• Aucun résultat trouvé

Partie 2 : Le consultant et sa pratique de l’outil dans le travail collaboratif : une légitimation de

B. L’outil dans la vie du consultant : un objet essentiel ?

2. Un objet de référence dans la vie du cabinet

Si l’outil est indispensable pour le client, il l’est aussi pour le cabinet. En effet, pour être en mesure de proposer un accompagnement avec un outillage suffisamment large pour qu’il soit adaptable au besoin du client, des connaissances, compétences et ressources doivent demeurer en interne. Chaque cabinet a donc sa panoplie d’outils, souvent similaires, qu’il est en capacité de mettre gratuitement à disposition de ses clients. En tant que nouveau consultant dans un cabinet des Big Four, on a une multitude de découvertes à faire sur son fonctionnement interne. Comme expliqué en introduction de ce mémoire, j’ai dès mon arrivée été submergée de noms d’outils utilisés en interne, essentiellement des outils RH. L’intranet de PwC est extrêmement riche et il existe quasiment un outil pour une tâche. Nous avons Workday pour la gestion globale de nos absences, Replicon pour valoriser notre temps de travail sur chaque mission, Snapchot pour recevoir et donner du Feedback, la liste est longue. Même pour poser une simple question, il faut passer par l’outil, Alex, le chatbot interne qui répond à plusieurs milliers de nos questions. Ces outils ne sont en revanche pas des outils dits collaboratifs, du moins au sens

53

Voir annexe 6 : entretien n°4 Léonie

54

étudié dans ce mémoire, mais ils préparent le consultant à l’usage de l’outil dans son quotidien. Puisque l’outil est systématiquement utilisé, il va devenir une référence pour le consultant qui donc, tout naturellement, lorsqu’il va vouloir faire du collaboratif, va passer par l’outil. Par ailleurs, certains outils collaboratifs tendent à avoir un usage spécifique à la vie interne du cabinet, comme le réseau social d’entreprise (RSE) par exemple qui va permettre de créer une réelle communauté au sein du cabinet. Ce type d’outil va permettre aux consultants de mieux se connaître et de partager un certain nombre d’informations en interne qui leur donneront une meilleure connaissance des périmètres de chacun. Certains outils mobilisés par le cabinet pour un usage chez le client, comme SharePoint, peut aussi avoir l’avantage d’être mobilisé en interne. Un SharePoint peut tout à fait être créé au sein d’une équipe de consultants pour favoriser leur collaboration, le partage d’informations et le stockage de documents. Cette diversité d’outils présente dans un cabinet de conseil va favoriser la création de communautés en interne et renforcer l’appartenance du consultant à son cabinet ; l’usage de l’outil va ainsi plus loin qu’un simple besoin d’outiller, il aide à créer une identité.

Chaque onboarding (intégration) dans un nouveau cabinet se vit différemment et il m’a semblé intéressant d’interroger l’une de mes collègues55 pour faire parler ses premières interactions à l’outil dans ce cabinet. « Alors moi j’ai commencé mon alternance justement on m’a dit “faut que t’explores”. Je n’étais pas encore dans le secteur public j’étais en I&S [Industries & Services] je n’étais pas staffée [...] Et on m’a dit “pour l’instant on peut pas te placer mais tu verras c’est super intéressant de faire du BD, de découvrir les outils quand on arrive, ça t’aidera pour la suite” ». Il est intéressant de voir que les premières interactions d’Héloïse avec le monde du conseil ont tourné autour de l’outil. Les consultants prônent cette pratique qu’ils ont pleinement intégrée dans leur quotidien. Elle poursuit que, très rapidement, « on m’a demandé de développer un outil parce que y’avait pas encore assez de cohésion dans l’équipe P&O. Pourquoi il n’y avait pas assez de cohésion car un an plus tôt il y avait eu une fusion, ils avaient intégré IDRH qui est une petite structure chez PwC, principalement dans l’équipe P&O du coup et il fallait essayer de ressouder les équipes. Et un des premiers réacteurs pour ressouder une équipe chez les consultants c’est qu’ils puissent partager donc soit par des temps informels par des afterworks ou soit par des outils collaboratifs. » L’outil collaboratif en interne vient ainsi servir une cohésion d’équipe qui a besoin de naître. On remarque que les pratiques internes et l’accompagnement proposé au client ne sont finalement pas si différents. On part

55

d’un besoin, on l’étudie et on le met en relation avec une proposition d’accompagnement, souvent d’outillage. Quoi qu’il en soit, le consultant est plongé dans un usage de l’outil qui va très rapidement devenir sa référence. C’est un peu comme une deuxième formation obligatoire par laquelle passent tous les consultants ; ils rentrent dans ce « moule » de l’outil et ont tendance à ne plus en ressortir. On pourrait presque parler d’un certain formatage du consultant à l’outil là où la formation à l’outil apparaît comme essentielle et de référence. Et finalement, les cabinets de conseil, notamment les plus gros, utilisent approximativement les mêmes outils ou du moins similaires ; ils vont ainsi produire les mêmes types de travaux car l’outil a tout de même une fonction cadrante. On retrouve notre raisonnement de l’outil qui peut avoir une fonction restrictive pour son utilisateur, et même sa production finale. A l’heure où les cabinets de conseil tentent d’être agiles, de se démarquer, d’utiliser des outils différenciants, tout comme le monde de l’entreprise d’ailleurs, ne vont-ils pas finalement tous dans la même direction ? Cette volonté de différenciation ne tendrait-elle finalement pas à devenir une norme ?

Quelle que soit la vision que nous pouvons avoir sur l’outil et l’évolution de son usage, il demeure aujourd’hui présent et tend à devenir une référence pour les entreprises aussi bien que dans le fonctionnement interne d’un cabinet de conseil. L’exemple d’Héloïse nous montre que la pratique de l’outil est une réelle référence pour le consultant pour deux raisons : elle permet des évolutions dans les équipes internes, et aide à une montée en compétences du consultant. Plus un consultant connaît et maîtrise des outils, plus il pourra asseoir une certaine légitimité et ce même en interne. La pratique et l’usage de l’outil ne fait évidemment pas tout, mais lorsqu’un consultant est identifié comme ce collègue ayant déjà construit un SharePoint, il deviendra LE référent de l’équipe sur SharePoint ; cela signifie qu’il sera considéré pour avoir du savoir sur l’outil et aura la légitimité de le transmettre à ses pairs qui feront confiance à son expérience vécue : « on va attendre le retour de notre SharePoint Chief Officer »56 [lorsque j’ai posé une question technique à propos du SharePoint et que ma collègue qui connaît bien l’outil était en congés]. Par ailleurs, n’être à l’aise sur aucun outil collaboratif ne s’inscrit pas dans les attendus du consultant et peut créer un décalage avec ses collègues qui, eux, les maîtrisent, et donnera une impression d’incompétence pour celui qui ne l’a pas. Cette pratique de l’outil est donc un réel prérequis pour le consultant qui devra a minima se former lors de son entrée en cabinet. L’outil se place ainsi comme un réel objet de référence dans la vie du cabinet et pour le consultant lui-même ; en somme, le monde du conseil et la profession en elle-même sont

56

aujourd’hui dépendants de ces outils collaboratifs. Ils permettent une réelle légitimation de la profession du consultant dans sa globalité. En effet, l’enjeu de la légitimité est double pour le consultant, il va devoir à la fois démontrer ses capacités sur l’outil pour un usage interne, auprès de ses collègues et de sa hiérarchie, et à la fois en mission vis-à-vis de son client. L’outil étant une référence dans le monde du conseil, il va presque apparaître comme une compétence prérequise et le consultant va devoir prouver sa valeur aussi en interne. Si nous reprenons l’exemple d’Héloïse, elle a dû faire ses preuves auprès d’une équipe de consultants en proposant de nouveaux outils à utiliser au quotidien. Le consultant, même tout junior, est ainsi considéré comme légitime de créer et alimenter des outils collaboratifs pour faire vivre le cabinet en interne. Cette légitimité accordée par le cabinet est un premier test qui cache un message du consultant qui doit utiliser les outils collaboratifs qui vont appuyer une partie de sa légitimité de consultant.