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Deux options pour appréhender la situation : le travail ou l’action ?

SOCIAUX de L’ACTIVITE

1. Le sujet social et le couplage action/ situation

1.1 Deux options pour appréhender la situation : le travail ou l’action ?

Dans les recherches en formation professionnelle, l’intérêt pour le travail et subséquemment pour la situation de travail est récent. L’environnement est plutôt considéré comme le décor

dans lequel s’organiseront les choses sérieuses : l’apprentissage, les actions de formation, etc. Il n’est donc pas ignoré, mais reste encore négligé (Goffman, 1961). La notion de situation telle qu’elle est abordée en psychologie ergonomique (leplat, 1995, 2000) en tant que ce avec quoi un professionnel se débat, ce avec quoi il doit composer, est régulièrement retravaillée (Leplat, 1999 ; Barbier et Durand, 2004). De ces points de vue, elle est considérée comme la sélection qu’opère le sujet dans le contexte, et dont témoigne l’activité. Nous proposons d’analyser plus avant la distinction entre situation de travail et situation d’action, en faisant l’hypothèse qu’elles mobilisent des variables diverses en nature, en nombre, en statut, en fonction.

A/ La situation de travail, objet de transaction

La première question est de savoir quelle situation est découpée par chacun dans le milieu. Cette « découpe » dépend pour une part du périmètre objectivable de la tâche à réaliser, l’ensemble tâche /activité « faisant situation ». D’autres manières de comprendre tout découpage de la situation dans l’environnement de travail peuvent être évoquées que l’on peut formuler rapidement comme le rapport réciproque des individus et des groupes.

Les groupes sont des organisations font vivre des normes (Canguilhem, 2003). Durkheim (1983) postule ainsi que l’action résulte de l’application d’une règle intériorisée par l’acteur. Celui-ci peut être considéré comme une cire molle, son identité sociale étant issue d’un modèle culturel transmis par la génération précédente, sachant que le sens de la socialisation est unilatéral. Dans cette perspective, l’identité collective est mise en exergue ; la norme sociale est un schéma dont l’ordre régit les conduites sociales : elle rend compte de l’action collective. Thévenot (2006) critique cette position en rejetant l’idée que les normes sociales, les lois, les règles exprimant des régularités et établissant des causes communes soient un déterminant de l’action qui construisent le cadre d’une action rationnelle. De son côté, Jarniou (1981) soulignant le risque de confusion entre norme et règle, distingue la norme de la règle, produit d’une décision : « La règle en principe oblige, contraint, alors que la norme oriente et informe. La règle est une contrainte pour l’action, alors que la norme est seulement un critère pour l’action »(p. 46). La norme joue un rôle de guide de l’action, tout en laissant une marge de manœuvre aux individus. Si la norme, prescriptive, n’est pas pour autant déterminante, la règle s’applique aux individus, sous peine de sanction.

En effet, le travail avec autrui génère des transactions, des négociations de la norme, des règles en relation à l’activité déployée par chacun. Crozier et Friedberg (1977) l’avaient déjà

signalé : « la norme conditionne l’action et simultanément est conditionnée par l’action ». Les normes qui orientent l’action d’un individu sont le résultat de ses apprentissages, de ses expériences passées. Ces normes ne sont pas indépendantes du collectif et se transforment sous l’effet de multiples contributions des « autruis significatifs » (Mead, 1933). Si en effet, l’organisation du travail doit se conformer aux attentes institutionnelles et aux pratiques en vigueur, elle doit aussi intégrer, interpréter ces pratiques, les transformer afin de recréer ses propres normes et les diffuser. La situation de travail doit satisfaire en d’autres termes à une double légitimité : institutionnelle, en tant que représentation de l’organisation cohérente avec les finalités, avec le projet politique de la firme ; personnelle, en tant qu’espace accessible au pouvoir et à l’autonomie d’un sujet. Ce double mouvement met en évidence le tiers espace de « l’organisation du travail », au centre du décalage institution / pratique qu’elle subit mais produit également. Cette organisation contribue par son fonctionnement à la production de normes et de règles : elle peut ainsi être comprise comme un système structuré et structurant. Gather-Turler (1994) souligne de ce fait que l’intégration des normes et des pratiques, par le biais d’interprétations personnelles, est objet de conflits entre acteurs, chacun possédant ses propres normes. Les « normes collectives » reflètent alors les valeurs, les pratiques, la politique de l’organisation. Ainsi, les normes ne sont pas « des déterminants causaux, mais plutôt un schéma pratique, un support collectif. Les normes explicites et implicites permettent des ajustements cognitifs individuels et collectifs dans des situations toujours nouvelles » (De Munck, 1999).

Considérant les descriptions de terrains rencontrés, la situation de travail se caractériserait par sa nature d’éco-système au sens où elle n’est ni collection, ni juxtaposition d’éléments dans lesquels un sujet puiserait, mais comme raccourci d’histoires, d’énergie et d’objets qui ont entre eux des rapports indiscutables.

Dans une perspective de formation la question de la solidarité et l’équilibre entre les éléments de ce complexe se résout dans des rapports fonctionnels et structuraux qu’il s’agit d’élucider.

B/ Le sens de la situation : une émergence de l’action

L'approche du cours d'action, reprise dans les travaux de Durand (2006), fait le lien entre la culture et la norme. La culture n'est pas envisagée dans ce cas comme une prescription, un conditionnement transmis par les aînés mais comme une source et une ressource pour l'activité à chaque instant. Les normes émanent de cette culture et définissent l'action qui convient ou la bonne pratique avant même son exécution. Il s'agit un référentiel opératif

l'efficacité et la pertinence de l'action qui intègre cet héritage culturel et maintiennent, tout au long d’une activité, un sens partagé. Cette culture prend donc des formes de valeurs, savoirs,

normes, propres à chacun, qui sont investies dans les activités et revêtent des significations,

des valeurs singulières et qui supposent des raisons d'agir propres.

Le discours des opérateurs intègre dans son énonciation même ce qui fonde le travail, c’est-à-dire la construction que chacun fait de son action, ses interrogations et le recul critique qu’ils ont pris. A ce titre, leur discours produit une vérité qui ne livre pas toujours ses fondements33. Le sujet agissant pas plus que l’objet, ne préexistent, mais s’inventent au regard de la pratique, qui se traduit en approches de l’événement, en actes singuliers, en processus concrets. Les travaux de Dubar (1992), Kaddouri (2004), Chaix (1994) invitent à y voir un processus individuel de construction identitaire comme déterminant la façon dont l’action se réalise. En d’autres termes, l’identité attribuée, acquise, inviterait au respect d’une sémantique de l’action. Pour autant, l’évolution de la conduite d’un sujet au travail ne peut être réduite au seul jeu des confrontations entre l’identité pour soi, l’identité pour autrui, entre socialisation primaire et secondaire (liée à l’apprentissage de rôles sociaux).

Ces éléments ne sont pas sans incidence épistémologique : d’une part, la situation devient une

exposition du professionnel, ce qui se donne à voir, d’autre part, la situation est un champ de

forces, de dynamiques, dans lequel les hommes vivent et dans lequel ils puisent pour les utiliser et s’y maintenir. La situation apparaît donc comme un potentiel d’espace, de dispositions* structurales exploitables par un assortiment de modes et formats d’apprentissage. A cet égard toute pertinence didactique vise à l’usage le plus complet et le plus équilibré possible du « capital » de la situation.

1.2 L’activité intégratrice du rapport à la situation de travail: le sujet social entre