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Les obstacles à la nécessité d’un système financier REDD+

2. Le REDD+ et les piliers du développement durable

2.1 Un regard sur l’activité internationale pour un REDD+ viable sur le plan

2.1.2.2 Les obstacles à la nécessité d’un système financier REDD+

La présente partie est consacrée à l’étude des obstacles à la mise en place d’un système unique de financement. Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, cet état de choses peut être dommageable pour la communauté REDD+ toute entière. Un système unique de financement du REDD+ renvoie à l’intention des Parties quand elles ont décidé que le Fonds vert pour le climat est à la longue destinée à assurer le financement du REDD+.242

À la COP 21, un changement de vision s’est opéré en ce qui concerne la place du Fonds vert pour le climat. À ce titre, le projet final de l’Accord de Paris indique que la COP :

[…] [reconnaît] l’importance des ressources financières […] visant à réduire les émissions imputables au déboisement et à la dégradation des forêts, du rôle de la conservation et de la gestion durable des forêts et du renforcement des stocks de carbone forestiers, ainsi que d’autres modes d’action, tels que des démarches communes en matière d’atténuation et d’adaptation pour la gestion intégrale et durable des

240 ONU, CCNUCC, Décision 10/CP.19, au para 3 (e), supra note 106.

241 Ugo Panizza, « La finance et le développement économique » (2012) 3 Revue internationale de

politique de développement 174 à la p. 191 en ligne : https://poldev.revues.org/966

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forêts, […] en encourageant la coordination de l’appui provenant, entre autres, de sources publiques et privées, bilatérales et multilatérales, telles que le Fonds vert pour le climat et d’autres sources [...].243

Contrairement aux précédentes décisions dans lesquelles le Fonds vert pour le climat était destiné à cohabiter avec les autres sources de financement du REDD+, dans le but de parvenir à un regroupement de ses sources sous le Fonds lui-même, ici on peut observer que l’objectif correspondant à un système unique, au détriment des multiples systèmes de financement, est formellement changé pour une simple cohabitation car, dans le projet de l’Accord de Paris, le Fonds est mentionné à titre d’exemple parmi d’autres sources de financement. Du point de vue des négociations, l’on peut affirmer que ce qui empêche le Fonds vert pour le climat de devenir l’unique canal de financement du REDD+ est avant tout, la nature non contraignante du mécanisme.

En premier lieu, il importe de considérer que l’esprit du mécanisme REDD+ repose sur le principe des responsabilités communes mais différenciées. Ce principe étant également un principe de justice distributive244 dans la mesure où pour ce qui concerne le REDD+, il vise entre autres à corriger les injustices qui peuvent s’observer dans la mise en œuvre des projets REDD+, par l’octroi de financement nécessaire qui suit l’aide à la protection de l’environnement. Le REDD+ trouve son fondement donc sur un principe qui, en droit de l’environnement, n’est pas contraignant.245

De ce fait, la participation des États développés est aussi entièrement volontaire. Cet aspect du REDD+ est une constante depuis les premières négociations sur le mécanisme. En plus de n’entraîner qu’une participation volontaire des Parties, le REDD+ ne soumet les États développés qu’à une obligation de moyens. Cet état de choses engendre une situation dans laquelle plusieurs leviers de financement sont sollicités (privés comme publics), afin de réunir les moyens financiers nécessaires à la réalisation des activités REDD+. En effet, une participation volontaire entraîne inévitablement un apport limité et sporadique de la part des États qui détiennent les moyens financiers. Dès lors, il faut se contenter du rythme qui leur est propre et des apports financiers en provenance de sources privées, même si la nature volontaire de la contribution des acteurs, notamment dans les pays développés, favorise la

243 ONU, CCNUCC, COP 21, Adoption de l’Accord de Paris/Proposition du Président, supra note 53. 244 Sophie Lavallée, supra note 26.

245 « Ce n’est toutefois pas parce qu’il s’agit d’un principe indispensable pour la négociation des accords

multilatéraux environnementaux relatifs aux problèmes environnementaux globaux qu’il faut pour autant conclure qu’il s’agit d’un principe juridique contraignant », Ibid.

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participation de leviers dont les modalités d’aide et les standards ne sont pas toujours conciliables aisément.

De plus, à côté des facteurs économiques (le foncier, l’alimentation, l’agriculture, l’élevage, l’industrie du bois)246 de déforestation, qui sont de nature à influencer l’atteinte des résultats s’ils ne sont pas pris en compte, il faut mentionner d’autres facteurs de déforestation qui concernent plus exclusivement les acteurs privés opérant dans le domaine de l’agro-industrie. Bien que le REDD+ ne vise qu’indirectement ces industries, la contribution des acteurs privés semble être décisive pour contribuer de manière suffisante en termes de financement, au mécanisme. Ainsi, pour Thomas Rudel, Maria Brockhaus et al., les causes de la déforestation et de la dégradation des forêts sont autant des causes directes comme l’expansion agricole à grande et petite échelle, que des causes plus indirectes dont les intérêts d’entreprises.247

Cet état de choses a accru la responsabilité de ces entreprises, notamment lors des premières expériences REDD+. Étant donné que ces entreprises opèrent dans des secteurs qui exercent a priori des pressions importantes sur les terres, elles éprouvent une responsabilité d’entreprise historique au vu des problèmes forestiers notés dans les pays en développement. En effet, dans la plupart des études récemment menées plus spécifiquement dans le secteur de la production et du développement de biocarburants, il s’avère que le développement de ceux-ci « […] exerce [paradoxalement] des pressions plus importantes sur les terres suite aux CATi par exemple ».248

En 2020, 5,2 millions d’hectares de plus de terres agricoles seront sollicités à l’échelle mondiale.249 Cette responsabilité d’entreprise transparaît aisément dans la mise en œuvre du projet de Juma au Brésil, par exemple.250 Ainsi, l’on a assisté à des

246 « La réduction des émissions liées à la déforestation implique un coût, car qui dit protection des

forêts dit renonciation à des revenus provenant du bois d’œuvre, des cultures et du bétail », Charlotte Streck et Charlie Parker, supra note 226.

247 Monica Di Gregorio et al, « Échiquier politique et pouvoir dans les processus nationaux de politiques

générales de REDD+ », supra note 19 à la p. 89.

248 supra note 188 à la p. 95 citant: Edwards, R., Mulligan, D. et Marelli, L, Indirect land use change from

increased biofuels demand—Comparison of models and results for marginal biofuels production from different feedstocks. Joint Research Centre for the European Commission and Institute for Prospective Technological Studies, Luxembourg, Luxembourg, 2010.

249 Maria Brockhaus et Arild Angelsen, supra note 19 à la p. 65, citant Francis X. Johnson, « Les marchés

des biocarburants, la Directive de l’UE sur les énergies renouvelables et les forêts ».

250 La multinationale Coca-cola a par exemple participé en tant que levier privé de financement au côté

de Mariott International. Elle a plusieurs autres partenaires comme la Compagnie Coca-Cola Brésil depuis février 2009, Ricardo Carrere, « Brazil : Follow-up on the Juma REDD project in the Amazon »,

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mobilisations de fonds provenant de plusieurs multinationales. Il s’est donc avéré qu’une participation importante du secteur privé est devenue incontournable.251 C’est ce qui explique les changements observés au niveau des négociations pour accorder une place plus importante à la participation du secteur privé. Toutefois, la responsabilité des entreprises ne clôt pas la liste des facteurs qui expliquent la situation. Il faudrait y ajouter un manque d’autonomie des États vis-à-vis de ces importants acteurs de déforestation.252 Le manque d’autonomie dont il est question ici « […] fait référence à la mesure dans laquelle les acteurs étatiques peuvent prendre des décisions de politiques générales indépendamment de divers secteurs ».253 La conséquence de ce manque d’autonomie est donc qu’elle favorise la participation de chaque contributeur du secteur privé selon les modalités propres à ce dernier. Un autre motif souligné par Monica Di Gregorio, Maria Brockhaus, Tim Cronin et Efrian Muharrom réside dans le fait que le REDD+ est encore à une phase intermédiaire.254 Si le mécanisme fait l’objet d’un processus continu de négociations, c’est en effet pour permettre aux États de déterminer les approches les mieux adaptées. Cependant, cette phase intermédiaire a pour incidence le choix de plusieurs mécanismes de financement, même si l’objectif est d’expérimenter une variété d’option de financement qui pourra permettre la participation efficace des acteurs privés.255

156 WRM, 2010 en ligne : http://wrm.org.uy/uncategorized/brazil-follow-up-on-the-juma-redd- project-in-the-amazon/

251 « Le REDD+ est perçu comme un moyen pour les États développés d’éviter de remplir leurs

obligations ou de faire face à leurs responsabilités au titre de la CCNUCC. Il est décrié comme un mécanisme qui encourage, sur plusieurs plans, la continuité de la production de gaz à effet de serre dans les pays développés. En effet, le mécanisme peut être vu comme dépendant des activités industrielles pour ce qui concerne son financement. C’est ce qui explique le fait que plusieurs États tropicaux forestiers dont le Brésil exigeaient plutôt que le financement du REDD+ provienne exclusivement des États développés. Cependant, qu’il soit de nature privée ou publique, le financement du REDD+ est lié indirectement aux activités générant les GES » ; voir : The REDD+ Desk, Qu'est-ce que la REDD +?, en ligne : http://theredddesk.org/what-redd ; République démocratique du Congo, ministère de l’environnement, conservation de la nature et tourisme, Évaluation environnementale et

sociale stratégique du processus REDD+, 2015, à la p. 23,

https://www.forestcarbonpartnership.org/sites/fcp/files/2015/February/DRC%20REDD%2B_Process %20Framework_Cleared.pdf ; WMR, « En provenance de Durban : appel à un moratoire sur REDD+», 173 WRM, 2011, en ligne : http://wrm.org.uy/oldsite/bulletinfr/173/vue.html ; Chris Lang, REDD: an introduction, Bangkok, Thai Working Group on Climate Justice, 2011 à la p. 9, en ligne :

http://focusweb.org/sites/www.focusweb.org/files/REDDmonitor.pdf

252 « Il existe une quantité considérable de données suggérant le manque d’autonomie de l’État vis‑à‑vis

des secteurs qui impulsent la déforestation et la dégradation des forêts », Monica Di Gregorio et al., supra note 247.

253 Ibid. 254 Ibid. 255 Ibid.

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Le financement du REDD+ est donc tributaire d’un apport du secteur privé qui, à côté des populations locales directement visées, contribue de façon importante aux émissions de GES de sources forestières. De ce fait, il importe de s’interroger sur la fiabilité, les intérêts, et la qualité de ce modèle de financement. Le recours au secteur privé, essentiellement composé d’exploitants de ressources forestières et de terres forestières, pose des interrogations quant à sa pertinence. Plusieurs États ont d’ailleurs, lors des négociations, été contre les apports du secteur privé dans le REDD+.256 L’objet de cette partie n’étant pas d’approfondir cet aspect de la question, nous nous sommes limités ici à déterminer les obstacles à la mise en place d’un système unique de financement du REDD+.