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B. Traitement des informations olfactives

III. OLFACTION, MÉMOIRE ET ÉMOTION

1) Le codage des odeurs

Le fonctionnement de la mémoire olfactive fait débat. Certains prônent un codage holistique (global) où les odeurs seraient mémorisées comme une unité distincte, non décomposable, sans association sémantique ni processus verbal de haut niveau (Engen, 1973).

Il semblerait cependant que les odeurs soient mieux reconnues avec un support verbal ou visuel et lorsqu'on leur associe un contexte, justifiant ainsi l'importance des facteurs sémantiques dans la mémoire olfactive (Naudin et al., 2013).

Christine Perchec (1999) propose une ébauche de modèle de la mémoire olfactive pour rendre compte du traitement particulier des odeurs (annexe G). La première étape correspond à la « boîte sensorielle », c'est la réaction quasi instantanée d'acceptation ou de rejet de l'odeur. Une « image olfactive » est ensuite créée à partir de cette odeur. Puis « la recherche en mémoire à long terme » va permettre sa catégorisation (est-ce une odeur florale, boisée, fruitée ?) et sa sélection (restriction du choix). L'image olfactive est comparée aux « traces olfactives » stockées en mémoire à long terme. S'il s'agit d'une odeur familière, cette dernière étape active toutes les informations contextuelles liées à la trace sélectionnée ravivant ainsi tous les souvenirs qui lui sont associés et conduisant à son identification.

2) Les odeurs, support de mémorisation

Les odeurs constituent des indices utiles à la mémorisation. Elles favorisent la reconnaissance mais seulement si elles sont présentées lors de l'encodage et de la récupération (Perchec, 1999).

25 3) Les forteresses de la mémoire

Joël Candau (2001) considère les odeurs comme les « forteresses de la mémoire ». En effet, la mémoire olfactive se distingue des autres modalités sensorielles par sa grande résistance au temps et aux interférences (Engen, 1973). Les odeurs entretiennent des liens étroits avec la mémoire épisodique. Elles sont intégrées dans un contexte multisensoriel qui permet à la mémoire olfactive à long terme d'être très stable (Brand, 2003). Une autre particularité de cette mémoire réside en sa puissance évocatrice, idéalement illustrée par Marcel Proust dans Du côté de chez Swann (1913) :

« Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray, […] quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté. […]

Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir. »

Le pattern olfactif encodé implicitement permet de faire ressurgir en mémoire des souvenirs anciens. En effet, la puissance évocatrice de la mémoire olfactive concerne surtout les souvenirs de l'enfance et particulièrement ceux dont la charge émotionnelle est élevée (Lieury, 2010).

4) Les singularités du système olfactif

L'olfaction se démarque des autres systèmes sensoriels par les caractéristiques uniques de son circuit neuroanatomique. Le développement du système olfactif étant antérieur à celui du thalamus, les voies de l'olfaction irradient directement vers les structures archaïques situées à la base du cerveau. C'est là que les centres de la mémoire et de l'émotion sont localisés avec le système limbique qui comprend notamment l'amygdale et l'hippocampe. Cela signifie que l'olfaction possède un accès privilégié au cerveau. Ces particularités expliquent le caractère très émotionnel des odeurs et des "souvenirs" olfactifs. Les traitements dans les structures de base sont automatiques et inconscients, c'est pourquoi la première réaction lorsque l'on perçoit une odeur est d'ordre affectif, elle est appréciée ou non. C'est seulement dans un deuxième temps que les connexions olfactives se projettent vers le thalamus et le néocortex, au contraire des autres systèmes sensoriels qui sont directement reliés au néocortex (Brand, 2003). Le stimulus pourra alors être analysé consciemment grâce aux rameaux vers le néocortex qui relient les structures archaïques au cortex orbitofrontal (Bustany, 2010).

26 Le système nerveux olfactif se démarque également par la neurogenèse et la plasticité de ses connexions. Les récepteurs de la muqueuse olfactive font l'objet d'une neurogenèse locale qui dure toute la vie et qui se trouve amplifiée par l'apprentissage (Sicard, 2013). Grâce aux cellules souches de l'épithélium, les récepteurs olfactifs se régénèrent tous les 30 jours ce qui permet à la muqueuse de se renouveler suite aux éventuelles agressions toxiques de l'environnement extérieur (Brand, 2003). Les « cartes olfactives » qui codent pour la distribution spatiale des récepteurs au sein de l'épithélium et pour leur projection au niveau du bulbe olfactif sont donc réorganisées en permanence (Balleydier et al., 2006). Par ailleurs, une autre forme de neurogenèse secondaire s'exprime dans le bulbe olfactif et dans l'hippocampe (Chevigny et al., 2006). Dans un cerveau intègre, le renouvellement neuronal est local mais il peut s'étendre en cas d'atteinte. La plasticité de ces structures impliquées dans l'apprentissage et la mémorisation offre des perspectives de réhabilitation non négligeables, notamment en cas de lésions traumatiques, infectieuses ou après un AVC. Même s'il est beaucoup plus lent, le processus s'observe aussi dans les maladies neurodégénératives (Lemasson et al., 2003).

Des expériences fonctionnelles chez la souris ont montré que les nouveaux neurones accélèrent l'apprentissage pour la discrimination d'odeurs proches et améliorent leur mémorisation à long terme (Alonso et al., 2012).

Ces facultés exceptionnelles du système olfactif offrent de nouvelles perspectives cliniques et replacent ce sens au cœur de la recherche scientifique.

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