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Oubli des résistantes dans la presse de la Libération ?

L'imaginaire français fait de la défaite et de la collaboration des attitudes de soumission qui contrastent avec la virilisation de la Libération149. Comme nous l'avons vu, les tontes ont été une première exposition de la domination des hommes, toutefois, une autre image va rapidement s'imposer dans la presse : un résistancialisme au masculin, la représentation du résistant soldat domine. A la Libération, les esprits sont encore marqués par les tracts distribués sous l'Occupation et les émissions de la BBC qui sont à l'origine d'un grand nombre d'entrées dans la Résistance. C'est ce que confirme la belle phrase de Claude Levy : « Londres et, plus tard, Alger avaient gagné la « guerre des ondes » avant celle des armes »150. La Résistance est donc ancrée dans la mémoire française dès la Libération, cependant, en tant qu'homme combattant, c'est la figure du FFI qui domine les représentations de cet acte d’héroïsme dans les années d'après guerre. Comment les femmes qui ont participé à la Résistance trouvent-t-elles alors leur place dans la presse de la Libération?

A) Un sujet discret dans le Figaro

Au premier abord, le Figaro insiste, dans plusieurs articles, sur la figure cléricale du résistant. En effet, le Vatican, terni par son silence face au fascisme et au nazisme, doit redorer son prestige après la guerre. Le Figaro cherche alors à sauver l'honneur de l'Eglise de France en prônant l'engagement dans la Résistance de milliers de prêtres, religieux et religieuses. Les femmes ne sont donc pas les héroïnes privilégiées par ce quotidien. Sur la période étudiée, uniquement quinze articles du Figaro traitent directement des résistantes 151, auxquels on pourrait ajouter les articles sur les déportations et les tortures de résistantes mais qui seront traitées plus spécifiquement à part152. Ces rares femmes sont presque toutes nommées mais aucune résistante ne témoigne dans le quotidien. Ainsi, elles sont mentionnées soit comme des héroïnes (dans cinq articles), soit parmi les individus récompensés (dans six articles). Ces quelques articles soulignent que le Figaro reconnaît tout de même leur engagement. En outre, le Figaro fait parfois mention de résistantes en tant que simples exemples, sans que leurs rôles soient au cœur du sujet de l'article. Au final, on comprend que le Figaro ne met pas en avant la participation des femmes dans la Résistance mais en même temps ne la nie pas. D'ailleurs sur les quinze articles à ce sujet huit sont tout de même en première page.

149 CAPDEVILA Luc, ROUQUET François, VIRGILI Fabrice, Hommes et femmes ...op. cit. p.85. 150 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires... op. cit. p.67. 151 Voir tableau annexe A4.

B) Le PCF : le représentant de la Résistance massive

A l'inverse, les communistes soutiennent l'importance de la Résistance en revendiquant l'hégémonie sur la Résistance Intérieure du PCF. Ils développent ainsi une bipolarisation avec de Gaulle, en définissant la Résistance communiste comme la plus légitime puisqu'elle privilégie une action armée153. Par ailleurs, ils intègrent pleinement la participation des femmes, cinquante trois articles font état du rôle des femmes dans la Résistance dont vingt-huit en première page (et encore une fois, sans compter ceux où il est mis en évidence leur déportation ou les tortures qu'elles ont subies, plutôt que leur action dans la Résistance). Cette différence du nombre d'articles sur les résistantes entre les deux quotidiens nationaux est très visible sur le graphique suivant.

Les communistes se sont positionnés à la Libération comme le parti de la Résistance. Le parti prônant une égalité réelle pour tous et cherchant ainsi à obtenir les voix du nouvel électorat féminin, ne peuvent alors que souligner le rôle des résistantes françaises. De ce point de vue, un détail peut tout de même étonner sur le graphique. Lors des élections d'avril 1945, elles ne sont pas mises en évidence. Ainsi, l'image de la résistante n'a pas directement été présentée comme un argument lors des élections, mais le PCF l'a habilement utilisée pour justifier le droit de vote154.

En outre, ce qui fait le plus la spécificité des résistantes dans l'Humanité est la place que le quotidien consacre aux femmes dans les articles traitant de la Libération de

153 AZEMA Jean-Pierre, BEDARIDA François [dir], La France des années noires, tome... op. cit. p.114. 154Voir chapitre 9.

Figure 3: Les Résistantes dans la presse nationale (Le Figaro et l'Humanité)

Août- 44 Oct-44 Déc-44 Fév-45 Avril-45 Juin-45 Août- 45 Oct-45 Déc-45 Sondage 46 0 2 4 6 8 10 12 Humanité Figaro Mois N o m b re d 'a rt icl e s

Paris. En effet, aucun autre quotidien étudié ne souligne cet aspect, outre un article du Figaro, le 30 août 1944 :

« La France rend témoignage à tous ceux dont les services ont contribué à la victoire de Paris ; au peuple parisien d'abord qui, dans le secret des âmes, n'a jamais, non jamais, accepté la défaite et l'humiliation ; aux braves gens, hommes et femmes, qui ont longuement et activement mené ici la résistance à l'oppresseur avant d'aider à sa déroute »155.

Cependant cet article a surtout une portée politique qui est de souligner que de Gaulle reconnaît l'engagement de tous dans la Résistance ( même des femmes). En effet, le général a parfois été accusé d'avoir méprisé le rôle des femmes comme le confirme le témoignage de certaines résistantes recueillies après la Libération, « Le Général de Gaulle a admis de mauvaise grâce, que nous avions « un peu aidé ! » »156. Les communistes, eux, cherchent donc par ces articles à montrer qu'outre leur participation à l'insurrection nationale157, les femmes sont des résistantes à part entière et tout particulièrement les militantes communistes: « Les femmes communistes combattent dans la Libération de Paris »158, « Dans Paris toujours occupé […] Des femmes sont à leur côté les armes à la main. Suivez leurs exemples »159, « elles dressent des barricades et font le coup de feu avec les hommes […] une d'elle a tué le conducteur d'un camion boche »160, « plusieurs amies de l'UFF sont tombées au cours de la lutte »161. Les résistantes ne sont donc pas les oubliées de la guerre dans la presse communiste. Comme nous l'avons vu, elles sont intégrées, au discours politique mais elles sont surtout présentées comme des héroïnes en masse162, puisque ce point revient trente neuf fois163.

C) La place des résistantes dans le Dauphiné Libéré

Avec un total de dix-sept articles, le Dauphiné Libéré tempère entre les deux quotidiens nationaux164 et privilégie les résistantes de la région grenobloise ou savoyarde. Ce qui revient dans 60% des articles sont les récompenses distribuées à ces femmes, connues dans leur localité. Ces cérémonies sont plus un sujet d'actualité que de simples articles de commémoration, d'où l'importance des quotidiens régionaux pour diffuser les informations sur le lieu et l'heure. Conjointement, les résistantes sont citées deux fois

155 Le Figaro, 30 août 1944 « Le Général de Gaulle rend un vibrant hommage aux libérateurs de Paris et définit les conditions d'une renaissance française ».

156 COLLINS WEITZ Margaret Les combattantes de l'ombre... op.cit. p.205. 157 Voir chapitre 3.

158 L'Humanité, 23 août 1944 Annexe B2.

159 L'Humanité, 22 août 1944 « Un appel de l'Union des Femmes Française ».

160 L'Humanité, 25 août 1944 « Aux armes, citoyennes ! Les femmes dans la bataille ». 161 L'Humanité, 27août 1944 « L'union des femmes françaises dans le combat ». 162 Voir chapitre 2.

163Voir tableau annexe A3. 164 Voir graphique annexe A5.

comme exemples, puis en décembre 1945, on trouve deux récits précis sur les actions des femmes dans la Résistance : « Mimi » une résistante d'Aix-les Bains, qui d'ailleurs soulignent parfaitement l'attachement aux héroïnes locales dont fait preuve le quotidien: « nom célèbre dans le canton d'Aix-les-Bains »165 et « Léa Blain » une autre « héroïne du Vercors »166. Le Dauphiné Libéré, tout comme pour les collaboratrices, choisit de mettre en évidence des exemples locaux de résistantes. La Résistance en Rhône Alpes ayant été massive, son choix est d'autant plus compréhensible.

Ainsi, l'épuration étant directement un fait d'actualité plus courant que les cérémonies de récompenses, les articles sur les résistantes sont moins nombreux que ceux sur les collaboratrices. Néanmoins, les articles concernant les résistantes restent constants dans le quotidien et soulignent l'importance de ces femmes pour la région.

En conclusion, on ne peut pas dire que la presse de la Libération présente la Résistance comme une organisation mixte à part entière, les hommes dominent. A l'inverse, nier totalement de la présence dans les articles de femmes engagées du côté héroïque de la France serait tout autant un mensonge. N'oublions pas que les hommes restent logiquement plus mis en avant dû fait de leur représentation numérique supérieure et de la plus grande visibilité de leur action. En effet, aujourd'hui encore on estime à

165 Le Dauphiné Libéré, 7 décembre 1944 « « Mimi » à 18 ans fut une active et courageuse résistante », voir annexe D11.

166 Le Dauphiné Libéré, 10 septembre 1944 « Chatte et St Marcellin ont rendu un fervent hommage à Léa Blain, héroïne du Vercors », voir annexe D6.

Figure 4: La "guerre franco-française" dans le Dauphiné Libéré Sept-45 Oct-45 Nov-45 Déc-45 Janv-46 Sondage 46 Sondage 47 0 2 4 6 8 10 12 14 16 Collaboratrices Résistantes

environ deux cent vingt mille les hommes et les femmes engagés dans la Résistance167, dont 10 à 30% de femmes seulement168. Mais ces chiffres ne prennent nullement en compte toutes celles qui n'ont jamais revendiqué la reconnaissance de leur engagement, mais qui ont participé dans l'ombre des hommes. Ainsi, même le Figaro d'obédience catholique et plus proche de de Gaulle, qui encourageait une résistance militaire et masculine, reconnaît le rôle des femmes dans la Résistance. Les communistes, eux, font l'éloge de leurs militantes féminines engagées dans les actions clandestines, même si les hommes restent bien entendus plus nombreux. Et comme nous l'avons compris, la presse régionale n'omet pas de souligner l'héroïsme des Dauphinoises. Les quotidiens donnent donc des informations non négligeables sur les rôles que ces femmes ont pu avoir, d'après les Français aux lendemains de la guerre, et soulignent le fait réel de la supériorité numérique des hommes.