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face aux tempêtes du nord-ouest européen

I. Objectif 1 : analyser les pratiques des ingénieurs

La notion de rôle correspond in fine à un équilibre entre savoir, pouvoir et contraintes. Analyser le rôle des ingénieurs dans la gestion du littoral consiste donc à expliquer leur pouvoir et leurs contraintes dans le   processus   de   décision   ayant   conduit   à   l’adoption   d’un   mode   de   gestion   parmi   d’autres.   Or,   le   contexte   environnemental   et   social   nouveau   et   en   constante évolution depuis quelques décennies a   remodelé   les   règles   d’aménagement   et   de   gestion du littoral. Il semblerait que ce contexte ait contribué à modifier en profondeur le rôle, c’est-à-dire  le  pouvoir,  l’implication  et  la  responsabilité  des  ingénieurs  travaillant  à  la  gestion   côtière. La seule analyse de facteurs dits objectifs, tels le contexte économique européen fragile,   les   incertitudes   scientifiques   sur   l’ampleur   des   conséquences   du   réchauffement   climatique ou encore la prise de conscience environnementale au tournant des années 1970, ne   saurait   expliquer   entièrement   l’évolution   du   rôle   des   ingénieurs. En effet, la prise en compte des représentations, individuelles et sociales, bien que modelées par les facteurs objectifs précités, offre une profondeur de réflexion désormais admise en géographie. Les différentes   méthodes   de   travail   mises   en   œuvre   ont   ainsi eu pour objectif de répondre aux deux grandes questions suivantes :

Que font les ingénieurs ? Comment travaillent-ils ? À quels échelons du processus de

décision interviennent-ils ? Sont-ils écoutés ? Jouent-ils toujours un rôle clé dans la décision finale retenue ? Sont-ilsdes interlocuteurs privilégiés ?

Pourquoi agissent-ils ainsi ? Quelles sont leurs motivations ? Quelles représentations

se font-ils   du   littoral   qu’ils   aménagent ? Comment envisagent-ils la gestion de ce territoire, fragile et dynamique ?

Autant de questions qui ont déterminé trois objectifs principaux de  recherche  :  l’analyse   des pratiques des ingénieurs,   l’analyse   de   leur   formation   puis la mise en perspective des pratiques et des formations avec l’analyse  de leur discours.

I. Objectif 1 : analyser les pratiques des ingénieurs

A. Le choix des études de cas 1. Types de côtes retenus

D’un   point   de   vue   structural   et   dynamique,   deux   grands   types   de   côtes   peuvent   être   distingués : les côtes d’accumulation   (ou   côtes   basses) et les côtes d’ablation   (ou   côtes   à   falaises). Ces différences majeures confèrent aux deux formes littorales des conséquences bien spécifiques en termes de risques. Les côtes à falaises sont particulièrement menacées par l’érosion   marine et subaérienne (MEEDM, 2010), provoquant principalement des risques

80 d’effondrement,   d’éboulement   et   de   glissement   de   terrain   selon   la   nature   des   roches   en   présence. Les côtes basses, sableuses ou vaseuses, sont  également  soumises  à  l’érosion  mais   elles sont aussi vulnérables à la submersion  marine,  dont  les  conséquences,  en  présence  d’un   arrière   pays   de   faible   altitude,   peuvent   s’étendre   jusqu’à   plusieurs   dizaines   de   kilomètres   à   l’intérieur   des   terres.   La   gestion   de   l’une   et   l’autre   forme   n’est   par   conséquent   pas   appréhendée de la même façon et leur analyse respective suffisamment dense pour constituer deux sujets de recherche à part entière. Dans un souci de   comparaison   à   l’échelle   du   nord-ouest   de   l’Europe,   il   a paru ainsi évident de ne retenir que les côtes basses sableuses et/ou endiguées :   en   effet,   si   la   France   et   l’Angleterre   présentent   un   linéaire   de   falaises   très   important,   ce   n’est   pas   le   cas   des   Pays-Bas, dont le littoral est exclusivement constitué de côtes sableuses ou endiguées.

2. Choix des sites en fonction de leurs objectifs de gestion et des techniques retenues Le   choix   des   études   de   cas   à   retenir   s’est   ensuite   affiné   en   considérant   à   la   fois   les   objectifs   de   gestion   réalisés   ou   envisagés   ainsi   que   les   techniques   mises   en   œuvre   pour   y   répondre.

Parmi les côtes basses, trois catégories ont été distinguées :   les   côtes   d’estuaire,   les   cordons sableux ou de galets et les côtes endiguées. Certains sites tels Wallasea Island, Alkborough   ou   Abbotts   Hall   ont   été   regroupés   dans   la   catégorie   des   estuaires,   bien   qu’ils   soient endigués.   En   effet,   la   problématique   des   sites   d’estuaire,   endigués   ou   non,   est   particulière   car   leur   transformation   implique   également   de   prévoir   les   modifications   qu’elle   peut  apporter  à  la  géométrie  de  l’estuaire  et  en  particulier  l’abaissement  des  niveaux  d’eau en cas de gestion par dépoldérisation ou managed realignment. Par ailleurs quatre techniques de gestion des côtes basses ont été retenues. Le tableau 6 fait ressortir une certaine spécialisation technique selon les pays, qui sera détaillée dans la seconde partie de ce travail. Ainsi, les Pays-Bas développent une expertise de la technique de rechargement en sable tandis que l’Angleterre   pratique   de   plus   en   plus   la   technique   du   managed realignement. La France n’affiche  pas  de  spécialité  technique  de  la  sorte, mais semble trouver un intérêt grandissant pour les techniques de redynamisation des vasières. Si les premiers objectifs sont très souvent sécuritaires et/ou environnementaux, des objectifs économiques sont systématiquement associés en Angleterre. Un quatrième objectif a été retenu :  celui  de  l’expérimentation  et  des   enseignements que la mise en pratique de certaines techniques peut apporter.  C’est  le  cas  de  la   dépoldérisation ou de la redynamisation des vasières en France et du rechargement massif de sable aux Pays-Bas. La carte 5, accompagnée du tableau 6, localise les différents sites retenus.

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Carte 5 : localisation des sites retenus dans cette étude. Source : Google Earth. Légende dans le tableau 6.

Type de côte Obj. techniques sites pays année

estuaires 2 2+4 1+2+3 2+3 2+3 1+2+3

Redynamisation des vasières Redynamisation des vasières Managed realignment Managed realignment Managed realignment Recreusement chenaux Loire (fiches 11 et 12) Seine (fiches 14 et 15) Humber (Alkborough, fiche 3) Crouch (Wallasea, fiche 13) Blackwater (Abbotts Hall, fiche 4) Escaut occidental (fiche 9)

F F UK UK UK NL en cours 1990+2010 2006 projet 2002 2010 Cordons dunaires ou galets 1+2+3 1+2+3 1+2+4

Laisser faire + digue arrière Managed realignment Rechargement en sable

Belle Henriette (fiche 5) Medmerry (fiche 8) Kijkduin (fiche 1) F UK NL en cours 2014 2012 Côtes endiguées 4 2+4 1+2 2+3 Dépoldérisation Elastocoast Rechargement en sable Dépoldérisation Sainte-Marie-du-Mont (fiche 10) Bathpolder

Hondsbossche zeewering en Petten (fiche 2) Perkpolder F NL NL NL réflexion 2009 2013 projet

Tableau 6 : choix des sites retenus en fonction de leurs objectifs de gestion et des techniques envisagées. Légende : Les numéros affichés dans la colonne « objectifs » correspondent aux objectifs de gestion suivants : 1 = sécuritaire, 2 = environnemental, 3 = économique, 4 = enseignement

82 B. De   l’analyse   des   plans   de   gestion   et   de   l’étude   de   cas   à   l’identification   des

ingénieurs et autres acteurs à rencontrer

Les acteurs à rencontrer  ont  été  identifiés  en  deux  temps.  Tout  d’abord,  la  consultation   de différents plans de gestion et stratégies nationales a permis de dresser pour chaque pays une  première  liste  de  personnes  susceptibles  d’être  interviewées.  C’est  ainsi  que  Marcel  Stive, ayant participé à la Commission Delta de 2008 a été rencontré aux Pays-Bas. De même Job Dronkers, qui a participé à la rédaction du dernier rapport du GIEC, a été interviewé. En France, Frédéric Uhl et Amélie Roche, ayant participé à la rédaction de la stratégie nationale publiée en 2012 ont également été entendus dans ce contexte. Stéphane Costa, Stéphane Raison,  Guy  Désiré  ou  encore  Jacques  Viguier  ont  aussi  fait  l’objet  d’un  entretien  en  rapport   avec leur contribution à la rédaction du guide méthodologique La gestion du trait de côte, édité  en  2010  par  le  Ministère  de  l’Écologie, de  l’Énergie, du Développement durable et de la Mer. Enfin en Angleterre, la rédaction depuis les années 1990 de Shoreline Management Plans a suscité plusieurs entretiens, auprès  d’ingénieurs  comme  de  non  ingénieurs.

Parallèlement   à   ce   travail   d’identification   des   acteurs   à   rencontrer   aux   échelles   européenne,   nationale   et   régionale,   la   sélection   des   études   de   cas,   a   permis   d’identifier   les   acteurs locaux à rencontrer. Chaque projet   de   gestion   comporte   un   maître   d’ouvrage   ainsi   qu’un   maître   d’œuvre,   généralement   entourés   de   nombreux   acteurs : associations diverses, riverains, communes et communautés de communes, syndicats mixtes, entreprises privées, département, région, État etc. Dans le but de bien  cerner  l’ensemble  des  enjeux  des  différents   projets ainsi que les attentes des   uns   et   des   autres,   j’ai   souhaité   rencontrer   au   moins   une   personne de chaque structure impliquée dans un projet. Toutefois, certains   cas   d’étude   réunissaient un trop grand nombre   d’acteurs. Plus de cent personnes sont par exemple impliquées   dans   le   projet   de   recreusement   des   chenaux   de   l’Escaut   occidental. Ainsi l’échantillon   formé   par   les   personnes   interviewées   ne   saurait   être   représentatif   au   sens   quantitatif du terme.

Enfin, un troisième « chemin » a encore   permis   d’élargir   le   nombre   de   personnes   rencontrées. Celui-ci repose sur les recommandations des premières personnes sollicitées. Ces recommandations étaient, soit liées aux structures de gestion incontournables (Environment Agency en Angleterre, les conseils généraux et départementaux en France, Deltares aux Pays-Bas, entre autres), soit liées au profil et au parcours professionnel des personnes à rencontrer. Aux yeux de leurs collègues ces dernières semblaient avoir une vision particulière de la gestion du littoral, une richesse de connaissances transdisciplinaires ou encore une expérience telle qu’elles  devenaient  incontournables  à  interroger.

En  admettant  d’emblée  la  non-exhaustivité de la démarche et une certaine subjectivité, il  s’avère  que  l’éventail  des  formations  rencontrées est riche et varié (Tableau 7).

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Pays-Bas Angleterre France Ingénieurs (46) 17 ingénieurs de génie civil

1 ingénieur architecte

7 ingénieurs génie civil (CEng) 2 ingénieurs  en  gestion  de  l’eau   (CEng)

1 autodidacte assimilé (CEng)

17 ingénieurs de génie civil 1 ingénieur agronome Urbanistes (5) 3 urbanistes 1 architecte / 1 technicien

Techniciens supérieurs (10) 6 techniciens supérieurs en

génie  civil  ou  gestion  de  l’eau 2 techniciens supérieurs en génie civil 2 environnementalistes

Scientifiques (43) 4 écologues 6 environnementalistes 2 géographes physiciens 2 géologues 1 physicien 1 océanologue 1 biologiste 1 sociologue 1 biologiste 4 ornithologues 2 géomorphologues 5 environnementalistes 2 écologues 1 économiste en écologie 1 géographe 1 juristes 4 géographes 1 géomorphologue 1 économiste 1 écologue 1 biologiste

Total (102) 45 acteurs néerlandais 27 acteurs anglais 30 acteurs français

Tableau 7 : classification par pays et par profession des acteurs rencontrés

Pour chacun des 102 acteurs rencontrés,  il  s’est  agi  d’analyser  les  facteurs  suivants : - le  profil  de  l’interviewé  :  « généraliste » ou « spécialiste » et son type de formation - sa fonction au sein du projet :  fonction  de  conseil,  de  management,  d’expertise - l’échelle  (locale,  départementale,  régionale)  d’intervention  de  l’interviewé

- le moment de son intervention (pendant   la   phase   d’étude,   pendant   la   réalisation   du   projet, pendant la phase de contrôle des travaux éventuellement réalisés) et la durée de cette intervention (permanente ou ponctuelle)

- le  degré  de  collaboration  avec  d’autres  acteurs  concernés  par  le  projet - la  position  d’interlocuteur  privilégié  ou  non  pour  les  autres  acteurs

- le degré d’influence  de  l’interviewé  sur  la  décision  finale  retenue  par  les  décideurs La liste des personnes rencontrées figure en annexe.