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Des nouvelles oniriques au théâtre insolite : Ionesco en quête d’une nouvelle dramaturgie

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En réécrivant La Cantatrice chauve, Ionesco s’était essayé à un exercice d’auto-traduction. Dans les années qui suivent cette première tentative, l’auteur entreprend de nouveau d’utiliser son propre travail littéraire pour en retirer une œuvre seconde. La gageure est cette fois différente. Il s’agit de transposer du genre narratif au dramatique le matériau de la forme brève. En effet, Ionesco écrit plusieurs nouvelles, publiées séparément en revue avant d’être rassemblées dans le recueil La Photo du colonel177. Systématiquement, dans la foulée, ces nouvelles font l’objet d’une adaptation au théâtre. Une victime du devoir datant de 1952, devient ainsi, la même année, Victimes du devoir, Oriflamme, rédigée en 1953 donne naissance, quelques mois plus tard, à Amédée ou comment s’en débarrasser. La Photo du colonel conçue en 1955 devient Tueur sans gages, deux ans plus tard. La nouvelle Rhinocéros écrite en 1957 est à l’origine de la pièce du même nom, créée l’année suivante. Enfin, la nouvelle Le piéton de l’air, écrite en 1962, est transformée, la même année, en une pièce au titre identique. Le changement générique impliqué dans ce nouveau processus d’auto-réécriture engage, en comparaison du travail de traduction et de recomposition de La Cantatrice chauve, de nouvelles problématiques.

Frédéric Maurin souligne avec justesse que l’adaptation théâtrale d’une œuvre narrative ne peut être perçue comme un simple exercice de transposition. Il remarque ainsi :

Même dans cette étrange forme réflexive de l’adaptation qu’est l’auto-adaptation […] le moi de l’auteur se scinde, autant que faire se peut, en romancier et dramaturge ; et bien que ces deux postures d’écritures assistent à l’érosion de leurs prétendues spécificités, à l’épanchement mutuel de leurs propriétés, l’auteur n’en rêve pas moins de se traiter, en s’adaptant, comme un autre178.

L’extraordinaire fortune de l’œuvre théâtrale de Ionesco et sa fidélité au genre dramatique tout au long de sa carrière d’écrivain rendent compte d’une évidence : quelle que soit la réussite de ses nouvelles, le théâtre s’est vite imposé à l’auteur comme le genre répondant le mieux à sa nécessité d’écrire et, surtout, le plus apte à transcrire sa vision singulière. La réécriture ionescienne nous intéresse ainsi au premier chef en ce qu’elle offre une opportunité de saisir le fonctionnement de la création de l’auteur, non seulement parce qu’elle invite à considérer une autre facette, moins connue, de son esthétique mais surtout, à l’inverse, parce qu’elle rend possible, dans une analyse différentielle, l’appréhension de la profonde originalité du versant

177 Oriflamme paraît pour la première fois dans La Nouvelle NRF, n°14, 1er février 1954, p. 15-30, Une victime du

devoir dans Médium, n°4, janvier 1955, p. 38-40, La photo du colonel dans La Nouvelle NRF, n°35, 1er novembre 1955, p. 890-904, Rhinocéros dans Les Lettres nouvelles, n°52, septembre 1957, p. 219-235, Le piéton de l’air dans La Nouvelle Revue française, n°110, 1er février 1962, p. 230-249.

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dramaturgique de son œuvre. En se révélant « autres » à l’issue du processus d’adaptation au théâtre, l’écriture et l’imagination de Ionesco ne peuvent manquer de révéler, du même coup, leur singularité.

La métamorphose de formes brèves en pièces de théâtre a exigé de Ionesco une extension textuelle allant à l’encontre de la tendance générale des écrivains adaptateurs partant du roman pour procéder à une condensation. L’enrichissement auquel a procédé le dramaturge ne saurait être envisagé, bien sûr, d’un seul point de vue quantitatif. Si les nouvelles peuvent apparaître, ainsi que l’a suggéré l’auteur lui-même, comme des canevas pour les pièces futures179, ce n’est pas uniquement d’une amplification textuelle à partir d’une trame initiale qu’il s’agit. Par la métamorphose d’un récit en une œuvre vouée à se réaliser dans un espace tridimensionnel, Ionesco opère une conversion de l’unité à la multiplicité, de la simplicité à la complexité.

Pour mesurer l’écart entre les hypotextes narratifs et les hypertextes dramatiques de l’auteur, il faut cependant, dans un premier temps, mesurer les effets de continuité indéniables entre les deux catégories d’œuvres. Ces effets de continuité s’expliquent difficilement par les points de convergence traditionnellement remarqués entre les deux genres concernés. En effet, si de nombreux critiques ont relevé des similitudes entre les nouvelles et le théâtre, ils ont souvent analysé celles-ci par un impératif d’unité (d’action, d’espace, de temps) qu’imposeraient aux deux genres leurs contraintes intrinsèques180. C’est clairement, cependant, un théâtre d’héritage aristotélicien qu’ils envisageaient, ce faisant, pour justifier leur rapprochement. Ionesco, conformément à son souhait de faire voler en éclat les lois de la dramaturgie conventionnelle, libère le plus souvent son théâtre du principe d’unité. Le vecteur de continuité entre les nouvelles et le théâtre ne semble donc pas à rechercher dans le partage de propriétés identiques, spécifiquement génériques. C’est bien plutôt l’aptitude des deux types de textes à accueillir l’imaginaire insolite et onirique qui apparaît comme leur dénominateur

179Ionesco confiera à Claude Bonnefoy : « Le conte est alors le matériau brut, l’écriture directe. Je l’utilise comme un scénario ». (Entre la vie et le rêve, op. cit., p. 62).

180 C’est ce qu’analyse par exemple Michel Viègnes dans L’Esthétique de la nouvelle française au vingtième siècle, New-York, Peter Lang, American University Studies II/ 104, 1989, p. 123 : « l’espace de la nouvelle,

comme c’est logique, tend à être plus unifié que celui du roman. Si ce dernier est « polytopique, » c’est-à-dire présentant une pluralité de lieux, la nouvelle, en revanche, est plutôt « monotopique » : en effet, rares sont les nouvelles dont l’action transporte le lecteur dans plus de deux ou trois localités. Nombreuses, au contraire, sont celles dans lesquelles on retrouve la règle classique de l’unité de lieu. Ceci découle, comme le monothématisme, de la brièveté de la forme et de son exigence de simplicité. Un autre aspect, plus inattendu, de la nouvelle moderne est sa prédilection pour les lieux clos. » Daniel Gronojwski ne dit pas autre chose dans Lire la nouvelle, Armand Colin, Coll « Lire », 2005 (Dunod, 1993 pour la première édition), p. 77 : « Les théoriciens de la nouvelle, comme certains nouvellistes, assimilent volontiers le récit bref à un tableau […] A la métaphore picturale on peut préférer la référence théâtrale, telle du moins que la prône l’esthétique classique : unité de lieu, de temps et d’action, avec un nombre limité de protagonistes ».

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commun. Cadavre qui ne cesse de grandir dans Oriflamme, mystérieux policier qui s’introduit dans les pensées du narrateur d’Une victime du devoir, transformation massive des habitants d’une ville en rhinocéros, tueur en série invincible dans Tueur sans gages, envol du personnage du piéton de l’air, toutes les nouvelles de Ionesco recourent à une forme de fantastique, terme qu’on utilisera, en référence aux affirmations de l’auteur lui-même. Ionesco utilise la notion à de nombreuses reprises, affirmant notamment dans Notes et contre-notes :

J’ai écrit trois contes, comico-tragiques, assez fantastiques, comme mon théâtre, qui sont devenus trois pièces : Amédée, puis Tueur sans gages et Rhinocéros. C’est quand ils ont été écrits que je me suis rendu compte qu’ils étaient, en fait, écrits comme de courtes pièces.181

Or, l’histoire littéraire témoigne d’une cohabitation privilégiée entre le fantastique et la forme brève. L’interprétation de Michel Guissard, cherchant comme bon nombre de critiques à comprendre pourquoi l’écriture du fantastique a spécifiquement élu domicile dans la nouvelle, semble pertinente. Selon lui :

C’est parce que la rupture avec l’expérience commune et ses lois ne peut être que fragmentaire, météorique, que la brièveté du récit est consubstantielle au fantastique. La déstabilisation des repères humains, la mise en question des certitudes n’a de chance de « fonctionner » qu’à condition de faire vite ; ou alors on tombe dans les récits de folie ou les récits de science-fiction, empreints d’une autre logique182.

Ionesco, qui dans toute son œuvre a cherché à représenter le point de brisure où l’existence perd son apparence de normalité pour révéler son caractère profondément insolite, se serait ainsi, dans un premier temps, tout naturellement orienté vers la nouvelle, capable de capturer, par sa brièveté même, la fulgurance de l’appréhension de l’étrange. Le théâtre quant à lui, si l’on admet qu’il procure au destinataire une expérience de déréalisation183, apparaît comme un successeur apte, par une autre voie, à donner corps à l’imaginaire fantaisiste, à la logique du rêve.

Si l’insolite trouve donc une forme d’expression privilégiée dans la nouvelle et le théâtre, les deux genres n’offrent pas les mêmes ressources, les mêmes promesses à l’écrivain. L’adaptation d’un texte aux possibles de la scène ne peut que bouleverser la représentation du temps, le traitement du discours, le statut des images, la nature du comique dans l’œuvre seconde, de sorte que si la recherche d’« une forme de fantastique » traduisant elle-même la surréalité du rêve, a sans doute bien été à l’origine de la parenté entre les nouvelles et le théâtre

181 Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, Gallimard (Folio Essais), 1966, p. 177.

182 Michel Guissard, La Nouvelle française. Essai de définition d’un genre, Louvain-la-Neuve, Bruylant-Academia, coll. « Thèses de sciences humaines n°5 », 2002, p. 155.

183 Simone Benmussa l’a très bien montré dans son article « La déréalisation par la mise en scène » in L’insolite

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de Ionesco, c’est cette même recherche qui, dans un second temps, a radicalement dissocié l’esthétique de l’œuvre dramatique de celle des textes premiers.

S’intéresser à la réécriture des nouvelles de Ionesco au théâtre engage ainsi à étudier comment la forme du récit bref a servi à l’auteur de jalon dans sa réflexion sur l’insolite. Une telle étude permet cependant également de mesurer l’écart entre la narration et l’écriture scénique, d’isoler la richesse et la singularité de celle-ci, de comprendre en quoi les contraintes et les possibilités de la dramaturgie ont permis l’émergence et la consolidation de son esthétique onirique.

1. Les nouvelles comme laboratoire dramaturgique

Mesurer en quoi les nouvelles de Ionesco ont pu fonctionner comme un laboratoire dramaturgique nécessite une réflexion en deux temps. Il s’agit d’abord d’envisager le récit bref comme le creuset d’une esthétique de l’insolite appelée à se développer plus amplement au théâtre. La singularité des nouvelles de Ionesco réside, pour une large part, dans le lien entretenu par celles-ci avec l’onirisme. L’auteur lui-même a confié qu’Amédée et La photo du colonel avaient été écrites à la suite de rêves. C’est également « à partir de rêves 184» que l’auteur bâtit Le piéton de l’air. La nouvelle crée chez le lecteur une sensation d’irréalité propre à l’onirisme, aussi bien parce qu’elle consacre un long développement au songe étrange que raconte le personnage de Joséphine, l’épouse du narrateur, que parce qu’elle semble en mimer, dans sa structure et son contenu mêmes, la teneur et le mouvement déconcertants. La nouvelle Une victime du devoir reprend les étapes d’une pratique à laquelle s’adonnait Ionesco en psychanalyse, le rêve éveillé. Seule Rhinocéros apparaît comme étrangère au domaine onirique, constat qui n’est pas sans contribuer à expliquer le relatif classicisme de la composition de la pièce adaptée. Et pourtant, en retranscrivant l’image obsessionnelle d’une humanité cédant à la barbarie, image forgée dans l’esprit de l’auteur dans sa jeunesse lorsqu’il assista impuissant à la montée du fascisme en Roumanie, Ionesco livre à son lecteur ce qui s’apparente à un cauchemar éveillé. L’insolite tel qu’il se déploie dans les nouvelles pourrait ainsi être qualifié de transitionnel. Il serait l’étape nécessaire entre l’appréhension immédiate d’une série de sensations oniriques et leur mise en forme plus élaborée sous une forme dramatique. Les récits brefs, qui ont assurément permis à leur auteur de coucher plus rapidement sur le papier que ne l’aurait fait le théâtre, les émotions et les impressions du rêve, prépareraient la construction plus subtile des œuvres dramatiques. Jean Delay, dans sa réponse au discours de réception de

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Ionesco à l’Académie française en 1971, ne s’y trompe pas. Il affirme en effet, s’adressant au dramaturge :

Ce caractère onirique donne son unité au recueil de nouvelles que vous avez intitulé La photo du

colonel. Vous y avez noté dès le réveil, à l’instant où l’esprit se réinsère dans le réel, les fantasmes de vos

songes nocturnes, matrice des futurs scénarios qui développeront en dialogues les épreuves nées dans la chambre obscure. Par opposition au théâtre réaliste, que vous exécrez, vous avez créé un théâtre surréaliste185.

Les « contes, comico-tragiques, assez fantastiques » de Ionesco suscitent ainsi d’emblée l’intérêt en promettant de révéler la manière dont s’incarne avec une certaine immédiateté l’imaginaire insolite de l’auteur dans une création. D’autre part, ils constituent une étape indéniable dans l’infléchissement de la dramaturgie ionescienne vers une logique onirique. Or, c’est bien, en définitive, cela qu’il importe d’étudier. Qu’ont à nous dire les nouvelles de Ionesco au sujet de son du théâtre ? En quoi - après elles, à travers elles, grâce à elles - son esthétique s’est trouvée métamorphosée. Au-delà même de la relation triangulaire qu’elle établit entre l’insolite, la forme brève et le théâtre, la réécriture des récits à la scène promet d’offrir une série de clés de lecture de la fabrique dramaturgique de l’auteur.

En confiant avoir conçu ses nouvelles « comme de courtes pièces » 186 le dramaturge invite à rechercher dans son œuvre narrative des indices de théâtralité, c’est-à-dire, pour reprendre la définition qu’en donne Muriel Plana, « la présence dans les structures ou les formes d'un texte donné, a priori non théâtral, d'une certaine idée formelle du théâtre »187. L’une des ambiguïtés inhérentes au concept de théâtralité réside dans le fait que celui-ci recouvre précisément deux réalités distinctes, essentielle et formelle. La théâtralité peut, en effet, se comprendre comme l’ensemble des éléments susceptibles de renvoyer dans l’imaginaire du destinataire à l’essence du théâtre – souvent caractérisé par un excès – injectés de quelque manière que ce soit dans un texte le plus souvent lui-même non dramatique. Elle peut également caractériser l’estompement formel des frontières génériques entre le théâtre et le texte non théâtral. Ionesco, dont l’esthétique repose sur la démesure, impose fréquemment une théâtralité, envisagée dans le sens premier, à son œuvre dramatique même, c’est-à-dire là où ce concept est « a priori » le moins attendu. Victimes du devoir, en particulier, recourt de manière récurrente à un tel procédé. Les personnages y sont amenés à jouer eux-mêmes d’autres personnages comme, l’indique, par exemple, la didascalie stipulant que Madeleine et le Policier « sont devenus deux personnages

185 Jean Delay, Discours de réception de Eugène Ionesco à l’Académie française et réponse de Jean Delay, Gallimard, 1971, p. 67.

186 Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, op. cit., p. 177.

187 Muriel Plana, La relation roman-théâtre des lumières à nos jours, sous la direction de J.P.Sarrazac, Université paris III-Sorbonne nouvelle, Institut d'études théâtrales, 1999, p. 526.

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différents qui jouent la scène 188». Cette théâtralité au sein du théâtre qui engendre fatalement une réflexivité, une prise de distance du genre par rapport à lui-même, n’est pas étonnante chez un dramaturge ayant fait de la « distance », du « détachement189 » une posture appelée de ses vœux sur le plan existentiel. La question est de savoir si cette mise en exergue du fait théâtral, paradoxalement présente dans les pièces de Ionesco donc, est aussi opérante dans ses contes. Au moment où l’auteur écrit ses nouvelles, entre 1952 et 1962, il est en train de devenir un dramaturge aguerri. Qui plus est, la rédaction des récits ne se fait pas de manière continue mais bien dans un aller et retour constant avec l’écriture scénique. Ionesco nouvelliste n’est donc pas un auteur qui ignore encore tout du genre qui va consacrer sa renommée littéraire ; il apparaît bien plutôt comme habité par une réflexion en constant renouvellement sur la dramaturgie, ce dont attestent les essais qu’il lui consacre, parallèlement à l’écriture de ses nouvelles. La revendication par l’auteur d’une théâtralité de ses récits invite dès lors à envisager ceux-ci comme porteurs, eux-aussi, d’une interrogation sur le théâtre, comme le lieu où pourrait s’élaborer, dans la distance non pas d’un genre se regardant lui-même mais d’un genre par rapport à un autre, une mise en question et une remise en jeu du fait théâtral. La théâtralité, c’est aussi un brouillage formel des codes génériques. Dans cette acception, le constat de Ionesco amène à envisager l’hypothèse selon laquelle, comme dans une logique d’écriture à contrainte, l’auteur aurait éprouvé les ressources, les possibilités et les limites de l’écriture dramatique en s’adonnant à son apparent inverse : la narration.

1.1. La brièveté : creuset de l’expérience onirique et insolite

La nouvelle est un genre protéiforme, qui semble par là-même se dérober à toute caractérisation intangible190. La nature hétéroclite des récits brefs met en difficulté la critique littéraire et lui fait courir le risque, comme l’analyse avec justesse René Godenne, d’opérer une généralisation à partir d’exemples trop spécifiques. Au contraire, aux yeux du critique : « Rendre compte de la notion de « nouvelle » dans sa totalité c'est ne pas établir une définition à partir d'une de ses manifestations191». En dépit de ce constat, la brièveté apparaît – malgré l’existence de contre-exemples et le caractère subjectif de la longueur d’une œuvre donnée-

188 Eugène Ionesco, Victimes du devoir in Théâtre complet, op. cit., p. 220.

189 Il n’y a qu’à penser au credo prêté par Le Policier à Choubert, double scénique de Ionesco dans Victimes du evoir : « M. Choubert est aussi, je crois, un partisan de la politique du « détachement-système » in Théâtre complet,

op. cit., p. 211.

190 Ce constat est si unanimement partagé par la critique que Michel Viegnes écrit, en amorce d’un ouvrage consacré au genre : « C’est devenu un poncif : la plupart des théoriciens commencent par annoncer qu’il est impossible de définir la nouvelle » in L’œuvre au bref. La nouvelle de langue française depuis 1900, Genève, Editions de la Baconnière, 2014, p. 19.

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comme un critère opératoire, sans doute le seul, pour analyser la nouvelle, ce que met d’ailleurs en lumière le nom anglo-saxon du genre, « short story ». A cet égard, il est difficile de ne pas souscrire à la remarque du critique américain Norman Friedman qui affirme:

Pour ma part, je ne pense pas qu’il existe de définition relative à la nouvelle plus spécifique qu’ "un court récit fictif en prose". Dans les bornes de cette définition, nous ne pouvons logiquement ni empiriquement exclure aucune action, d’aucune sorte ni d’aucune taille, aucune technique ou aucun effet de clausule. Nous pouvons simplement faire le constat de la brièveté et explorer ses causes possibles192 .

La brièveté semble en effet entretenir un rapport causal avec une série de traits souvent remarquables dans les nouvelles et relevés par la critique tels que l’intensité, le recours privilégié à une écriture imagée ou métaphorique, la tendance à l’ellipse. Tous ces traits de composition sont, à divers degrés, présents chez Ionesco, dont les nouvelles relèvent sans ambiguïté de la définition de Norman Friedman. Ils engagent à s’interroger sur la fonction préparatoire de la nouvelle au théâtre, non seulement en ce que la brièveté permet la constitution d’un canevas pour l’œuvre future mais aussi parce qu’elle semble entretenir un lien consubstantiel avec l’insolite et l’onirisme. Pourquoi l’imaginaire ionescien a-t-il opportunément trouvé à s’incarner dans une forme resserrée ? Dans quelle mesure la brièveté

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