Munich, c’est un comité consultatif qui contrôle, avant la phase de réalisation de tout projet, le respect vis-à-vis des grandes orientations d’aménagement de l’agglomération. Ce comité est composé d’experts, de politiciens du conseil municipal, du conseil d’arrondissement, d’aménageurs et de techniciens. (MEEDDAT, 2008)

Il apparaît qu’une dynamique de projets urbains sur un territoire contribue à une facilité d’action, surtout dans le cadre de partenariats public-privé, qui permettent de mobiliser des investissements en quantité suffisante. Cependant, la municipalité doit émettre les conditions de leur application suivant des mesures et un cadre clairs et non contournables. La mise au point de partenariats public-privé doit laisser une marge d’action à la collectivité, en lui faisant revenir une part des bénéfices. Elle doit s’attarder sur l’articulation des différents aspects de l’urbain, notamment la cohésion sociale des quartiers, pour assurer leur qualité et durabilité.

Mais il faut, en même temps, que les démarches laissent une liberté d’action au promoteur, pour éviter des négociations trop lourdes.

Les outils d’aménagement innovants

En termes de politiques urbaines durables, quelques outils innovants prenant en compte les différents enjeux autour des impacts environnementaux de la ville actuelle ont été relevés. D’une manière générale, l’ensemble des points abordés dans ce chapitre constitue des politiques ou des démarches innovantes, qui renouvellent l’action urbaine et portent la ville au niveau central de la décision politique axée sur le développement durable. Les éléments présentés ci-dessous constituent en quelque sorte, le résultat, l’aboutissement des dynamiques instaurées par les villes. La collaboration transversale et l’articulation entre le local et le global, mènent à une souplesse de réalisation, à une multiplicité de solutions et à une adaptation constante.

La ville de Breda se distingue à ce niveau. Elle a cultivé une tradition d'innovation existante depuis une trentaine d'années, apparue en réaction aux excès du « mouvement moderne ». De par la pluridisciplinarité du personnel de la ville, des démarches innovantes ont été élaborées pour intégrer les différents aspects de l'aménagement durable urbain à tout projet, et à terme, aboutir à une appropriation des lieux par les habitants : Ecotech-Ecotouch et Sociotech- Sociotouch. En matière d'aménagement urbain et d'architecture, Ecotech-Ecotouch sont deux approches indissociables l'une de l'autre, considérant à la fois les principes écologiques, l'innovation, l'histoire, la culture, les modes de fabrication, etc. Si Ecotech s'attaque directement à neutraliser les sources de pollution (sécurité, air, bruit, transports publics, équipements, commerces), Ecotouch vise à valoriser les potentialités du site et à développer une qualité de vie sur les espaces ainsi protégés (loisirs, stockage des eaux, présence de la nature). Ecotech apporte un bouclier, vise à un usage multifonctionnel du sol, s'attache à répondre à une multitude de risques alors qu'Ecotouch se base davantage sur une approche par couches (géologie, hydrologie, écologie, construction, voirie, histoire, culture, etc.) dont s'inspire l'ensemble des projets d'aménagement de Breda. Cette double approche a été réinterprétée en Sociotech-Sociotouch, dans le but d'élaborer des moyens d’action efficaces dans le développement de la cohésion sociale, partie essentielle de la durabilité, car

contribuant à la qualité de vie. L'aspect Sociotech consiste dans les résolutions pratiques de la problématique sociale en urbanisme, comme par exemple: la mixité sociale de l'habitat, les typologies de logement, l'emploi, la formation, les équipements, la mixité fonctionnelle, etc. Sociotouch insiste sur des notions plus complexes et moins matérielles: la recherche de nouvelles solidarités, la responsabilisation des habitants, l'engagement des élus, l'implication des services, l'attention portée à la qualité génératrice de fierté, etc. (Audouin, 2006)

Les projets de Breda sont également marqués par l’innovation architecturale, les promoteurs ayant une marge d’action importante à ce niveau. Des styles hétéroclites seront employés dépendamment du type de quartier à aménager; en effet, les opérations seront traitées selon le type de territoire concerné. Trois types d’espaces (fonctionnant bien, en déclin, en mutation) entraînent trois types d’intervention différents (consolidation, restructuration, transformation) (Masboungi, 2008). La ville de Birmingham n’hésite pas non plus à mélanger les genres architecturaux, à aller d’audace en audace pour, en définitive, créer une identité à chaque quartier et faire vivre la ville. (Gravelaine De et Masboungi, 2006)

La coopération continuelle menée à Munich, concernant la politique des transports, a conduit à l’élaboration d’un projet recherche-action, nommé « MOBINET », réunissant une vingtaine de partenaires privés et publics, appartenant à l’administration publique, aux entreprises et aux universités. Ce consortium s’est attelé à la fois à la planification des transports à Munich et à ses environs. Le but était de développer des technologies innovantes et des services nouveaux pour une gestion intermodale des déplacements, qui devaient également servir à d’autres villes allemandes. Un des résultats principaux fut l’ouverture de la centrale MOBINET, en 2002. Il s’agit d’un centre d’observation et d’information, coordonnant de nouveaux procédés de guidage plus efficaces pour gérer le trafic (meilleure coordination des différents modes de transports, meilleures offres, etc.). Ce projet est en constante progression et vise à être approfondi. (Ranson, 2007)

Certaines villes cherchent encore des outils innovants pour concrétiser et systématiser la démarche entamée. C’est le cas de Rennes, la SEM Territoires a choisi d’engager des démarches en recherche et développement pour établir des méthodes innovantes

d'aménagement durable, qui seraient appliquées à chaque ZAC, via la sollicitation de tout le personnel. Cette démarche de recherche et développement permettrait de construire un imaginaire commun, tiré des différentes expériences des chargés d'opération, qui s'emploient tous à vouloir travailler à une échelle élargie afin d'éviter les incohérences de politiques sectorielles. Placé sous le signe de l'innovation et de la diversification, cet investissement en recherche et développement a pour but d'interroger l'ensemble des activités de la SEM Territoires, afin d'établir un cadre d'action général de développement durable. D'autre part, un travail sur la mise en place d'un retour d'expérience, d'un contrôle des opérations menées et d'un suivi vis à vis des exigences fixées est également à l'ordre du jour. (Crinon, 2008)

Ainsi, du fait de la collaboration transversale des acteurs, d’une volonté politique forte et d’un certain recul sur les activités menées, des outils innovants ont vu le jour, conjuguant réflexion, action, retour d’expérience et amélioration continue. Cependant, ils sont à prendre avec parcimonie, leur efficacité et/ou portée concrète n’étant pas toujours révélées; ils peuvent se réduire à une action promotionnelle de la ville.

2.3 Référentiel explicatif des moyens d’élaboration de l’action pour une ville dense,

Documents relatifs