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L’arrêt British Westinghouse Electric97 est l’autorité la plus couramment citée sur l’obligation de minimiser son préjudice. Dans cette affaire, le contrat intervenu entre les parties prévoyait la vente et la livraison par le défendeur de turbines à vapeurs et d ’alternateurs à haute vitesse devant servir à l’exploitation d ’un chemin de fer. La machinerie s’avère de qualité inférieure à celle prévue au contrat, ce qui occasionne des dépenses supplémentaires dues à une perte de productivité. La machinerie, déjà vieille de plusieurs années, est alors remplacée par une machinerie qui s’avère si performante que, économiquement, la situation s’avère plus avantageuse pour

95 Palsgraf c. Long Island Railroad Co., 162 N.E. 99, 248 N.Y. 339 (1928).

96 Supra note 93. L’arrêt Re Polemis fut écarté dans l’arrêt The Wagon Mound (No.I).

97 Supra note 79.

l’acheteur. Ce dernier intente une action contre le vendeur à qui il réclame, d’une part, les dépenses résultant de la perte de productivité et, d ’autre part, le coût de remplacement de la nouvelle machinerie.

La Cour doit répondre à deux questions. Premièrement, est-ce que, dans l’évaluation des dommages-intérêts, il faut tenir compte de l’avantage global dont peut bénéficier le demandeur de façon à réduire le montant qu’il peut recouvrer.

Deuxièmement, le coût de remplacement de la machinerie peut-il être recouvré dans les circonstances. Le juge Haldane commence d’abord par un exposé sommaire des principes de droit applicables:

T he fundamental basis is thus com pensation for pecunary loss naturally flow ing from the breach; but this first principle is qualified by a second, w hich im poses on a plaintiff the duty o f taking all reasonable steps to m itigate the lo ss consequent on the breach, and debars him from claim ing any part o f the damage w hich is due to his neglect to take such steps.

[...] But w hen in the course o f his business he has taken action arising out o f the transaction, w hich action has dim inished his loss, the effect in actual diminution o f the loss he has suffered m ay be taken into account even though there w as no duty on him to act98.

L ’extrait qui précède indique vers quelle direction pointe l’analyse du juge.

Celui-ci répondra à la première question soulevée ci-dessus par l’affirmative et à la deuxième par la négative:

I think the principle w hich applies here is that w hich makes it right for the jury or arbitrator to look at what actually happened, and to balance loss and gain. The transaction w as not res inter alios acta, but one in w hich the person w h ose contract w as broken took a reasonable and prudent course quite naturally arising out o f the circumstances in w hich he w as place b y the breach. Apart from the breach o f contract, the lapse o f tim e had rendered the appellants’ machines obsolete, and men o f business w ould be doing the only thing they could properly do in replacing them with new and up-to-date m achines99.

n Ibid. à lap. 689.

"Ibid. à la p. 691.

L ’analyse du juge renseigne sur la portée et le fondement de l’obligation de minimiser son préjudice. D ’abord, du point de vue de la politique sociale ou de l’ordre public, elle démontre que le but ultime du droit des contrats est moins de punir la partie fautive que de compenser la victime, ce qui peut, en outre, expliquer l’étroite relation entre le principe de la compensation et l’obligation de minimiser son préjudice. Sur le plan strictement économique, on constate, encore une fois, que la common law est très sensible aux pertes et à l’inefficacité, peu importe qui doit l’assumer entre les parties. Il semble que, aux yeux de la common law, la meilleure façon de minimiser de tels coûts sociaux est d’imposer à la victime une responsabilité considérablement onéreuse puisqu’elle est la première partie à prendre connaissance de cette perte et donc la première susceptible d’intervenir. Le mieux elle le fera, le moins les parties en souffriront et le mieux la société s’en portera.

Par ailleurs, la Cour considère que l’obligation de minimiser le préjudice agit comme limite à la règle de l’arrêt Hadley. Cette proposition a reçu l’aval de la Cour suprême du Canada100. La règle de l’arrêt Hadley étant elle-même une limite au principe de la compensation énoncé dans l’arrêt Wertheiml0], l’obligation de minimiser son préjudice demeure donc intrinsèquement liée au principe de la compensation. En fait, on pourrait affirmer que l’obligation de minimiser son préjudice constitue la face cachée de la règle de Hadley. Ainsi, les mesures que doit prendre la victime doivent être celles que prendrait une personne raisonnable dans le cours normal des choses selon ce que les parties pouvaient s’attendre au moment de la conclusion du contrat: «The subsequent transaction, if to be taken into account, must be one arising out of the consequences of the breach and in the ordinary course of business»102.

La Cour suprême du Canada a adopté et réitéré à maintes reprises cette règle, notamment dans l’affaire Karas c. Rowlettm . Dans cette affaire, le demandeur avait conclut avec le défendeur un bail commercial de cinq ans, renouvelable et avec droit

100 Asamera Oil, supra note 33 à la p. 661 ; Apeco o f Canada Ltd c. Windmill Place, [ 1978] 2 R.C.S. 385 à la p. 389 [Apeco o f Canada]; Langille v. Keneric Tractor Sales Limited, [1987] 2 R.C.S. 440 à la p.

456.

101 Supra note 57.

102 British Westinghouse Electric, supra note 79 à la p. 690. Voir Cheshire, Fifoot & Furmston, supra note 35 à la p. 684: «In relation to the computation o f damages, mitigation is substantially an aspect of remoteness, since it is within the contemplation o f the parties that the plaintiff will take reasonable steps to mitigate his loss.» Voir également Radford c. De Froberville, [1977] 1 W.L.R. 1262, [1978] 1 All E.R. 33 {Ch. D.).

103 [1944] R.C.S. 1.

de premier refus en cas de vente de l’immeuble par le défendeur. Le défendeur, pendant que le bail est en vigueur, représente frauduleusement au demandeur qu’il désire vendre l’immeuble et lui fait une offre que le demandeur refuse. Suite à cette offre, en apparence conforme aux termes et conditions du bail, le demandeur ouvre deux autres commerces qu’il exploite de façon rentable. L’un des arguments du défendeur est que les profits tirés des deux autres commerces auraient dû être déduits des pertes encourues par le demandeur. Le juge Kerwin exprime ainsi son désaccord devant un tel argument:

I am also unable to agree with this. In breach o f contract cases the rule w as stated in B ritish W estinghouse E lectric a n d M anufacturing Co. v. U n dergroun d E lectric R a ilw a ys by V iscount Haldane with the concurrence o f all the Lords present that

“the subsequent transaction, i f to be taken into account, must be one arising out o f the consequences o f the breach and in the ordinary course o f business”. [...]

T he respondent did not know o f the fraud until after he had opened the R endezvous and acquired the W hite Cross, and these transactions, therefore, did not arise out o f the consequences o f the breach104.

Une transaction subséquente à la rupture du contrat ne sera donc pas prise en compte par le juge des faits sauf si elle est une conséquence de la rupture et qu’elle intervient dans le cours normal des choses.