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Encadré 4 Définitions des catégories d’orphelins selon l’âge au décès du parent et

4. Être orphelin et accompagné en protection de l’enfance : spécificités

4.1. Être orphelin et protégé : quelle chaine d’événements ?

4.1.1. Perte d’un parent et entrée en protection de l’enfance 28

Selon les résultats de notre enquête quantitative, la plupart des enfants orphelins accompagnés au titre de la protection de l’enfance le sont pour d’autres motifs apparents que le décès du(des) parent(s). Les associations qui les suivent au moment de l’enquête déclarent le plus souvent que la perte du parent a eu lieu avant leur admission dans le service ou établissement actuel. Sans connaître le parcours antérieur de ces enfants il n’est guère possible de conclure de manière certaine à un scénario récurent d’enchainement entre perte du parent et accompagnement en protection de l’enfance. Et ce d’autant plus que la question de l’orphelinage est encore inexploitée dans les études concernant la protection de l’enfance.

« Souvent c’est mentionné de manière très laconique dans une décision du juge, adresse du parent

figure "décédé". [...] Parfois dans l’intitulé de la décision le magistrat s’autorise à penser que l’absence du parent peut être source de difficulté à trouver une place pour l’enfant [...] ou rajouter de la fragilité [...] exacerber le conflit avec le parent restant parce qu’il n’y en a plus qu’un [...]. Mais je n’ai jamais vu le décès du parent figurant comme motif du danger. Je n’ai aucun souvenir d’une situation où le juge dit y’a eu un parent décédé qui crée un danger », D.H.

En y regardant de plus près, certains professionnels font pourtant le constat d’un lien entre le décès d’un parent et la mise en place d’une mesure éducative, qu’elle soit à domicile ou dans le cadre d’un accueil de l’enfant.

« C’est le décès qui a déstabilisé la famille », ES.B3.

« Si on prend l’exemple d’Hugo, on voit nettement que ça a commencé à remuer à la maison à cause d’une maladie du père, qui devait être un cancer, qui a pris beaucoup de place dans la vie de la famille et avec un enfant qui du coup a commencé à être remuant à l’école et c’est à partir de là qu’est parti le signalement qui a donné lieu à une prise en charge par la protection de l’enfance [...] Si le père n’était pas décédé, il ne serait jamais arrivé jusqu’à la protection de l’enfance », ES.B6.

« Quand la demande est faite par le parent restant, ça peut apparaître comme motif de demande, le décès de l’autre parent amène un élément de rupture dans la vie, un déséquilibre, dans lequel peuvent se générer des carences éducatives, et dans ce changement de vie souvent brutal, soudain, c’est souvent des morts précoces par accident, par maladie, ça vient mettre en branle tout le système familial et quand déjà y’avait des difficultés, de précarité, relationnelles, enfin de différentes natures, le décès d’un des deux parents vient encore plus fragiliser, ça devient facteur de risque au niveau de la cellule familiale et surtout dans la prise en charge de l’enfant qui se retrouve avec un parent et si celui-là présente des difficultés pour s’occuper de l’enfant », P.B1.

« C’est bien le décès de cette maman qui a créé une situation difficile », CDS.C3.

« Y’avait déjà des problématiques auparavant et le décès du père n’a fait que renforcer les difficultés », ES.J.

Selon le type de mesure, cela peut a contrario interrompre l’accompagnement en cours.

« Un couple en cours de séparation, les enfants étaient avec la maman qui est décédée, à ce moment- là ils étaient déjà placés à l’ASE. La mère étant détenteur des prestations familiales, ça a mis fin à la mesure d’AGBF », CDS.I.

La plupart du temps les motifs de prise en charge éducative29 concernent les carences familiales, voire les

maltraitances intrafamiliales. Le décès d’un des deux parents est venu accentuer des inquiétudes déjà présentes ou s’est déroulé alors que l’enfant était déjà accompagné. La perte d’un parent dans un contexte de fragilité des relations familiales, voire dans un contexte de conflit ou de violence, nous paraît tout à fait spécifique à la situation que vivent les enfants orphelins et protégés.

4.1.2. Perte d’un parent et conditions de vie

Selon les analyses de Blanpain (2008), perdre un parent pendant l’enfance est un événement qui touche davantage les classes populaires. Le dispositif de protection de l’enfance ne propose pas de statistiques sur les conditions de vie des parents accompagnés et/ou relayés sur le plan éducatif. Tout se passe comme si les conditions sociales d’exercice de la parentalité n’avaient pas d’impact sur la prise en charge tant les renseignements sur les conditions de logement, de ressources et d’activité des parents en sont absentes (Naves et al., 2000 ; Kertudo et al., 2015). Il reste pour autant admis que les parents connus en protection de l’enfance sont globalement inscrits et pris dans des conditions sociales défavorables.

« Principalement c’est des gens très pauvres […] parfois c’est aussi leur relation aux travailleurs sociaux [...] si ils avaient les codes, ils arriveraient à rassurer et éviter la protection de l’enfance. […] Et puis il y a le jugement des éducateurs […] je vois bien que quand on a affaire à des gens de la petite classe moyenne comme nous, on travaille pas pareil […]. Je le vois, du coup j’essaie de faire attention avec les familles, si elles sont là, c’est parce qu’elles sont pauvres. C’est pas évident parce qu’on est pas formé à ça, on a tendance à mettre tout le monde sur un pied d’égalité alors que je pense pas que ce soit si simple », ES.B6.

« J’ai dans l’idée que c’est pas étonnant que les enfants de la protection de l’enfance soient plus concernés que les autres par la question de l’orphelinage, puisqu’ils ont des parents qui sont très en difficulté, qui sont très loin du droit commun, qui ne se soignent pas, qui ont des problématiques alcooliques, des prises de toxiques de toutes sortes, qui vivent dans des logements mal tenus sinon insalubres, donc évidemment du point de vue de la santé ils sont plus fragilisés que d’autres personnes dans la population lambda. Donc ça ne m’étonne pas », CDS.A1.

« Les parents ils sont plus exposés à des risques majeurs, ils s’alimentent pas bien, sont addicts à des toxiques », CDS.I.

Les causes du décès viennent d’une certaine manière confirmer ou réactiver les causes mêmes de la prise en charge des enfants, notamment pour ceux qui sont accueillis, dans le sens où c’est souvent le mode de vie et les problématiques personnelles du parent qui seront causes du décès (suicide, violence, et bien plus souvent maladies ou accidents de santé dus à un mode de vie avec notamment consommations d’alcool ou de drogue importantes et sur le long terme, éventuellement des problématiques psychiatriques).

29 Notons que la question des motifs de prise en charge fait l’objet de débat dans la mesure où ils sont reconstruits par la formulation

d’une ordonnance judiciaire ou d’un contrat, euphémisant parfois les motifs concrets de l’entrée en protection de l’enfance. Ce qui conduit certains à questionner ces catégories de motifs de prise en charge qui sous-estimeraient notamment les situations de maltraitance.

« On ne sait pas trop de quoi elle est morte, mais on pense que c’est une overdose », ES.D2. « C’est une maman qui prenait beaucoup de risques, dans des passages à l’acte », P.D. « Le papa est mort d’infarctus, il consommait des stupéfiants, énormément, il buvait », ES.B7.

« La maman dans son parcours d’errance avait commencé à renouer des liens avec ses filles. Les gendarmes supposent une mort par overdose. Y’a eu une enquête de gendarmerie […] une autopsie. […] Il y a eu trois ou quatre semaines avant l’enterrement », CDS.C1.

« J’ai souvenir d’une situation d’une jeune fille, la maman a été retrouvée morte dans son appartement, et il y a eu une enquête parce qu’on ne savait pas si la mort était naturelle ou si c’était un meurtre. […] L’enquête a conclu à une mort naturelle. […] C’était une maman en grande difficulté. Elle était toxicomane. L’appartement était sens dessus dessous, pouvant laisser penser qu’il y avait eu une bagarre dans le logement », CDS.C3.

« Vu que ça a été une cérémonie des indigents, il a fallu attendre 10 jours pour savoir qui pouvait payer,

y’a eu 15 jours de flottement avec les jours fériés du mois de mai. Le papa a été enterré 15 jours après. La loi dit que quand il n’y a pas d’argent, on regarde dans la famille élargie qui peut payer et à défaut c’est la mairie qui fait une fosse commune pour une durée de 5 ans », ES.B4.

« Il y avait un terrain alcoolique chez ce papa qui a pu causer ça », ES.B4.

Les enfants ont bien conscience que la mort de leur parent est bien souvent liée à un mode de vie qui est au cœur même de leur interaction avec les services et établissements de la protection de l’enfance.

« On projetait sur les enfants un deuil encore plus difficile ou des troubles qui allaient apparaître, alors que ces gamins, depuis qu’ils sont bébés, ils évoluent dans ce milieu familial qui en effet connaît une situation atypique, mais finalement au reflet de ce qu’ils ont vécu toute leur vie, avec des crises passionnelles, avec des situations complètement folles », CDS.A1.

« Déjà j’étais placé un an avant qu’elle meure, parce qu’elle a fait des conneries, elle a pris de la drogue, elle a bu de l’alcool, elle a même tapé les flics. J’étais là quand elle a tapé les flics […] quand elle était bourrée c’est là qu’elle déconnait. Une fois elle m’a dit qu’elle me reniait, tu vois, que j’étais plus son fils et tout et après ben, dès que c’est passé… elle s’en souvenait même plus de ça […] Je crois que le juge m’a placé quand ma mère elle a pris un truc, que son nouveau mec avait, une espèce de plante qu’on boit en tisane. Il lui a fait boire ça, ça l’a rendue complètement folle », Manolo, 14 ans. « Elle a pas mal de problèmes de santé à cause de la consommation d’alcool pendant la grossesse, elle et sa sœur aussi. Elle est dans une idée aujourd’hui que sa mère est décédée à cause de l’alcool, "mon père boit, ma belle-mère boit, qu’est-ce qui va se passer, jusqu’où ça va aller, pourquoi il boit, pourquoi il est égoïste et ne pense pas à nous, il a bien vu que ma mère, ça l’a tuée"... Elle est dans une colère envers son père », ES.D1.

Parfois, cette concordance des motifs d’accueil et des causes du décès prend un tour complexe dans le cas où le parent qui décède a pu être l’agresseur de son enfant.

« Il ne se souvient pas de ce papa, il a été victime de ce papa, là y’a des choses qui se sont réactivées sur des questions de dédommagement puisqu’il y a eu un dépôt de plainte, il ne veut pas en entendre parler, du coup c’est son avocat qui l’a représenté à l’audience, lui il ne voit pas pourquoi on irait chercher de ce côté-là », CDS.A1.

« L’enfant était représenté par un avocat et l’avocat voulait absolument parler avec l’enfant de ce père et il a refusé, catégoriquement », AS.A, à propos du même enfant que ci-dessus.

« Une fratrie de trois mineurs, confiée au service de placement familial parce que les deux parents sont incarcérés, le père pour viol sur ses enfants et la mère pour complicité et le papa a mis fin à ses jours la veille du jugement et les enfants ont souhaité assister à ses funérailles », CDS.F.

Pour Cécile Flammant, les enfants orphelins qui ont encore un parent vivant avec qui ils n’habitent pas (qui sont majoritairement des orphelins de mère selon ses estimations) sont une « catégorie d’enfants particulièrement démunie en termes de soutien parental » (Flammant, 2018). Les enquêtes en population sur lesquelles s’appuie son travail d’estimation du nombre d’orphelins et de leurs conditions de vie ne permettent pas de mesurer l’intensité et la nature des liens entre enfants et parent restant dans ce contexte. Notre recherche permet une première avancée de ce point de vue. Sans pouvoir proposer une vision chiffrée sur ces aspects, notre approche qualitative permet de soulever plusieurs points d’intérêt concernant les relations entre le parent restant et des enfants orphelins accompagnés en protection de l’enfance, en particulier pour les enfants accueillis. Plus globalement, les enfants orphelins et protégés sont soumis à plusieurs de types de relations (sociales, familiales, amicales, juridiques) qui pèsent aussi sur leur expérience.