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Organisation sociale, alimentation, fêtes collectives

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superstitions présentés par le professeur Lebrun proposent souvent des rites à exécuter trois

ou neuf fois - chiffres, nous l’avons vu, particulièrement symboliques pour les Celtes - recommandent expressément l’utilisation de rameaux de buis - végétal sacré des druides - ou garantissent en grand nombre les hommes et les bêtes contre les maléfices du sorcier - personnage très symbolique du chamanisme.

François Lebrun remarque également que « Thiers est particulièrement prolixe sur les

croyances populaires concernant la Saint-Jean d’été 471». Or nous avons vu, dans la présentation du calendrier agro liturgique, que cette fête chrétienne a remplacé une des plus importantes fêtes druidiques : celle du solstice d’été. « La Saint Jean-Baptiste, le 24 juin, est

avec Noël et plus que Pâques, la grande fête populaire de l’année, mal christianisée d’une fête très ancienne. En marge de l’office du Précurseur, le plus grand saint après Marie, de nombreuses pratiques plus ou moins magiques marquent la journée », écrit l’historien. Ces pratiques magiques - du grand feu que l’assistance observe « religieusement », assemblée villageoise dans laquelle on réserve des places pour les ancêtres défunts - aux sauts des jeunes gens « prêts à marier » par dessus les flammes pour avoir la meilleure épouse - aux tisons soigneusement recueillies pour préserver du mauvais sort, de la foudre et de l’incendie – ne sont-elles pas toutes directement liées à la religion des anciens Celtes ? « Les condamnations

du clergé ou, à d’autres moments, ses tentatives de récupération d’une fête jugée trop païenne, ne peuvent pas grand chose contre des coutumes populaires particulièrement anciennes et vivaces472». Ces coutumes ont-elles totalement disparue aujourd’hui ? Qui n’a jamais entendu parlé des feux de la Saint-Jean en Bretagne, en France, en Belgique, en Suisse, en Allemagne et dans d’autres pays européens, voire au Québec ou même aux Etats Unis ?

2/ Organisation sociale, alimentation, fêtes collectives

Ces caractères, même s’ils peuvent remonter à des temps très éloignés, ne sont pas aussi ancrés dans les populations qu’ils concernent, que les précédents. S’il peut y avoir une héritabilité génétique du tempérament, donc du comportement, celle de l’organisation sociale, de l’alimentation, des fêtes collectives, de ce qu’on englobe dans le terme si galvaudé de « culture », ne peut être que sociale, donc acquise. André Malraux écrivait très justement que « la culture ne s’hérite pas, elle se conquiert », citation reprise par le groupe musical

471 Ibid. p 127.

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Renésens, dans sa chanson « kiltire partazé473 ». Nous dirons simplement que le maintien de la culture d’un peuple dépend cependant de l’opiniâtreté, de l’entêtement durable dont celui-ci fait montre. Ainsi, nous le voyons bien, on en revient quand même à cette psychologie du tempérament et de réaction mise en évidence précédemment.

Dans l’Europe précésarienne, l’organisation sociale des occupants de la Gaule montre une volonté constante d’occuper de façon équilibrée un territoire, sans aucune centralisation.

473 L’interprète Morgan Aupiais chante dans ce maloya enregistré en 2008 pour l’album « Intercultural » que

« La kiltir té pa f é andan nou kan nou lé né, selman an grandisan, firamesir ni apran ». Traduisez que « La

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Les "peuples celtes venus d’au-delà du Rhin s’implantent en Gaule, par petits

groupes, et non sous forme d’une invasion massive, comme les historiens le pensaient jusqu’à ces dernières années […] Ce monde celtique est un monde instable sans unité politique. Mais

il se caractérise par une même langue, un mode de vie et de pensée identique, une économie semblable et des pratiques religieuses analogues474.

La présence romaine, puis le système féodal franc ne modifieront pas fondamentalement ces bases sociales. « La tribu gauloise vit en autarcie, mais elle pratique

néanmoins le commerce avec ses pairs. Si beaucoup de vicus se situent à proximité des rivières et des fleuves, c'est non seulement pour pratiquer la pêche mais aussi parce qu'elles sont des voies de communication qui permettent de déplacer les marchandises et les hommes. Sur les berges des rivières et des fleuves, on trouve donc des comptoirs commerciaux et des ports fluviaux […] La construction des habitations varie naturellement, suivant les ressources

de chaque région: en pays de forêts, huttes de branchages et cabanes de charpente; en terrain rocheux, huttes en pierre sèches, même lorsque le bois ne manque pas aux environs […] Ces

cases se groupent à l'intérieur d'une cour, entourée elle-même d'un mur en pierre sèche […]

Les maisons de plan rectangulaire [les maisons circulaires ne se trouvent que dans l’île de Bretagne] sont composées de solides poteaux de bois qui maintiennent des murs en clayonnage revêtus d’argile. Le bois est aussi un élément essentiel de la charpente. Le toit est recouvert de chaume, de roseaux, plus rarement de tuiles de bois […] Les toits de chaume

laissent passer librement la fumée des foyers domestiques. Caves ou selliers font leur apparition. Des greniers surélevés protègent les récoltes de l’humidité et de la convoitise des bêtes. Des silos, pour le stockage des céréales destinés à la consommation à long terme, sont creusés dans le sol. Quelques constructions sur poteaux servent d’étables ou de remises à outils. Des aires de travail, à moitié enterrés, accueillent des métiers à tisser verticaux. L’eau potable est puisée dans les puits. Des fosses-dépotoires reçoivent les déchets. Des palissades délimitent l’ensemble de ces bâtiments. La campagne ressemble à la nôtre. Le climat et la végétation de cette époque sont très proches de ce que nous connaissons aujourd’hui475». Cette vision historique de l’écrivain Joëlle Brière, qui par ailleurs a rédigé un bon livre sur l’archéologie de la France, et dont l’érudition a été soulignée par le musée d’archéologie

474 Site Internet de Lionel Coutinot Au fil de l’histoire, rubrique La Gaule avant Jules César, citation et carte extraites du livre de Renée Grimaud, Nos ancêtres les Gaulois, Éd. Ouest-France, 2001, lionelcoutinot.club.fr.

475 Ibid, citation extraite d’un texte de Joëlle Brière, La Gaule du 1er siècle avant Jésus-Christ, 1994, document pédagogique du Musée de Saint-Germain-en-Laye.

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nationale de Saint Germain en Laye, nous semble tout à fait plausible, d’autant plus que des éléments de cette description pouvaient encore se voir il y a peu de temps.

On retrouve en effet ce type de construction archaïque dans les corps de ferme de la plupart des petites exploitations agricoles encore en activité jusque dans les années 1960 dans tout l’ouest de la France. Bien entendu, les murs de pierre, l’ardoise et la tuile, celle-ci au Sud de la Loire, ont presque partout remplacé la paille pour les toitures, mais rares sont les fermes qui ne possèdent pas encore une ou deux remises, genres de huttes en perches de châtaigner recouvertes de chaumes servant de remise à bois pour l’hiver ou de cave à vin. Durant notre enfance, il y en avait dans la ferme familiale. Nous l’avons dit, on rencontre encore aujourd’hui des maisons neuves au toit de chaume, en Grande Brière Mottière, dans l’ouest de la Loire Atlantique, où ce particularisme est un atout touristique pour la presqu’île guérandaise. L’abbé François Manet, dans son « Histoire de la Petite Bretagne » confirme qu’au XIXe siècle l’aspect des bâtiments ruraux a peu changé de ce qu’il pouvait être au Moyen Age : « A la campagne, ils plaçaient de préférence leurs habitations dans le voisinage

de quelque rivière ou de quelque forêt. Quelques piliers de bois réunis par un clayonnage enduit de glaise et couvert de genêt, de jonc ou de chaume, en faisaient communément les frais. Gens et bêtes y ménageaient souvent ensemble; comme le font encore aujourd’hui les pauvres chez nos paysans Bas-Bretons, qui se réservent seulement le haut-bout de leur misérable case476». Emile Souvestre, à la même époque, donne une vision très authentique de la campagne bretonne : « Le morcellement des terres en Bretagne a multiplié les métairies ;

mais leur grand nombre a nui à leur importance. La plupart ne sont que des chaumières cachées sous l’ombrage des ormes, ou derrière des haies d’aubépine, et l’on n’en soupçonnerait pas l’existence, sans la légère colonne de fumée qui les indique de loin. Cette habitude de placer les maisons et les champs cultivés qui les entourent dans les lieux les plus bas, et les abriter derrière les feuillées contribue plus que tout le reste à donner au pays une apparence sauvage. Le voyageur qui traverse les grandes routes parcourt souvent plusieurs lieux sans apercevoir un seul toit ni un seul sillon. Son regard a beau se promener autour de lui, il ne découvre que des bruyères, des taillis, ou des bois semés dans la vallée ; il croit que tout est désert ; mais il ne sait pas qu’au revers de toutes ces landes se trouvent des hameaux,

476 François Manet, Histoire de la Petite-Bretagne ou Bretagne Armorique, tome I, E. Caruel imprimeur libraire, Saint Malo, 1834, p 167. books.google.com

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qu’au milieu de tous ces bois se cachent des villages477 ». Nous en avons gardé exactement le même souvenir pour une époque beaucoup plus récente (les années 1960) en traversant les départements bretons mais également l’Orne, le Cotentin, la Mayenne, le Maine et Loire, la Vendée et les Deux Sèvres. C’est ce qui frappait encore le plus un observateur lorsqu’il venait dans l’Ouest : cette impression de pénétrer dans une région un peu mystérieuse où la vie humaine semblait parfois s’être cachée au fond des chemins creux parcourant le bocage.

Finalement, on trouve peu de descriptions de la vie familiale, laborieuse ou récréative des milieux populaires de l’ouest de la France sous l’Ancien Régime. Par contre, « au 19e

siècle, qu’ils soient artistes résidant dans la province, ou bien y voyageant ou bien encore fonctionnaires en mission dans tel chef-lieu d’arrondissement, de nombreux hommes montrent un vif intérêt pour la Bretagne. Leurs textes ou leurs œuvres, le plus souvent teintés de misérabilisme, fournissent d’abondantes descriptions des mœurs des populations bretonnes. Jacques Cambry (déjà largement cité), […] tient une place particulière parmi ces

individus qui nous livrent leurs observations et impressions. Son « voyage dans le Finistère » ou « état de ce département en 1794 et 1795 », qui fait l’objet d’une réédition critique de Fréminville en 1836, est à l’origine de la diffusion de l’image d’une Bretagne à l’écart du monde, répulsive car trop ancrée dans son passé, et en même temps sublime car témoins des origines celtes […] Olivier Perrin vit lui aussi en Bretagne, à Quimper. Il publie à partir de 1808 un recueil de gravures intitulé « Galeries des mœurs, usages et coutumes des Bretons

de l’Armorique » […] Ces œuvres sont pour les artistes à venir, peintres, dessinateurs,

écrivains, photographes…, une source d’inspiration […] Chacun à sa manière est un faiseur d’image. Comment dans ces conditions retrouver la réalité ?478 ».

L’image de la « pièce à vivre », unique salle commune où l’on vit en famille, fait peut-être partie des clichés plus ou moins subjectifs, mais même « déconstruite », elle offre cependant des références communes qui ne sont pas contestables. Celle de la présence des animaux d’élevage à proximité, afin de profiter de la chaleur des bêtes, malgré toutes les incommodités que cela entraîne (bruits, mauvaises odeurs, problèmes sanitaires) ne l’est pas moins. « La description des maisons rennaises que laisse Dubuisson-Aubenay […] emporte la

477 Emile Souvestre, Les derniers Bretons, Tome second, nouvelle édition entièrement revue et corrigée, Michel Lévy frères, libraires éditeurs, Paris, 1866, p 215 et 216. books.google.com

478 Eric Morin, Quand les Bretons passent à table, ouvrage collectif produit par l’association Buhez (Musées et écomusées de Bretagne) aux éditions Apogée, Rennes, 1994, p 16 et 17.

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conviction, affirme Alain Croix : par dedans elles sont mal ordonnées, les chambres et

quartiers mal disposés. En la plupart des logis, il faut passer à travers la sale ou cuisine pour aller à l’escurie ou estable. C’est comme au reste de la Bretagne : les bestiaux passent par mesme passage que les hommes, et peu s’en faut qu’ils ne logent ensemble […] Leur meuble

est à l’avenant : leurs lits sont forts courts et fort aults de terre, leurs tables aultes et leur sièges d’autour fort bas. Les puces et punaises n’y manquent pas 479». Et le professeur Croix de préciser concernant la Basse Bretagne, que « là où il est utilisé, le lit-clos n’est sûrement

pas un lit douillet que pour les hommes : les parasites de tous ordres y trouvent abri et sécurité480». C’est d’autant plus certain que les logements sont en général peu aérés et mal éclairés. « Le plus grand nombre de ces chambres ne reçoit le jour que par des lucarnes

étroites et on y allume de feu que pour préparer les aliments481», écrit le docteur Bucquet concernant les logements des Lavallois. Enfin, pour terminer cette courte partie concernant le milieu de vie, notons que, contrairement aux idées reçues, la cheminée si typique des clichés de la demeure bretonne traditionnelle et de la maison rurale européenne en général, n’est pas toujours présente, même en ville à l’époque moderne. « Sinon, pourquoi, se demande l’historien, les bourgeois malouins interdiraient-ils après l’incendie de 1661 de faire du feu

dans les pièces sans cheminée482». C’est bien que certains habitants en plein XVIIe siècle font simplement un feu au milieu de la pièce, pour cuire leurs aliments et se chauffer ! A travers ces maigres témoignages, il apparaît cependant plus qu’évident que l’habitat et les conditions de vie des populations de l’Ouest d’il y a moins de quatre cents ans, n’ont pas beaucoup évolué par rapport à ceux de leurs ancêtres celtes plus de mille ans auparavant.

Passons maintenant aux objets domestiques et à l’alimentation. En Bretagne, « la

cheminée est le centre de la vie, écrit l’ethnologue François Hubert. Elle regroupe des

fonctions essentielles, pratiques (chaleur et confection des repas), sociales (par sa décoration et son organisation, elle est un système de représentation de la maisonnée, et c’est devant elle que se déroulent les veillées), symboliques et religieuses enfin : le crucifix et les images pieuses trônent sur le manteau de la cheminée, la transformant parfois en véritable “autel domestique ”, et c’est autour du feu que sont lues les “ vies des Saints”483». Nous sommes là

479 Alain Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles, la vie, la mort, la foi, maloine s.a. éditeur, 1981, p 803.

480 Ibid, p 804. Le lit-clos est une sorte d’armoire à portes coulissantes, où les Bas Bretons s’enfermaient pour dormir. Il était encore largement utilisé dans le Finistère jusque dans les années 1960.

481 François Lebrun, Croyances et Cultures dans la France d’Ancien Régime, Editions du Seuil, 2001, p 231.

482 Alain Croix, La Bretagne aux 16e et 17e siècles, la vie, la mort, la foi, maloine s.a. éditeur, 1981, p 802.

483 François Hubert et Patrick Hervé, Quand les Bretons passent à table, ouvrage collectif produit par l’association Buhez (Musées et écomusées de Bretagne) aux éditions Apogée, Rennes, 1994, p 22.

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Le granit et le chêne, matériaux de base des demeures bretonnes

Extérieur et intérieur de l’habitat traditionnel de l’Armorique (maison de 1736) (D.A 2003)

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