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U N OBJECTIF : DÉVELOPPER « UNE CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE »

I. L’ÉCOPSYCHOLOGIE

1.2 U N OBJECTIF : DÉVELOPPER « UNE CONSCIENCE ÉCOLOGIQUE »

Le Soi écologique est un concept développé par Arne Naess dans son éthique eudémoniste de l’écologie profonde, intimement lié à la thèse de la réalisation de Soi, qui implique de faire une distinction entre notre « soi » et notre ego. Le « Soi écologique » est le résultat d’un « soi » restreint – ou ego – ayant maturé grâce au processus d’identification du soi, qui est « le moyen par lequel nous dépassons notre moi empirique pour constituer une unité signifiante avec ce qui n’est pas soi : un animal, une rivière, une montagne, un paysage » (Hess, 2013, p. 344). De ce fait, le « Soi écologique [...] désigne l’unité derrière la diversité » (Ibid.) de la totalité écosphérique.

Joanna Macy reconnait dans cette représentation du Soi (un soi qui ne peut exister autrement que par ses interactions avec l’extérieur) le concept bouddhiste de « non-soi » (anattā), qui permet selon elle d’éviter l’égoïsme et la cupidité, des comportements pouvant survenir lorsque nous nous considérons comme des entités indépendantes et autonomes (Macy, 1979b). Elle soutient que la traditionnelle manière de voir le soi comme « un ego encapsulé dans la peau » doit être remplacée par « des constructions plus larges d’identité et d’intérêts personnels » (Macy, 1991b, p. 183). Ce changement de conscience vers le collectif – au niveau systémique du social ou du transpersonnel – est indispensable au développement de cette « autoréflexivité » nécessaire à notre survie (Macy, 1982b). Macy voit la personne comme une « entité psycho-physique », c’est-à-dire un « tout irréductible et dynamique, en interaction ouverte avec son monde, se soutenant et s’organisant par l’appropriation, la transformation et la différenciation des significations et des symboles » (Macy, 1991b, p. 80). Elle met ainsi en évidence la réciprocité existant entre transformation personnelle et transformation sociale (Macy, 1979b).

1.2.2 Les trois états de conscience écologique selon Peter White

Le sentiment d’un plus grand que soi écologique – ou Soi élargi – entrainerait naturellement un changement de l’intérêt personnel envers les autres qu’humains (Scheid, 2016). C’est pourquoi de nombreux chercheurs, comme Peter White, se sont intéressés à ces différents états de conscience. White définit la conscience écologique ou « éco-conscience »

comme « une forme de conscience caractérisée par un lien psycho-spirituel avec la nature » (2011, p. 41).

Il la distingue de la conscience environnementale, qui tout en étant axée sur l’appréciation sensorielle et/ou cognitive de l’environnement naturel reste néanmoins dominée par un sens contenu du soi (ou dualisme moi/autre, mais nous reviendrons plus en détails sur la notion de dualisme dans le chapitre 1.2.3). Il décrit ensuite trois états de conscience écologique : - Le premier état, qui représente la base de la conscience écologique, invite à aller au-delà des dualismes pour mieux saisir l’essence, l’énergie unique de l’environnement, avec une forme de respect pour la valeur écocentrique de toute vie. Le sentiment d’être au monde est bien présent, avec une prédilection pour la contemplation, une réflexion sur soi et un calme intérieur constant.

La conscience de la mortalité est présente mais sans peur ni anxiété. Le sens du soi est relié aux autres êtres et lieux, avec une reconnaissance de la base spirituelle et de l'intelligence innée sous-jacentes à la vie (White, 2011).

- Le second état est proche du concept de Soi écologique développé par Arne Naess. Il implique un sens plus fort de la connexion, de l’amour et de l’identification avec les autres êtres non humains. Le sens du Soi est élargi pour inclure les environnements, la nature, mais aussi éventuellement le cosmos (Ibid.).

- Le troisième état rappelle l’approche bouddhiste de Joanna Macy. Caractérisé par un sens de connexion spirituelle encore plus fort à son être / à Soi / à son âme, il y a un sentiment de communion avec l’environnement et d’empathie avec tous les êtres. L’expérience de l’amour est persistante avec une joie de vivre, avec le sentiment d’être aimé de la nature, de tout ce qui est, ou encore de Dieu. Il y a un sens de la grâce / gratitude, et de l’humilité, avec une reconnaissance tangible d’un « non-soi », d’un sens non dualiste de la vie (Ibid.).

1.2.3 Les « peak experiences »

Nombreuses sont les personnes à avoir expérimenté un moment mystique durant leur parcours en écologie profonde, un moment durant lequel elles ont pu ressentir l’entrelacement de toutes les formes de vie au sein d’une biosphère en tant qu’organisme vivant, avec un esprit unique (Macy, 1985). Dans la mesure où après ce type d’expérience, la personne peut être amenée à changer son mode de vie, le naturaliste et psychologue clinicien John Scull pense que les écopsychologues pourraient avoir pour objectif principal de « faciliter ces expériences d’interconnexion riche avec le reste de la nature » (2008, p. 79), expériences qualifiées de

« peak experience » par Abraham Maslow3 (1964) et plus récemment d’« eutierrie » par Glenn Albrecht (2019). Dénommées « sentiment océanique » par Sigmund Freud, de telles expériences relevaient selon lui de la pathologie (Egger, 2017, p. 90).

1.2.4 L’« inconscient écologique » de Theodore Roszak

Theodore Roszak, historien et sociologue américain connu pour avoir cristallisé le terme

« écopsychologie » en 1992 dans l’ouvrage de référence « The Voice of the Earth : An Exploration of Ecopsychology » (La Voix de la Terre : Une Exploration de l’Écopsychologie) parle quant à lui d’un « inconscient écologique » dont « le libre accès [...] est le chemin vers la santé mentale » (1992, p. 320). Il s’inspire ici de la théorie de la biophilie d’Edward O. Wilson (1984) ou encore avant lui d’Erich Fromm (1964), selon laquelle les humains auraient une capacité innée à adopter une orientation écologique qui découlerait de notre longue évolution en contact intime avec le monde plus qu’humain. En fin d’ouvrage, Roszak décrit huit principes s’articulant pour quatre d’entre eux autour de cet inconscient écologique. Dans le quatrième principe, il explique comment l’écopsychologie œuvre à la création du Soi écologique :

« Pour l'écopsychologie, comme pour les autres thérapies, l'étape cruciale du développement est la vie de l'enfant. L'inconscient écologique se régénère, comme s'il s'agissait d'un cadeau, dans le sens enchanté du monde du nouveau-né.

L'écopsychologie cherche à retrouver la qualité d'expérience intrinsèquement animiste de l'enfant chez des adultes fonctionnellement " sains". Pour ce faire, elle se tourne vers de nombreuses sources, parmi lesquelles les techniques de guérison traditionnelles des peuples premiers, le mysticisme de la nature tel qu'il s'exprime dans la religion et l'art, l'expérience de la nature sauvage, les perspectives de l'écologie profonde. Elle les adapte dans le but de créer le Soi écologique. » (Roszak, 1992, pp. 320-321)

3 Abraham Maslow (1908 – 1970) est un psychologue Américain considéré comme le père de la psychologie humaniste. « Ma thèse est, en général, que les nouveaux développements en psychologie forcent un changement profond dans notre philosophie des sciences, un changement si important que nous pouvons être en mesure d'accepter les questions religieuses fondamentales comme une partie appropriée de la juridiction de la science, une fois la science élargie et redéfinie » (Maslow, 1964, p. 22)