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CHAPITRE 4 C ONTROLES HYDROGEOCHIMIQUES ET MICROBIENS SUR LES CYCLES REDOX DU FER ET DU SOUFRE DANS

3. PERSPECTIVES

3.3. Observer le vivant dans les aquifères

Les différents travaux menés au cours de cette thèse ont montré des similitudes inattendues de composition des communautés microbiennes entre différents aquifères géographiquement distants. Nos résultats ont aussi démontré qu’à l’échelle du bassin versant le mélange entres des masses d’eau récentes et anciennes, et donc la connexion des eaux anciennes isolées avec la surface exerce un contrôle sur la structure des communautés microbiennes via la disponibilité des accepteurs d’électrons. Cependant, malgré les mélanges des masses d’eaux les aquifères demeurent des milieux hétérogènes à plusieurs titres, en particulier dans leur partie profonde. Plusieurs types d’hétérogénéités peuvent être soulignées : en particulier (1) une hétérogénéité géologique : de par la distribution spatiale aléatoire des fractures et des connexions qui les lient entre elles ; (2) une hétérogénéité chimique : la distribution des temps de résidence contraint le temps d’interaction eau-roche et l’exposition à des polluants, et l’eau souterraine peut présenter des origines différentes (marine, minéral, météoritique) ce qui génère des conditions chimiques variées ; (3) une hétérogénéité d’habitat : les aquifères présentent deux phases de support de la biodiversité : une phase mobile, l’eau souterraine ; et une phase immobile, la roche. Des communautés microbiennes bien distinctes se développent dans l’eau souterraine, ou sous forme de biofilm au contact de la roche dans les macro et microfractures. (4) une hétérogénéité de flux hydrologiques : la connexion variable et aléatoire des masses d’eau avec la surface reflète l’hétérogénéité des flux (distance, quantité, vitesse et fréquence des circulations) dans les aquifères. L’eau constitue le lien entre les différentes niches de l’aquifère, et contrôle directement par sa circulation l’aire des niches.

Ces différentes hétérogénéités engendrent une variété de niches plus ou moins grandes. En macroécologie on relie l’hétérogénéité et la richesse d’espèces, et il est proposé que lorsque l’hétérogénéité augmente, l’aire de la niche de chaque espèce diminue. Ainsi, au- delà d’un seuil d’hétérogénéité, la richesse d’espèce finit par diminuer et des espèces peuvent disparaître (Allouche et al., 2012) (Figure 6.2). Ainsi une hétérogénéité spatiale trop importante peut provoquer une réduction de la diversité par une réduction de l’aire de la niche. Cet effet pourrait donc, dans la partie profonde très hétérogène des aquifères, aboutir à une diminution de la diversité et éventuellement à une dominance de quelques espèces spécialisées bien adaptées au milieu.

Figure 6.2 Concept du compromis entre l’hétérogénéité spatiale de la niche, l’aire de l’habitat et la richesse spécifique. A gauche : Effet de l’augmentation de l’hétérogénéité sur l’aire de l’habitat. A droite : Compromis entre l’hétérogénéité spatiale et la largeur de la niche selon le modèle de Allouche et al., 2012. La courbe orange représente l’effet d’une hétérogénéité spatiale non excessive sur la richesse spécifique : l’hétérogénéité augmente la largeur de la niche, ce qui permet une augmentation de la richesse spécifique ; la courbe orange montre l’effet d’une hétérogénéité spatiale qui devient excessive : la largeur de la niche augmente donc la richesse spécifique augmente jusqu’à ce que l’aire de l’habitat devienne trop faible ; la courbe verte représente le compromis entre les courbes orange et bleue. D’après Allouche et al., 2012.

A cette forte hétérogénéité spatiale, s’ajoute également des contraintes de forçage sur les communautés microbiennes telles que le caractère souvent oligotrophe des eaux souterraines (faible concentration en carbone organique dissous) (Bougon et al., 2012). Ce caractère oligotrophe implique des adaptations particulières pour les microorganismes qui vivent dans ces milieux (par des phénomènes de spécialisation de niche comme développé précédemment). Enfin, l’hétérogénéité spatiale des aquifères dépend largement de l’échelle d’observation du système : à l’échelle du grain de sable, d’une micro ou macrofracture ou à l’échelle des bassins versants d’une région, l’hétérogénéité ne sera pas la même et il est donc important de tenir compte de l’échelle d’observation.

3.3.2. Effet de l’échelle d’observation

La description de la diversité taxonomique dépend directement de l’échelle temporelle et spatiale à laquelle on la mesure. Elle ne représente souvent qu’une image figée à un temps donné et sur un espace donné de la diversité. La question de la représentativité des échantillonnages d’eau souterraine pour étudier l’écosystème microbien des aquifères est cruciale, d’autant plus que les aquifères présentent deux phases : une mobile et une immobile, toutes deux avec de fortes hétérogénéités. Dans nos travaux, seule la phase mobile a été étudiée car elle constitue la phase la plus accessible de l’aquifère. Ainsi pour la phase mobile, plus le volume d’eau échantillonné sera grand, plus il représentera une portion importante de l’aquifère qui inclue plus de causes d’hétérogénéités et donc présentera une diversité taxinomique plus élevée. Cependant, un échantillonnage ne reflète pas nécessairement les communautés réelles car une partie des espèces rares échappe à l’échantillonnage ou à la détection, et les espèces rares ne sont souvent pas les mêmes d’un échantillonnage à un autre. De même l’échelle temporelle sur laquelle est évaluée la diversité taxinomique impacte la vision de la composition de la communauté car les espèces microbiennes dans les eaux se déplacent au grès des flux. Une solution pour minimiser le biais d’échantillonnage est de

multiplier les réplicats d’échantillonnages dans l’espace et dans le temps pour permettre une meilleure description des communautés.

Depuis peu, des travaux de recherche se développent sur la description des communautés microbiennes des aquifères à différentes échelles, comme celle du grain et du pore, ou de la fracture ou encore du bassin versant (Ebrahimi et Or, 2015 ; Starek et al., 2011 ; Smith et al., 2015). La multiplication des échelles d’études est particulièrement importante dans les aquifères, car toutes ces échelles sont imbriquées les unes dans les autres, elles font partie d’un super-système (l’aquifère) constitué de sous-systèmes interconnectés (fractures et pores). Ces différentes échelles constituent des interfaces entre deux ou plusieurs écosystèmes interagissant entre eux, et forment donc des écotones. De même, de plus en plus d’études de diversité couvrant des évènements périodiques sur plusieurs échelles de temps dans les aquifères commencent à émerger. Ces échelles varient d’une estimation ponctuelle dans le temps, à un suivi à l’échelle saisonnière comme lors de la période de recharge des aquifères, jusqu’à l’étude pluriannuelle couvrant plusieurs cycles de recharge et décharge. Ces évènements périodiques sont importants car ils agissent sur la composition des communautés microbiennes et permettent l’apport de nouvelles sources d’électrons.

D’un point de vue purement écologique, il existe plusieurs niveaux d’investigation de la

diversité possible. Pour aborder la compréhension de la richesse spécifique et de la diversité

des microorganismes dans un milieu donné, l’échelle hiérarchique écologique adoptée est nécessairement la communauté. Dans les travaux d’écologie microbienne, ce niveau d’étude est systématiquement envisagé pour permettre une description des microorganismes en présence. Pour décrire la communauté, il est nécessaire de déterminer les espèces en présence. Comme indiqué précédemment, l’écrasante majorité des microorganismes de la biosphère n’est pas identifiée. On utilise donc des outils moléculaires pour séparer et classer les microorganismes en présence sur la base de similarité entre séquences. En règle générale, on utilise comme cible le gène codant pour l’ARNr 16S (Bactéries et Archées) ou l’ARNr 18S

pour les microorganismes eucaryotes. Cette région de l’ADN offre plusieurs avantages : (1)

présence chez tous les êtres vivants, connus et inconnus ; (2) information phylogénétique de

qualité (peu de problème d’homoplasie) ; (3) peu de problème d’évolution hétérologue

(généralement, on trouve plusieurs copie du gène qui code l’ARNr 16S sur un génome, mais compte tenu du tempo évolutif très lent pour ce gène les copies sont identiques ou très

fortement homologues) ; (4) bases de données de référence existantes. L’étude des séquences

du gène de l’ARNr 16S permet de discriminer des ‘espèces moléculaires’, appelées OTUs. Mais l’application et l’adoption de ce concept d’espèce induit certaines limites qu’on ne peut ignorer.

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