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Optimisation légale et acceptable

Dans le document Le risque fiscal réinventé (Page 71-75)

Chapitre 2 : Mise en perspective

2. Le « Comment »

2.2 Incertitude de conformité

2.2.1 Optimisation légale et acceptable

1) L’élargissement de la notion d’abus de droit est traité dans la partie théorique suivant une approche purement juridique26. C’est suivant cette approche juridique que Solvay Business School et SPF Finances échangent des points de vue différents.

D’une part, Solvay Business School affirme que la Belgique est un pays de droit et que d’un point de vue juridique, le choix de la voie la moins imposée est inscrit noir sur blanc dans la jurisprudence : « En Belgique on a encore le principe du choix de la voie la moins imposée, établi et répété par la Cour de Cassation » (Solvay Business School, pp. 5-6). Il est donc inutile de prendre en considération la notion d’abus de droit élargie ou pas, tant que l’on reste dans la légalité : « Mais s’il y a un trou dans la loi et que tu rentres dans ce trou, tant mieux pour toi » (Solvay Business School, p. 6).

D’autre part, le SPF Finances rappelle que derrière un texte de loi se cache toujours une interprétation de celui-ci. Dans le cas de l’abus de droit, l’Arrêt Brepols de 1961 légalisant le choix de la voie la moins imposée est une épée de Damoclès pour qui en use :

Effectivement, on a toujours cette jurisprudence qu’on a qualifiée à l’époque d’

« Arrêt Brepols » et tout ce qui en a suivi, mais les normes anti-abus peuvent être remises en cause et là-dessus, l’incertitude législative existe, on sait qu’il y a ce texte,

26 Cf. Problème juridique de la dimension légale de l’optimisation fiscale

mais on ne sait pas comment il va être interprété. Il ajoute à l’incertitude de conformité une sorte d’épée de Damoclès (SPF Finances, p. 6).

Enfin, Solvay Business School nuance tout de même ses propos en concédant que l’utilisation de la voie la moins imposée doit être conditionnée en fonction de la substance économique de la décision d’optimisation : « (…) la substance est importante donc moi je ne conseillerais plus à une entreprise d’établir une filiale au Luxembourg sans aucune substance » (Solvay Business School, p. 6). Cette condition incite donc les entreprises à être plus prudentes lors de l’utilisation des textes légaux : « Oui, tout à fait, les entreprises sont plus prudentes. Il n’y a aucun doute. (…) c’est la peur de ne pas être en conformité, tout simplement » (Solvay Business School, p. 6).

Notons que le SPF Finances, similairement à ce qui est ressorti dans la conclusion sur l’incertitude législative, insiste sur l’influence, parfois illégitime, de la politique dans l’exercice d’interprétation de la législation :

Le législateur est censé refléter la position de l’électorat. Maintenant quand on sait comment fonctionne notre pays, il suffit de changer de majorité pour qu’on change d’interprétation sur certains points, sans que toute la population ne soit nécessairement derrière les modifications (SPF Finances, p. 5).

2) La sous-variable « Décalage de perception de la conformité entreprises/autorités fiscales » est traitée dans la partie théorique comme l’incertitude émanant du problème éthique de l’optimisation légale.

La mise en perspective apporte beaucoup de nuance à cette sous-variable puisque 5 intervenants sur 6 l’ont abordée.

Tout d’abord, il est important de préciser qu’Engie cautionne parfaitement la théorie puisqu’il confirme que la perception de conformité des représentants de l’administration fiscale a changé : « Je ne suis pas convaincu, mais ce qui a changé, c’est la perception publique y compris ceux qui représentent l’administration fiscale » (Engie, p. 4). SPF Finances va aussi dans ce sens en affirmant que si un contrôleur se retrouve face à une position fiscale parfaitement conforme, la loi applicable a beaucoup de mal à évincer les a priori éthiques de l’agent de contrôle :

Certainement, mais je ne peux pas sonder les agents puisque vous allez avoir autant de variétés (d’a priori) que dans la population. Ça va certainement influencer, mais le texte légal de loi s’imposant, la marge de manœuvre est restreinte. Si le Conseil de l’entreprise dit : « ok, vous êtes très gentils de nous dire que nous ne sommes pas éthiques, mais nous respectons tous les textes qui soient », ça va être un long combat » (SPF Finances, p. 7).

Ensuite, les intervenants continuent à suivre la logique théorique et placent à nouveau le décalage de perception au niveau de la dimension légale de l’optimisation fiscale. Ils situent ce décalage dans le type de relation qu’une entreprise est capable d’entretenir avec les autorités fiscales.

3 types de relations ont été abordées :

- La relation formelle: pour Deloitte, l’incertitude de conformité liée au décalage de perception entre entreprises et autorités fiscales provient du fait que les entreprises multinationales et les organes de contrôle s’influencent trop mutuellement. Parfois les jeux d’influence sont tels qu’ils s’apparentent à de véritables contrats :

“And in Germany and The Netherlands, the government and the supervisory bodies including the tax authorities, they are much more at a distance from the multinational than they are in Belgium. And that’s a risk. That’s a risk because multinationals can make deals with authorities ” (Deloitte, pp. 2-3).

- La relation informelle: pour Zetes Group, il est possible d’établir une discussion avec les autorités fiscales, par exemple, lors d’un contrôle. Le décalage de perception se manifeste alors dans un cadre de discussion non structuré, ce qui crée énormément d’incertitude de conformité : « Non, on n’a pas de rulings, mais beaucoup de discussions à l’occasion des contrôles » (Zetes Group, p. 3).

- La relation conflictuelle : Solvay Business School dénonce la vision conflictuelle de la relation entre les autorités fiscales et les entreprises. Selon lui, les autorités fiscales étant toujours considérées comme les « méchants » et les entreprises comme les

« bons », le décalage de perception se nourrit des a priori intrinsèques à cette relation : « En Belgique, on a une vue : cowboy-indien. On parle du fisc, c’est le mauvais et nous on est les bons » (Solvay Business School, p. 8).

Ensuite, deux intervenants transposent également le problème de la perception de conformité à la dimension acceptable de l’optimisation fiscale.

D’une part, Zetes Group opère ce tranfert en affirmant qu’il est extrêment compliqué de rester conforme avec une loi basée sur une vision mécanique du marché. Il regrette, par exemple, l’absence de mécanisme de compensation des pertes par les bénéfices entre pays d’activité : « Moi je n’ai pas de problème à payer un impôt, j’ai une difficulté à avoir une vision mécanique de la société qui est de dire : elle a une activité, elle a un profit » (Zetes Group, p. 7). Il voit dans la notion d’acceptabilité, un impôt qui n’est pas stérile face aux réalités de marché :

La difficulté qu’on a nous, c’est qu’on a des sociétés en perte et en profit. Sur celles en perte, on ne sait rien faire et sur celles en profit on paye plein pot. Puis quand tu additionnes les deux tu te retrouves avec un taux d’imposition qui est super élevé. Tu ne sais évidemment pas compenser tes pertes et tes profits (Zetes Group, p. 6).

D’autre part, SPF Finances réagit aux propos de Zetes Group en insitant sur le fait que : « (…) n’est acceptable que ce qui est légal » (SPF Fiances, p. 4). Il affirme également que le conflit que mentionne Zetes Group concernant la prise en considération des réalités de marché par la loi n’a pas lieu d’être puisque : « Dans la mesure où le but de l’entreprise c’est de faire du profit et que le législateur de se dire que tout ce qui est profit est taxable. Donc on pourrait presque penser qu’il y a un but commun » (SPF Finances, p.

11).

3) Le dilemme entre exigences de transparence et individualisation de la responsabilité ou inéfficacité en cas de réévaluation des valeurs, qui s’impose au fiscaliste, intervient au moment de définir s’il est opportun de formaliser ou informaliser le processus de détermination de la dimension acceptable de la stratégie d’optimisation. En d’autres mots, comment donner un cadre d’action (formel ou pas) au fiscaliste pour lui permettre de s’orienter sur un terrain peu régi par un cadre légal.

Cette sous-variable source d’incertitude a été abordée par l’intégralité des intervenants.

2 sur 6 préconisent une formalisation du processus et les 4 autres préfèrent avoir recours à des méthodes de gestion informelles.

D’une part, Deloitte indique que la majorité des multinationales aborde cette incertitude par l’élaboration d’un « Code de Conduite » qui généralement reprend également les considérations d’intégrité comportementale à adopter. Néanmoins, il indique que les multinationales belges n’ont pas souvent recours à ce genre de formalisation de l’incertitude :

Yes, most of the companies cover it with the Code of Conduct. How should people behave in the company and what is normally done and what is not in the company?

But I can tell you that in Belgium this is not very common. I don’t know if you focus more on the international, but in Belgium the Code of Conduct and the Integrity Code as part of the Code of Conduct, that’s not very common in Belgium (Deloitte, p. 2).

Le SPF Finances mentionne un « Code de déontologie » que chaque fonctionnaire doit signer au début de sa carrière. Il présente ce « Code de déontologie » comme un support au cadre légal classique applicable à l’ensemble des fonctionnaires. Il est intéressant de noter que le SPF Finances voit dans les deux référentiels des moyens formels pour poser

des limites au comportement du fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions : « Il existe au niveau du SPF Finance, un code de déontologie que tous les agents ont accepté et signé. Il y a déjà un cadre. Cadre légal et cadre déontologique sont normalement les deux limites » (SPF Finances, p. 2).

D’autre part, Zetes Group, Solvay Business School, AB Inbev et Engie proposent d’autres moyens pour évaluer la dimension acceptable de l’impôt.

Zetes Group est le plus pragmatique puisqu’il affirme tout simplement essayer de privilégier le payement de l’impôt : « Normalement, il y a la règle, tu dois respecter la règle. Et puis derrière, on a une certaine tendance à notre niveau à privilégier le payement d’impôts » (Zetes Group, p. 2).

Solvay Business School et AB Inbev suggèrent tous les deux d’aborder la dimension acceptable de l’optimisation par une démarche basée sur la conscience des conséquences de ses actes : « Les sociétés vont prendre l’hypothèse qu’un jour leur planning sera dans les journaux » (AB Inbev, p. 1).

Soyez conscients qu’il peut y avoir des réactions et qu’il n’est pas exclu que si vous faites ce planning qui est peut-être un peu agressif mais tout à fait en conformité, vous serez en première page des journaux. (…) Et est-ce que vous voulez ça ? (Solvay Business School, p. 7).

Enfin, Engie affirme que la dimension acceptable de la statégie d’optimisation est une notion à aborder avec beaucoup de vigilance. De plus, il est essentiel que cette vigilance soit présente dans le processus décisionnel dès le Conseil d’administration. Selon Engie, la vigilance permet de s’adapter et d’adopter des stratégies durables : « Par rapport aux instructions du Conseil d’administration pas vraiment, on a toujours été très vigilants » (Engie, p. 2).

4) Le SPF Finances complète la variable « Optimisation légale et acceptable » en soulevant l’incertitude de conformité qui survient dans l’incohérence dont font preuve entre eux, les organes judiciaires dans l’interprétation des textes (SPF Finances, p. 4). Le SPF Finances, en plus d’inclure l’administration fiscale, implique également les instances judiciaires, opérant une fois le contentieux avéré, dans le processus de création d’incertitude de conformité (SPF Finances, p. 4).

Dans le document Le risque fiscal réinventé (Page 71-75)