• Aucun résultat trouvé

A observait la scène avec intérêt [A : Shit man désolé j’avais complètement oublié on a une vigile organisée à 21 h…]

— La police a causé l’intervention policière, répondit Véro, l’index levé.

Marianne ricana en soufflant de l’air par son nez. [Sim : Vigile?] Sophie replia ses jambes en tailleur. Dan sortit de la douche et s’approcha en frottant vigoureusement sa tête avec une serviette.

— Ça commence à sentir bon!

— Au final, reprit Sophie, je pense que c’est important de respecter la diversité des tactiques.

117 Phil et Mathieu rentrèrent et s’installèrent dans la cuisine avec Javier. [P-A : Pour le gars qui a reçu une grenade assourdissante dans face tantôt!]

— C’est quoi, la diversité des tactiques? demanda P-A.

— C’est qu’il faut respecter les limites et les intentions de chacun et chacune dans leur action militante. Bon, je pense que ça va…

Véro s’approcha avec un sac de plastique dans lequel Sophie versa le contenu de la casserole.

— Mettons, continuait-elle, aujourd’hui, il y a du monde qui ont marché, d’autres qui ont bloqué le building, pis ensuite y en a qui ont défié l’ordre de dispersion. Tout ça c’est utile pis légitime, c’est juste qu’il faut pas commencer à penser que marcher c’est mieux que bloquer.

— Ou l’inverse, ajouta Marianne. C’est prêt! [Sim : OK. Amusez-vous]

— Maanngeerr! cria Sophie en sautant au plancher.

[P-A : Bonne game! Tu me tiendras au courant. Désolé encore] Ils se succédèrent devant la cuisinière pour se servir et s’assirent où ils le purent.

— Les carottes sont pas assez cuites, annonça Marianne d’un air déçu. — Sont ben correctes, fit Sophie, la bouche pleine.

Après le souper et la vaisselle, ils sortirent pour rejoindre les autres grévistes amassés au carré Berri, dont la surface était recouverte d’une couche de glace raboteuse. Les flammes des chandelles vacillaient dans le vent et donnaient au lieu une solennité inquiétante. Quelques policiers entouraient la place mais restaient à distance, tandis que des caméramans et des photographes, dont Sophie faisait partie, tentaient d’en immortaliser

118 l’ambiance singulière. Ils allumèrent leurs lampions et se placèrent côte à côte. P-A observait les alentours en gigotant; Phil alluma une cigarette avec la flamme de sa chandelle; Mathieu murmura « Sti que c’est awkward… »; Marianne avait les yeux fermés; Véro mordillait l’intérieur de ses joues; Dan oscillait lentement sur ses pieds, dégageant toujours une odeur de gaz; Javier essayait d’ignorer le caméraman qui s’approchait pour un gros plan. Son cellulaire vibra mais, conscient de l’attention des caméras, il résista à la tentation de prendre le message. Il se demanda combien de temps ils resteraient ainsi immobiles, puis, tranquillement, des murmures se firent entendre et bientôt les quelques centaines de grévistes se mirent en mouvement sous les yeux attentifs du SPVM.

— Eille, une action pacifique, muette pis qui bloque rien, ça donne pas grand- chose… murmura Véro à l’oreille de Sophie.

— Des belles images! Mais bon, ça c’est réglé, on peut passer à autre chose. — Je vais appeler les autres, voir s’ils ont quelque chose de prévu…

— On va où, de même? demanda P-A en sortant son cellulaire : [0-1]

Ils marchaient sur Saint-Denis, escortés par des policiers casqués sur les trottoirs et dans les rues perpendiculaires.

— On va voir! lança joyeusement Dan. Depuis deux semaines, j’ai appris à laisser aller les choses. Être zen.

— Pis t’as vu ce que ça a donné cet après-midi, ronchonna Marianne.

Dan éclata de rire et entama un « À qui la rue? », immédiatement repris par les autres marcheurs. Véro se bouchait l’oreille gauche en appuyant son cellulaire sur son oreille droite.

119 Une voiture klaxonnait en appui; la conductrice brandissait son poing par la fenêtre.

— Je suis tout énervé. La dernière fois que j’ai manifesté, c’était contre la guerre en Iraq, glissa P-A à Sophie, l’air excité.

Elle rit et grimaça. — Hé, ciboire!

« Sau-sau-sau/sau-vons l’édu-cation! » L’air maussade, Mathieu, la tête rentrée dans les épaules, suivait la foule en silence. P-A devait presque crier pour se faire entendre. À côté d’eux, la voix portante de Phil se faufilait dans le vacarme.

— C’est un problème atavique de la gauche, la division interne, expliquait-il à Marianne qui, le menton enfoncé dans son foulard, l’écoutait avec intérêt. Déjà, pendant la guerre civile espagnole, les anarchistes s’entendaient pas avec les communistes, pis les socialistes avec les républicains… Tous les mouvements de contestation sont déchirés par la lutte idéologique entre les factions réformistes et radicales.

Les mains dans les poches de son caban, P-A suivait Sophie et s’arrêtait quand elle prenait des photos.

— C’était en secondaire 3, racontait-il, me semble, pis une rumeur s’était répandue dans l’école comme quoi on allait skipper l’après-midi pour marcher contre la guerre. Faque c’est ce qu’on a fait. C’est comme ça que j’ai eu la seule retenue de ma vie.

Quelques pas devant, Véro et Dan criaient et gesticulaient.

— Je sais, répondit Marianne en ajustant la ceinture abdominale de son sac à dos, mais l’affaire, c’est que la diversité des tactiques, c’est ben beau, mais ça marche

120 juste si les tactiques sont utiles… j’ai ben de la misère à tolérer des tactiques qui nuisent clairement à la cause… Si on avait une stratégie clairement énoncée, au moins, on pourrait agir de façon concertée.

— Wow. Juste une retenue? s’étonnait Sophie en frottant ses mains pour les réchauffer. J’ai passé mon secondaire en retenue.

Emmitouflé dans un coton ouaté, une veste en jeans et un blouson de cuir, Javier suivait le cortège en silence, mains sous les aisselles, le nez enfoncé dans son gros foulard de laine. Au coin Saint-Denis et Émery, le ton montait entre des policiers et des passants. P-A affecta un air fier.

— Je suis un élève modèle. Veux-tu mes gants?

Juste avant Ontario, un camion-flute émit un avertissement : « Cette manifestation est devenue un attroupement illégal. Nous vous ordonnons de vous disperser et de rentrer chez vous. Si vous n’obéissez pas, vous pourriez être accusés d’une infraction municipale ou criminelle. »

— Bon… fit Marianne, le menton dans le collet de son coupe-vent, alors que le cortège se compactait devant le cordon policier.

— On fait quoi? demanda P-A.

Véro, Sophie et Javier observaient la taille de la foule pendant que les manifestants témoignaient de leur mécontentement envers les policiers :

— On est pacifiques!

— Y a un gars qui est en train de perdre un œil à cause de vous!

Sophie prenait des clichés des grévistes qui rebroussaient chemin. [1-1] Des agents casqués escortaient le cortège et zigzaguaient dans la foule.

121 — Pourquoi ils nous suivent? demanda Marianne à personne en particulier. — Ils veulent juste foutre la marde, répondit Véro.

Les grévistes s’étaient à peine réinstallés sur la place que les policiers entreprirent de les repousser vers la rue Maisonneuve. Certains manifestants faisaient des signes de peace, d’autres invitaient à rester pacifiques; quelques personnes défiaient les agents.

— Reculez! leur intimaient les policiers. — Les nerfs!

— C’est glacé, ici!

Les grévistes tentaient tant bien que mal d’obtempérer sans tomber sur la surface glissante. « À qui la rue? À nous la rue! » Non loin de P-A, un grand gars en manteau noir fut bousculé par un agent et se retrouva par terre; une fille cria d’indignation, tandis que fusèrent des insultes; le cortège se brisa alors que les policiers menaçaient la foule.

— Fuck off, cracha Marianne à côté de P-A.

— On reste caaaalme, scanda Véro en marchant vers la rue Maisonneuve. — Gredins! Malotrus! criait Dan aux policiers, le poing en l’air.

Autour de lui, P-A entendait des jurons et des exclamations craintives. Une poussée d’adrénaline parcourait son corps. Les policiers semblaient toutefois rester au sud, sur Sainte-Catherine. Sur Maisonneuve, des manifestants se dispersaient tandis qu’un petit cortège se reformait. [1-2]

— On va-tu prendre une bière? proposa-t-il aux autres.

— Ils veulent vraiment pas qu’on reste, han! lança Phil en allumant une cigarette. Il lança son briquet à Mathieu, qui s’approchait. Marianne jetait des regards inquiets vers les policiers. « On avance! On avance! On recule pas! »

122 — Allez-y, nous on va rester encore un peu, fit Sophie en soufflant dans ses mains, son foulard enroulé autour de sa tête pour couvrir ses oreilles.

— C’est pas fini, cette marche-là! déclara Véro d’un air sérieux. — Non madame!

P-A, Marianne, Phil et Mathieu quittèrent la manifestation et se dirigèrent vers le Cheval blanc.

— J’ai entendu un policier dire à un dude qu’il pouvait pas passer parce qu’il y avait une émeute.

— Une émeute? s’étonna P-A. On marchait en chantant! Pourquoi ils nous ont dispersés? On a pas le droit de manifester?

Devant la gare d’autocar de Montréal, des chauffeurs de taxi fumaient des cigarettes, accotés sur leur véhicule.

— Le droit de manifester est encadré, pas absolu.

— D’où la nécessité d’avoir une stratégie... Les improvisations vont toujours être vues comme des débordements, intervint Marianne.

Ils poussèrent la porte du Cheval blanc et enlevèrent leurs foulards en cherchant des visages connus. À la télévision, la troisième période venait de commencer. Au fond du bar, sur un plancher surélevé, un groupe bruyant occupait une longue table. Ils montèrent le rejoindre.

— Ben ça parle au yab’! lança Mireille, grande et truculente, en apercevant les nouveaux arrivants.

Les visages de leurs compères des dernières semaines se tournèrent vers eux. Des salutations chaotiques furent échangées; on raccorda une table et quelques chaises et, bientôt, chacun fut emporté par le flux de la soirée.

123 Le lendemain, P-A apprit avec stupéfaction qu’environ deux-cents manifestants avaient, en fin de soirée, tenté de défoncer, à l’aide de clôtures amovibles, les portes vitrées du quartier général du SPVM.

124 STATUT FACEBOOK DE SOPHIE SOSO

16 MARS 2012 8H11

Pour les bienpensants qui saignent du nez depuis hier soir :

Lien partagé : Black bloc : des anarchistes non-violents, selon des spécialistes/David Santerre

LaPresse.ca

COMMENTAIRES

Véronique Lapolice : « selon des spécialistes » lol

Véronique Lapolice : « Ils font plutôt dans la destruction de matériel. Mais on ne casse pas qu'une vitrine, il y a un sens politique derrière le choix de la vitrine qui sera brisée. C'est souvent interprété par le public comme du vandalisme, mais pour eux, c'est une action politique » *émoji du signe OK*

Éric Pineault : Ironique quand même d’utiliser la violence dans une manifestation qui est censée la dénoncer…

Véronique Lapolice : Ça te fait de la peine, que des chars de police aient été un petit peu décrissés?

Éric Pineault : Dans une démocratie, le dialogue remplace la violence.

Véronique Lapolice : Dans une démocratie, la violence est la prérogative de l’État. C’est faux de croire qu’elle n’existe pas, quand l’État (la Police) l’exerce tous les jours sur les citoyens…

Éric Pineault : Mon grand-père disait : « celui qui lève le ton vient de prouver qu’il a perdu l’argumentation »

Véronique Lapolice : Faque, si je te suis bien, dans la vie, c’est jamais légitime de se fâcher?

Marianne Tran-Turcotte : Au-delà de la question de la violence, mon principal grief est que ça nous donne mauvaise presse. Tsé, sachant que les médias vont pas faire l’effort d’essayer de comprendre le côté politique de l’acte, pourquoi le faire pareil? C’est contreproductif, non? Et peut pragmatique.

Véronique Lapolice : Ben, on en parle, là, non? Je rappelle aussi qu’être raisonnable a jamais fait avancer une cause. Les mouvements qui ont changé les choses ont toujours été dénoncés comme étant radicaux. Sans eux, les femmes auraient toujours

125 pas le droit de vote, les normes du travail existeraient pas, les Noirs seraient toujours des citoyens de seconde classe.

Marianne Tran-Turcotte : On s’entend-tu que la hausse des frais de scolarités, c’est quand même moins pire que la ségrégation raciale?

Véronique Lapolice : La hausse s’inscrit dans le contexte du capitalisme néolibéral, qui lui, est la cause d’énormes inégalités à travers le monde.

Sophie Soso : Wow, ça brasse

P-A Gaudet : Merci, Sophie, pour l’article, ça fait beaucoup réfléchir! Sophie Soso : tu m’en vois ravie

126 6.

Le temps s’était réchauffé, couvrant la chaussée d’une gadoue sale qui giclait sous les roues des voitures. Au coin de Berri et Sainte-Catherine, des sans-abris jasaient en fumant des mégots de cigarettes. P-A traversa la rue et grimpa un escalier pour aboutir dans un bar anarchiste dont il n’avait pas soupçonné l’existence avant d’y être invité. Séparé en plusieurs petites pièces, l’endroit semblait avoir conservé la disposition intérieure du temps où l’immeuble avait une vocation résidentielle. Un rock épuré s’échappait des hautparleurs. P-A reconnut autour d’une table quelques personnes qu’il avait rencontrées chez Sophie : Javier et Myriam, Patrick, le chum de Javier, Yves, un gars dans la quarantaine, et les filles du Lac, trois amies natives de Roberval; deux d’entre elles s’appelaient Émilie; l’autre, Ariane.

— Bonsoir, bonsoir, bonsoir, lança-t-il en s’assoyant.

Les autres lui retournèrent ses salutations. Il se leva pour commander un grilled-cheese et une bière ; la serveuse, une fille souriante, dans la trentaine, les bras tatoués, lui donna une figurine de zèbre à déposer sur sa table. Il s’en amusa quelques secondes, puis laissa son regard errer sur la foule qui remplissait la pièce, où régnait une chaleur réconfortante. Autour de lui, il y avait des vestes de cuir et de jeans, beaucoup de noir, quelques studs, des camisoles avec des logos de groupes de musique, des bottes de combat, des piercings, un képi, des cheveux longs, des crânes rasés et des dreads. Il y avait aussi, et surtout, des « gens normaux », qui ne correspondaient pas à l’idée qu’il se faisait des anarchistes. Leur présence le rassura et il put relaxer un peu.

127 — Elle fait de l’escalade avec Dan.

Sophie entra soudain dans son champ de vision et, sans s’arrêter, interpella P-A. — T’as pas amené ton coloc réac? lui lança-t-elle, sourire aux lèvres. — C’est pas tant son genre!

Sur la petite scène, elle jouait avec des fils et des hautparleurs. Elle portait les mêmes jeans que d’habitude et un épais tricot aux couleurs criardes. Javier la rejoignit peu après et ils échangèrent quelques mots en pointant l’équipement. Un gars aux cheveux noirs, placés derrière ses oreilles et coupés à la hauteur de la nuque, portant des pantalons carreautés, se joignit à eux ; P-A ne le connaissait pas. Il déposa trois bières sur un hautparleur.

— Étiez-vous sur le pont Champlain, à matin? demanda P-A à Émilie.

Elle remonta la manche du chandail rayé qui tombait sur son épaule et porta la main à son oreille ornée de nombreux piercings.

— J’aurais tellement aimé ça, faire chier « les honnêtes travailleurs » répondit- elle en mimant les guillemets, mais je travaillais. Je pense que Yves était là.

P-A aperçut la serveuse qui semblait le chercher, son assiette à la main. Il brandit sa figurine de zèbre et elle s’approcha.

— Quoi? hurla Yves en se penchant.

Une mèche de ses cheveux poivre et sel s’échappa de sa queue de cheval et trempa dans sa bière. Ses minces lunettes rectangulaires formaient un angle étrange dans son visage.

— T’étais là, à matin, sur le pont?

— Non, mon gars était malade, il a fallu que j’aille le chercher à l’école.

Il la toisait, semblant attendre la suite, pendant que la serveuse étirait le bras pour déposer une assiette devant P-A.

128 — C’est tout! conclut Émilie en souriant.

Yves reprit la discussion avec Patrick, un gars musclé avec une barbe broussailleuse et des pattes-d’oie au coin des yeux.

— Tu travailles où, déjà? demanda P-A à Émilie en attaquant son grilled-cheese. — Dans un organisme communautaire à Lachine.

— J’espère qu’ils auront pas fait trop peur aux étudiants, avec leurs tickets de cinq-cents piastres pour « entrave à la circulation », lança l’autre Émilie en prenant une poignée de bretzels dans le panier en osier au milieu de la table.

Un bandeau élastique retenait ses cheveux, qui tombaient derrière sa nuque en une queue de cheval. La musique cessa et les hautparleurs lancèrent un grincement strident qui attira l’attention de la salle en entier.

— Ouache! s’exclama la serveuse en montant sur scène, avant de reprendre : Bonjour tout le monde, le show va commencer. On a trois bands ce soir, et on commence avec… Maxime et ses problèmes!

Un gars aux cheveux longs, dans la jeune vingtaine, portant de grosses bottes de travail, monta sur scène et s’installa sur la chaise en bois, seul avec sa guitare sèche. Sophie, Javier et l’autre gars prirent leurs bières et s’assirent près de P-A. Sans préambule, il joua quelques accords rythmés et se mit à chanter d’un débit rapide, presque rappé, qui plut à P-A. La première chanson traitait du polyamour et des problèmes de cœur que ça causait ; la seconde, du conformisme qu’on encourage dès l’école primaire en prescrivant des pilules aux enfants turbulents ; la troisième, des manarchists, ces anarchistes machos qui reproduisent l’oppression patriarcale à l’échelle des groupes militants.

129 Le jeune chansonnier joua à peu près une demi-heure, entrecoupant ses chansons d’interactions maladroites avec le public. L’animatrice revint pour introduire le groupe suivant : « The Amazing Disease! ». Javier s’installa derrière la batterie, Sophie passa la ganse de sa basse au-dessus de sa tête et l’autre gars gratta quelques accords sur une douze cordes, l’air absorbé. Le silence se fit dans la salle.

— Hi, we’re The amazing disease, and this is our music, annonça-t-il en relevant la tête.

Après quelques mesures d’une mélodie folk, la basse se joignit à la grosse caisse et bientôt les trois musiciens se déchainèrent; la voix stridente du gars, ainsi que ses inflexions étranges, donnaient l’impression qu’un méchant de Disney chantait sur du Nirvana. Ils revinrent ensuite à un couplet plus doux; déstabilisé par les intonations du chanteur, P-A n’arrivait pas à saisir les paroles. Sophie battait la mesure avec tout son corps et, quand elle chantait pendant les refrains, levait des yeux craintifs vers la foule. P-A l’observait comme une patineuse artistique dont on redoute la chute à chacun des sauts. Mais elle prenait de l’assurance et sembla rapidement plus à l’aise. Ils terminèrent leur performance sous de chaleureux applaudissements, descendirent les trois marches qui menaient au parterre et se rendirent au bar. P-A se leva pour aller à leur rencontre.

— Maintenant, une chaleureuse main d’applaudissement pour le Reagan- Thatcher trio, qui ont même pas l’air d’avoir l’âge pour être ici!

La foule éclata de rire pendant que deux gars et une fille à l’air juvénile montaient sur scène. Le bar était rempli ; il fallait se déplacer de côté et bousculer gentiment les clients pour progresser. P-A réussit à les atteindre alors qu’ils commandaient des bières :

130 Sur la scène, le trompettiste, un gars noir avec des dreads et des lunettes à monture noire, qui portait un t-shirt tiedye sur lequel se juxtaposaient des avions de chasse, un aigle à tête blanche et des drapeaux américains, s’approcha du micro.

— C’est correct, nos parents sont ici.

Il pointa le milieu du parterre et, pendant que la foule s’esclaffait, le batteur entama un rythme jazzé en trois temps.

— On s’en plaindra pas ! accepta Sophie, tout sourire.

Documents relatifs