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1.4. Optimisation des propriétés thermoélectriques

1.4.2. Optimisation synergique de différents paramètres

L’ensemble des stratégies présenté jusqu’à présent s’attache principalement à optimiser soit l’un des deux termes du facteur de puissance (α²σ), en évitant parfois la dévalorisation du second terme, soit à améliorer la conductivité thermique. Nous allons aborder maintenant des approches qui ont l’avantage de s’attaquer simultanément au problème du facteur de puissance et de la conductivité thermique de réseau.

22 1.4.2.1. Alignement des cristallites

Industriellement, pour des raisons de coûts de procédés, les matériaux thermoélectriques utilisés sont généralement polycristallins. Or, les propriétés de transport des matériaux peuvent présenter une plus ou moins grande anisotropie. On peut alors dans certains cas avoir un effet de moyenne défavorable. Le tableau 2 d’après Dehkordi et al. [30], donne quelques valeurs d’anisotropie pour certains matériaux thermoélectriques.

Tableau 2 : anisotropie des propriétés thermoélectriques d'après Dehkordi et al. [30]

Matériau Concentration de porteurs (1019.cm-3) αab/ αc ρc/ ρab λab/ λc Bi0,5Sb1.5Te3 3,3 1 3 1,8 Bi0,4Sb1,6Te3 5,9 0,88 2,6 2,15 Bi2Sb2,85Se0,15 4 1,04 5,05 2,21 Ca3Co4O9 - 1-2 5-15,5 2-3 NaCo2O4 2,4 - 42 - MnSi1,73 100 1-2,1 8,5 1,5

Où αab/ αc , ρc/ ρab et λab/ λc sont les rapports entre les coefficients de Seebeck, les résistivités électriques et les conductivités thermiques selon différentes directions cristallographiques.

Afin d’optimiser les propriétés thermoélectriques, l’alignement des cristallites selon une direction peut être mis en œuvre via différents procédés, on parle alors de texturation du matériau :

· Un alignement mécanique lors de la mise en forme, par exemple Ben-Yehuda et al. [31] obtiennent un facteur de puissance deux fois plus important dans la direction de la pression appliquée pour un alliage Bi0,4Sb1,6Te3. La mise en forme a été faite par application d’une pression de 800 MPa avant frittage.

· Un alignement basé sur des méthodes d’extrusion à haute température, qui requièrent toutefois une bonne ductilité du matériau et peuvent conduire à une bonne texturation et à de bonnes propriétés thermoélectriques [32].

· Un alignement basé sur la déformation plastique du matériau déjà mis en forme par « re-pressage ». Il s’agit de déformer, plastiquement, le matériau dans une matrice de dimension supérieure. Une augmentation de facteur de mérite de l’ordre de 50 % a ainsi été rapportée [33] [34].

· Pour les composés possédant également une anisotropie des propriétés magnétiques un alignement par un champ magnétique est également possible comme dans le cas de Ca3Co4O9 [30].

1.4.2.2. Nano structuration

Comme on peut le supposer, la multiplication des interfaces liée à la nano structuration conduit à une diffusion plus importante des phonons et donc à une diminution de λph,[35]. De plus, comme nous l’avons évoqué, une densité d’états asymétrique, à concentration de porteurs égale, favorise un coefficient de Seebeck élevé. L’utilisation de nanostructures permet un confinement quantique des porteurs, entraînant ainsi une forte asymétrie. De plus, de nouveaux phénomènes apparaissent et permettent d’envisager

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d’influer de manière indépendante sur α, σ et le. La figure 11, d’après [36] présente les densités d’état pour différentes structures nanométriques.

Figure 11 : densités d'états pour : a) un système nanocristallin (3D), b) une succession de puits quantiques (2D), c) un nanotube ou un nanofil (1D), d) des boites quantiques (0D).

On peut citer à titre d’exemples d’utilisation de nanostructures :

o Le cas de super réseaux de PbTe et Pb1-xEuxTe qui ont permis de faire la démonstration expérimentale d’une augmentation du facteur de mérite dans le cas de structures 2D par rapport au matériau massif [37] [38].

o Le cas de super réseaux constitué de boites quantiques (Quantum Dots SuperLattice : QDSL) à base de PbTe/ PbSe0,98Te0,02 sur un substrat de BaF2 associé à une couche mince de PbTe ayant un facteur de mérite de 3,5 à 570 K [39].

o Le cas du bismuth qui subit une transition semi-métal semi-conducteur lorsque l’on utilise des nanofils de dimensions suffisamment petites ce qui permet d’exploiter le fort coefficient de Seebeck du matériau [40].

Comme on le constate, ces exemples sont liés aux technologies couches minces, excepté pour le bismuth mais il s’agit d’une application particulière. Les deux approches que nous allons aborder un peu plus en détail dans la suite sont des approches « facilement » applicables aux matériaux massifs, ceux-ci ayant une gamme d’application plus grande.

1.4.2.3. Filtrage en énergie (energy filtering)

Cette méthode exploite la nanostructuration de matériaux massifs, à travers l’introduction de barrières de potentiel, sous forme d’interfaces, qui vont permettre d’augmenter le coefficient de Seebeck avec une diminution réduite de la conductivité. Ce concept s’appuie sur le fait que le coefficient de Seebeck, pour un semi-conducteur dégénéré, est la somme de deux contributions de signes opposés : la contribution des porteurs de charge ayant une énergie inférieure au potentiel chimique et de ceux ayant une énergie supérieure au potentiel chimique (expression (23)). En effet, les porteurs ayant une énergie telle que la différence

E-µi soit négative contribuent de manière opposée aux porteurs dont l’énergie est telle que E-µi soit positive.

La figure 12 permet de visualiser l’effet de « filtrage en énergie » des porteurs au niveau d’une barrière de potentiel localisée aux joints de grains. Les porteurs de charges ont une distribution en énergie telle que l’énergie de certains porteurs est inférieure à la hauteur de la barrière de potentiel située par exemple

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aux joints de grains. Une hauteur de barrière choisie correctement peut permettre d’éliminer les porteurs qui contribuent de manière négative au coefficient de Seebeck.

Figure 12 : schéma de principe de filtrage en énergie

L’effet de la barrière est en fait de diffuser préférentiellement les porteurs de basse énergie. Le fait de diffuser préférentiellement certains porteurs correspond à introduire une dépendance énergétique supplémentaire dans le terme τ(E). En effet, le temps de relaxation, qui correspond au temps entre deux collisions, peut s’exprimer selon la relation (33). On constate alors que la dépendance énergétique est liée au facteur de diffusion r :

0 =10Wv

•_ŒfNOP (33) Où τ0 est un temps de relaxation indépendant de E

Et r est le facteur de diffusion qui dépend du mode de diffusion de porteurs de charge, dont différentes valeurs sont rapportées tableau 3.

Tableau 3 : facteurs de diffusion d’après [4]

Mode de diffusion des porteurs de charge r : facteur de diffusion

Phonons acoustiques 0

Phonons optiques 1

Impuretés ionisées 2

Impuretés neutres 0,5

De nombreux travaux théoriques sur la nature de la barrière et ses effets attendus ont été réalisés récemment [41], [42], [43], [44]. Les principaux cas étudiés et qui prédisent un effet de filtrage en énergie étant :

o l’effet de nano inclusions créant localement des barrières

o l’effet d’une phase secondaire ségrégée aux joints de grains créant ainsi une barrière autour de chaque grain.

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La conséquence du filtrage d’une partie des porteurs de charges est une diminution de la conductivité électrique (fonction de transport) mais elle est largement compensée par l’augmentation concomitante du coefficient de Seebeck, [10].

Les résultats expérimentaux disponibles dans la littérature suggèrent que cette approche permet effectivement une amélioration du facteur de mérite. Heremans et al. [45], montrent que l’on passe d’un coefficient de Seebeck égal à 260µV/K à 480µV/K pour une concentration de porteurs similaire lorsque l’on passe de PbTe à PbTe nanostructuré. Ils montrent effectivement une différence de paramètre de diffusion mais la diminution de conductivité résultante dans cet exemple est trop importante pour être compensée par l’augmentation du coefficient de Seebeck.

Un second exemple effectif de filtrage en énergie a été mis en évidence sur un matériau particulièrement intéressant dans le cadre de notre étude : Zn4Sb3. Ainsi Zou et al.[46], mettent en évidence un écart à la relation de Pisarenko dans un composite Zn4Sb3 /(Bi2Te3)0,2(Sb2Te3)0,8 qu’ils attribuent au changement de mécanisme de diffusion lié à la présence de (Bi2Te3)0,2(Sb2Te3)0,8 au niveau des joints de grains. Ils obtiennent ainsi un facteur de puissance qui passe de 1.10-3 (W.m-2.K-1) à 1,25 10-3 (W.m-2.K-1) à 650 K. La présence de (Bi2Te3)0,2(Sb2Te3)0,8 induisant également une diminution de la conductivité thermique, le facteur de mérite passe de 0,7 à 1,1 à 650 K. Il faut toutefois prendre des précautions lors du choix des inclusions puisque, comme dans le cas d’inclusions de platine dans Sb2Te3, un effet de dopage simultané peut venir amoindrir l’effet positif du filtrage en énergie, [47].

Enfin, très récemment, Berland et al. [48] étudient par calcul DFT et expérimentalement l’effet du filtrage en énergie des porteurs dans le cas de ZnSb. Ils simulent la présence d’une barrière de potentiel en supprimant la contribution du sommet de la bande de valence. Ils déterminent ainsi que pour des concentrations de porteurs élevées (1020 à 1021 cm-3) il est théoriquement possible d’augmenter le facteur de puissance d’un ordre de grandeur. Expérimentalement, ils obtiennent via un broyage cryogénique, à 77 K, des cristallites de 70 nm. Le faible accord entre le modèle considéré et les résultats expérimentaux est expliqué par le fait que cette taille de cristallites est encore trop importante pour induire un effet de filtrage en énergie significatif. Les auteurs n’excluent cependant pas la possibilité de filtrage en énergie des porteurs pour de plus petites cristallites.

1.4.2.4. Dopage modulé

Le dopage modulé, qui a valu le prix Nobel en 1998 à Horst L. Störmer, est une forme de dopage qui a été mise en œuvre depuis de nombreuses années dans le domaine de la microélectronique et qui permet une augmentation de la conductivité électrique en limitant la diffusion par les impuretés.

Il s’agit, dans le cas du matériau massif, de réaliser un composite pour séparer spatialement les défauts à l’origine du dopage et les porteurs de charge. Cette séparation entraine une diminution de la diffusion par les impuretés. On observe alors un dopage sans perte de mobilité, [49], ou autrement dit pour une même concentration de porteurs la mobilité est augmentée. La figure 13 illustre le principe du dopage modulé dans un matériau 3D massif avec des particules de même nature dopées.

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Figure 13 : illustration du principe de dopage modulé avec des particules dopées

Cette approche initialement réservée aux couches minces a été mise en œuvre avec succès dans le cadre des travaux réalisés par Zebarjadi et al. [49], sur l’inclusion de nanoparticules de silicium dopé au bore dans une matrice de SiGe. Les résultats montrent une augmentation du facteur de mérite qui résulte d’une augmentation de la conductivité électrique. La réduction de la conductivité thermique est limitée mais le facteur de mérite est également amélioré par rapport à un dopage classique, figure 14.

200 400 600 800 1000 1200 0,0 0,2 0,4 0,6 0,8 1,0 1,2 Z T Température (K) Si 80Ge 20 SI 84Ge 16P 0,6 (dopage classique) (Si80Ge20)80(Si100P3)20(dopage modulé)

Figure 14 : facteur de mérite ZT pour différents matériaux à base de SiGe d’après [49]

Les auteurs proposent un modèle pour la détermination de la conductivité, du coefficient de Seebeck et de la conductivité thermique à température ambiante du composite (AB) à partir des valeurs obtenues pour les deux constituants (A et B).

Pour la conductivité électrique, une simple loi de mélange ne suffit pas puisqu’il y a une redistribution des porteurs de charge entre la matrice et les particules. Il faut alors faire intervenir des densités de porteurs modifiées (34) [49] :

27 ;

Q—} =1™€˜y9™€˜—}}y}

(34)

nA et nB sont les densités de porteurs modifiées de A et B νA et νB sont les fractions volumiques de A et B

μA et μB sont les mobilités dans A et B et q est la charge élémentaire.

Le coefficient de Seebeck est obtenu en considérant une association en série des deux constituants du composite (37): !—} = !˜ M 9 !}M}˜} ˜ M 9 ˜M}} (35)

Pour la conductivité thermique les auteurs adoptent l’approche d’une loi de mélange classique. Avec ce modèle simple les auteurs obtiennent un accord à 20 % près par rapport aux résultats expérimentaux.

D’autres essais plus récents peuvent également être évoqués :

· Yu et al. [50] rapportent le dopage modulé de Si0,8Ge0,2 par des nanoparticules de Si0,680Ge0,291P0,029 . Dans ce cas, les nombreuses données sur les hétérojonctions dans ces systèmes ont permis aux auteurs de choisir les nano particules en fonction de l’alignement des bandes de valence de la matrice et des particules. Le facteur de mérite a, dans ce cas, été augmenté de 40 % à 1023 K.

· Wu et al. [51] rapportent une augmentation de 47 % du facteur de mérite grâce au dopage modulé de BiAgSeS par BiAgSeS1-xClx . La mise en évidence du phénomène de dopage modulé est faite par la mesure de la mobilité des matériaux qui montrent dans le cas du composite une mobilité, à concentration de porteurs égale, plus importante d’environ 40 %.

Jusqu’à présent, le matériau dopant était constitué de la même phase dopée [49-52]. On trouve aussi dans la littérature des cas de dopage modulé par des nanoparticules de nature différente : Koirala et al.

[53] attribuent à la présence de nanoparticules de cuivre les bonnes performances en terme de

conductivité électrique du matériau FeSb2. L’ajout des nano particules de cuivre ayant pour effet d’également diminuer la conductivité thermique, le facteur de mérite observé est rapporté comme augmenté de 0,01 à 0,021 soit 110 %.