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Politiques foncières et gouvernance foncière

• Les politiques foncières, leur objet, leurs outils

L’objet des politiques foncières

Dans les pays du Sud, le principal objet des politiques foncières est de définir les modes légaux d’occupation et d’usage des sols, les droits reconnus, leur authentification et leur garan-tie. Il est également de désigner les structures responsables de l’administration foncière et de définir leurs attributions, d’intervenir sur la répartition des terres, d’arbitrer entre les acteurs en cas de conflits pour l’appropriation et l’usage du sol et, si possible, de régler durablement les différends.

Les politiques foncières traduisent des arbitrages entre différentes fonctions et affecta-tions du sol et entre les différents groupes d’intérêt. Elles visent à favoriser un usage

sociale-ment désirable du sol56. Elles sont au service des politiques économiques et sociales globales, et plus largement de la politique (au sens de politics en anglais). Le foncier est un puissant outil d’intégration sociale, mais peut aussi être utilisé au service d’intérêts particuliers. La dimension identitaire du foncier peut également être instrumentalisée dans le combat pour le pouvoir et les sources de rente.

Les outils des politiques foncières

Les politiques foncières prennent appui sur les pouvoirs qu’exerce la puissance publique par le biais de l’administration foncière. Ce terme d’administration foncière renvoie (i) aux pro-cessus de régulation visant à la mise en valeur, l’usage et la conservation des terres, (ii) à la col-lecte des revenus de leur vente, de leur cession, de leur location et à la fiscalité sur le foncier bâti et non bâti, (iii) à la résolution des conflits de propriété et d’usage du sol57, (iv) au recueil et à la diffusion de l’information relative à la tenure58.

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56. Deininger, 2003.

57. Dale et McLaughlin, 1999. 58. UNECE, 1996.

Gouvernance foncière et sécurisation des droits dans les pays du Sud

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L’administration foncière se définit comme l’ensemble des instruments, des règles et des institutions qui permettent d’assurer la gestion foncière59dans un contexte légal, social et envi-ronnemental donné. Elle joue un rôle central en matière d’aménagement, de reconnaissance et de transfert des droits sur le sol. Elle relève de la responsabilité des services de l’État mais aussi des instances municipales ou communales, des comités locaux, etc. : elle ne se limite pas néces-sairement aux structures publiques chargées de l’enregistrement des droits et des transactions, elle peut intégrer des instances de nature variée. Pour éviter blocages et paralysie, l’application des règles et des procédures de l’administration foncière requiert de la souplesse.

Les politiques foncières combinent interventions directes et indirectes

On distingue habituellement les formes d’intervention directe et les formes d’intervention

indirecte. Les politiques foncières combinent les deux, chacune renvoyant à des outils spécifiques60. Les interventions directes visent à définir les types de droits fonciers reconnus légale-ment, les différents statuts juridiques possibles, les obligations ou utilisations interdites ou sou-mises à autorisation. Elles utilisent des procédures et des outils particuliers (schémas ou plans d’aménagement, schéma directeur, POS, remembrement, lotissements). Elles s’appliquent soit à l’ensemble de certains espaces (les villes dans leurs limites administratives), soit au cas par cas (zones d’aménagement, périmètres irrigués, trame d’équipement). Elles s’appuient sur des pro-cédures foncières (expropriation, préemption, cession ou concession de terrains publics, etc.). Elles sont mises en œuvre par les administrations chargées de la gestion foncière ou par des ins-titutions spécialisées, agences foncières et sociétés d’aménagement et d’équipement.

Les interventions indirectes visent à agir sur les types de mise en valeur de la terre, en contrôlant les mutations, en intervenant sur les marchés, en créant des réserves foncières, en utilisant les outils fiscaux (taxation annuelle, fiscalité sur les mutations ou sur les plus-values), la politique du crédit, la réglementation des activités de promotion et la régularisation foncière.

• Les politiques foncières s’articulent aux autres politiques sectorielles

Vues sous l’angle du droit et de la régulation foncière, les politiques foncières sont leur propre finalité. Mais elles sont aussi des moyens, pour d’autres politiques sectorielles, et pour la politique économique et sociale globale d’un pays. Ces articulations sont une source de com-plexité.

Une réflexion sur une réforme des politiques foncières doit donc prendre en compte leur cohérence avec les orientations de la politique générale du pays (en termes économiques et en termes social : degré d’ouverture au marché, degré de tolérance aux inégalités, etc.) et avec les autres politiques qui sont en relation avec elle :

• celles auxquelles les politiques foncières doivent contribuer (urbanisme, développement agricole, aménagement, fiscalité, etc.) ;

• celles qui vont peser sur sa réussite ou dont l’effectivité est une condition (administra-tion territoriale, justice, etc.).

59. La gestion foncière se définit comme le processus de gestion, d’usage et de développement des ressources foncières dans les zones urbaines et rurales. Elle peut viser des objectifs très divers qui sont susceptibles d’interagir les uns sur les autres et de générer des conflits. La gestion foncière vise alors à arbitrer entre ces différents usages (Land Equity, 2009).

PARTIE III. Les orientations de politique foncière

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L’interdépendance entre les politiques foncières et les autres politiques sectorielles (éco-nomiques, territoriales, agricoles et rurales, industrielles, urbaines et environnementales, sociales et judiciaires, fiscales) souligne les difficultés et les limites d’interventions publiques qui ne seraient pas assez coordonnées. Le constat fait pour la France61vaut pour d’autres pays.

• Les politiques foncières, une question de gouvernance

La définition d’une politique foncière requiert l’adhésion de différents acteurs

Définir une politique foncière, c’est d’abord faire des choix sur les types et les modes de transfert et de gestion de droits reconnus légalement. C’est décider du degré de reconnaissan-ce des droits locaux et de déreconnaissan-centralisation de la gestion foncière. C’est aussi choisir de dévelop-per le marché foncier ou de peser sur la distribution des droits, en fonction de l’importance des inégalités foncières considérées comme socialement acceptables. Le foncier peut être un outil d’intégration sociale, tout comme il peut être mis au service d’intérêts particuliers alors que sa dimension identitaire est aisément instrumentalisée.

Parce qu’elle définit un cadre, plus ou moins large, plus ou moins excluant, par rapport à la diversité des droits fonciers des populations rurales et urbaines, une politique foncière porte en elle des conceptions de la citoyenneté, de l’intérêt général et de la gouvernance. Les choix de politique foncière reflètent des choix de société et des rapports de forces. Les priorités et intérêts ne sont pas les mêmes selon les acteurs : ils renvoient aux clivages qui traversent les sociétés. La construction d’un consensus social suffisant est donc un préalable à la mise en œuvre d’une politique foncière répondant aux besoins et attentes de la majorité de la popula-tion.

Ce principe est accepté par la communauté internationale, mais un tel consensus n’est ni toujours possible, ni même recherché par les États. Heurtant certains intérêts, les politiques foncières sont trop souvent définies dans le secret des cabinets ministériels ou en négociation avec des groupes d’intérêts restreints, ou à travers des consultations sans réel débat. Un consensus peut être impossible à atteindre face à des régimes autoritaires, dans des situations de conflits (Rwanda, Mozambique, Cambodge des années 1980) ou lorsque les droits à la res-titution ou à l’indemnisation des personnes ou des groupes, dépossédés de leurs droits, ne sont pas reconnus.

Dans la mesure où elles sont aussi des instruments des politiques économiques et sociales globales, et toujours « de la politique », les politiques foncières ne peuvent pas s’ap-puyer simplement sur des choix techniques. Elles doivent découler d’un débat public sur les options et les orientations. De même, aucun projet de régularisation des occupations en milieu urbain n’est aujourd’hui considéré comme durable si les communautés concernées ne sont pas associées à sa définition et à sa mise en œuvre (cf. annexe A14).

61. « Les politiques foncières sont victimes des contradictions entre politiques sectorielles qui poursuivent

des objectifs concurrents, à partir de conceptions différentes de l’objet d’une politique foncière. La dimension foncière est ainsi une composante essentielle de la politique de l’urbanisme, mais aussi de celles du logement, de l’environnement, des transports, de l’agriculture, sans parler des politiques fiscales. En bout de chaîne, il arrive que les actions conduites au nom chacune de ces politiques se neutralisent, faute d’une coordination et d’une explicitation des priorités » (Comby et Renard, 1996).

Gouvernance foncière et sécurisation des droits dans les pays du Sud

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Concilier des objectifs souvent contradictoires

Les politiques foncières doivent concilier des objectifs économiques et des objectifs

sociaux : promouvoir et sécuriser l’investissement immobilier, améliorer la productivité agricole

tout en préservant l’emploi, assurer la sécurité de la tenure dans une démarche inclusive. Elles doivent également concilier des objectifs de production en matière de développement agrico-le, industriel et urbain et préserver l’environnement, en luttant contre la surexploitation des sols, la destruction de la couverture forestière et l’étalement urbain. Elles doivent enfin concilier

inté-rêts publics et intéinté-rêts privés en assurant la compatibilité entre la gestion et l’administration

foncière assurées par les pouvoirs publics et les logiques et stratégies de développement des investisseurs privés. Cela suppose une régulation des marchés pour corriger les évolutions socia-lement inacceptables, économiquement inefficaces et écologiquement dangereuses.

Concilier ces objectifs passe par des procédures de négociation entre acteurs. La façon de créer les instances chargées de les appliquer influence durablement les pratiques des acteurs (propriétaires, exploitants, entreprises, agents de l’administration, etc.). Des erreurs dans les choix institutionnels, des contradictions et des vides juridiques seront mis à profit par ceux dont les intérêts sont mis en cause ou qui voient leurs habitudes bousculées. L’effectivité d’une poli-tique foncière dépend aussi de la fiabilité des dispositifs d’arbitrage et de gestion des conflits. Une attention particulière doit donc être apportée aux modes de résolution des litiges fonciers.

Une nouvelle approche des rapports entre gouvernance et administration foncière

La définition des politiques foncières pose la question de la négociation des choix à chaque échelle territoriale. Leur mise en œuvre pose celle des échelles d’intervention, des modes de coordination et d’arbitrage entre les conceptions et les intérêts des différents acteurs.

Arbitrer entre des objectifs contradictoires pose la question des rapports entre politiques foncières, administration foncière et gouvernance. La gouvernance peut être conçue comme

l’art des sociétés d’inventer des régulations assurant leur développement harmonieux, leur sur-vie à long terme et leur cohésion62. C’est une pratique de l’action publique qui assure à la fois

la participation d’intérêts divergents, une bonne gestion sociale des biens publics et une stabi-lité du contrat social global63. Les politiques foncières sont des domaines d’apprentissage de la gouvernance. On peut même avancer, tant les problèmes de droit, de financement, d’appui

technique, d’accès au marché sont liés entre eux, que les politiques foncières sont une des sources les plus constantes et les plus universelles d’apprentissage de la gouvernance64.

Gouvernance et efficacité des réformes de l’administration foncière ont longtemps fait l’objet d’analyses séparées. Elles donnent lieu aujourd’hui à des approches convergentes qui s’articulent autour de trois principes :

• reconnaissance de la diversité des systèmes de tenure ; • reconnaissance du rôle central de l’administration foncière ;

• mise en place d’institutions accessibles et réactives, capables de définir des stratégies territoriales à différentes échelles, de faire respecter les lois et de résoudre les litiges fonciers.

62. Calame, 2003. 63. Darbon, 2007.

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