• Aucun résultat trouvé

Nous identifions également dans les dispositions légales existantes

SeCtion 2. – Les pistes pour le futur

39. Nous identifions également dans les dispositions légales existantes

la nécessité de prendre en compte le paramètre de l’indépendance dans le contrôle exercé, particulièrement si des contenus d’information sont visés. En effet, les précautions prises autour des contenus d’information ne visent pas à exonérer les journalistes de toute responsabilité mais à pré-server leur liberté d’information au regard de l’intérêt général. En dépit des problèmes évidents qu’elles posent, les lois française et allemande sug-gèrent des pistes intéressantes.

Au nombre de ces mesures complémentaires, la loi française confie au CSA le soin de recommander aux plateformes des mesures de lutte contre la désinformation. En Allemagne, le dispositif prévoit, d’une part, une possibilité d’intervention par les tribunaux pénaux compétents en cas de délai nécessaire pour l’examen des contenus « manifestement illicites » et, d’autre part, la possibilité (et non pas l’obligation) pour la plateforme de demander à une instance d’autorégulation organisée de se prononcer sur l’illicéité d’un contenu qui, si elle n’enlève rien au pouvoir décisionnel premier de l’opérateur, n’en reste pas moins intéressante.

L’intervention à distance d’un régulateur indépendant permet d’éviter à  des acteurs économiques, dont la priorité n’est pas l’intérêt général mais le marché, d’assurer seuls l’exécution de leurs obligations… Cette intervention est utile pour autant qu’elle ne porte pas sur la liberté d’in-formation mais sur la mise en œuvre d’instruments destinés à permettre au public d’apprécier les contenus diffusés, comme c’est le cas pour la publication des données de transparence par exemple. Les principes en jeu ne diffèrent pas sur ce point de ce qui figure par exemple dans la directive sur les services de médias audiovisuels qui approche les ques-tions de libre concurrence et de protection du consommateur sans pour autant toucher aux contenus journalistiques. Le cadre qui viserait les contenus diffusés en ligne (ou certains d’entre eux) ne devrait-il pas pro-céder à  l’identique, ce qui reviendrait à  protéger la liberté d’informer sur tous supports ? La piste d’une autorégulation qu’elle soit spécifique-ment appliquée aux réseaux sociaux, ou mise en avant de manière plus générale dans les recommandations belges et européennes ne pourrait-elle y  contribuer utilement  ? Ne pourrait-pourrait-elle prendre la forme, d’une autorégulation organisée, indépendante et professionnelle, ouverte au public  (par opposition à  une forme d’autorégulation «  privée  ») des contenus d’information ?

40. Cette question de l’autorégulation est essentielle. Ainsi, comme

nous l’avons déjà indiqué, protéger le champ de l’information ne signi-fie pas que les journalistes soient irresponsables. À l’instar de tous droits et libertés, l’exercice de la liberté de la presse, « corollaire » de la liberté d’expression 187, comporte, bien évidemment, des devoirs et des respon-sabilités 188. Les lois générales s’appliquent à  l’égard des journalistes en considération de la liberté de l’information et de l’intérêt général. Par ail-leurs, pour garantir l’exercice de cette responsabilité et bénéficier de la confiance que leur accorde le public, ils respectent des règles internes, dont des instances professionnelles et indépendantes se chargent d’assu-rer le respect dans plusieurs pays. Les journalistes – au sens fonctionnel – sont ainsi redevables de la qualité de leur travail devant leurs pairs et devant leur public, sans ingérence d’autorité externe.

À cet égard, la Cour européenne des droits de l’homme attache de l’im-portance au lien existant entre l’exercice des droits que confère l’article 10 de la Convention et le respect des devoirs et responsabilités – au rang des-quels s’élève la déontologie journalistique – qui vont de pair avec l’octroi de tels droits. Elle répète en effet régulièrement que l’article 10 « protège le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général dès lors qu’ils s’expriment de bonne foi, sur la base de faits exacts, et fournissent des informations « fiables et précises » dans le respect de l’éthique journalistique » 189. La jurisprudence strasbourgeoise

187 Conseil de l’Europe, Le journalisme ouvert, Iris plus, 2013-2, Strasbourg, observatoire européen de l’audiovisuel, 2013, disponible sur www.obs.coe.int, p. 3 ; Recommandation n° R (2011) 7 du Comité des ministres aux états membres sur une nouvelle conception des médias, adoptée le 21 septembre 2011, disponible sur https://wcd.coe.int.

188 C.E.d.H., art.  10.2  ; Assemblée parlementaire, résolution 1003  (1993) relative à l’éthique du journalisme, adoptée le 1er juillet 1993 lors de la 42e séance, pt 8, disponible sur http://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XmL2HtmL-FR.asp?fileid=16414&lang=FR  ; Cour. eur. d.H., arrêt Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, req. n° 5493/72, § 49 ; Cour eur. d.H. (gde ch.), arrêt Fressoz et Roire c. France, 21 janvier 1999, req. n° 29183/95, § 52 ; Cour eur. d.H. (3e sect.), arrêt Bergens Tidende et autres c. Norvège, 2 mai 2000, req. n° 26132/95, § 53 ; Cour eur. d.H. (gde ch.), arrêt Pedersen et Baadsgaard c. Danemark, 17 décembre 2004, req. n° 49017/99, § 78 ; Civ. Bruxelles (14e ch.), 9 mars 2010, J.L.M.B., 2010/18, p. 851.

189 Cour eur. d.H.  (gde ch.), arrêt Fressoz et Roire c. France, 21  janvier 1999, req. n°  29183/95, §  54. dans le même sens, voy. Cour eur. d.H.  (gde ch.), arrêt Pedersen et

Baadsgaard c. Danemark, 17 décembre 2004, req. n° 49017/99, § 78 ; Civ. Bruxelles (14e ch.), 9 mars 2010, J.L.M.B., 2010/18, p. 854. pour une formulation semblable, voy. égal. Cour eur. d.H., arrêt Bladet Tromso et Stensaas c. Norvège, 20 mai 1999, req. n° 21980/93, § 65. dans le même sens, voy. Cour eur. d.H. (3e sect.), arrêt Bergens Tidende et autres c. Norvège, 2 mai 2000, req. n° 26132/95, § 53 ; Cour eur. d.H. (2e sect.), arrêt Colombani et autres c. France, 25 juin 2002, req. n° 51279/99, § 65 ; Cour eur. d.H. (2e sect.), arrêt Radio France et autres

c. France, 30 mars 2004, req. n° 53984/00, § 37 ; Cour eur. d.H. (3e sect.), arrêt Monnat

prend par ailleurs en compte l’évolution de la société, toujours plus inter-connectée, et souligne l’importance de la déontologie dans un univers où tout un chacun peut potentiellement devenir un diffuseur d’infor-mation. Ainsi, dans un arrêt Stoll contre Suisse, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que « dans un monde dans lequel l’individu est confronté à  un immense flux d’informations, circulant sur des sup-ports traditionnels ou électroniques et impliquant un nombre d’auteurs toujours croissant, le contrôle du respect de la déontologie journalistique revêt une importance accrue » 190.

Notons encore que prendre en compte la question de la pratique pro-fessionnelle et de son autorégulation par une instance spécifique per-met d’éviter de confondre le phénomène de la désinformation avec les erreurs accidentelles, les faits erronés ou encore les erreurs factuelles. L’autorégulation journalistique y apporte en effet des réponses adaptées. Depuis des décennies, l’obligation de rectification des faits erronés trouve écho dans divers textes contenant les normes déontologiques auxquelles sont soumis les journalistes 191. Cette exigence, qui s’inscrit dans une

c. Suisse, 10  décembre 2007, req. n°  69698/01, §  103  ; Cour eur. d.H.  (2e  sect.), arrêt

Haldimann et autres c. Suisse, 24 février 2015, req. n° 21830/09, § 61 ; Bruxelles (9e ch.), 20 septembre 2001, J.T., 2002, p. 27 ; Bruxelles (2e ch.), 26 février 2003, R.G.A.R., 2004, n°  13867  ; Bruxelles  (9e  ch.), 11  mai 2007, J.L.M.B., 2008/18, p.  790  ; Liège  (20e  ch.), 30 juin 2010, J.T., 2010, p. 580.

190 Cour eur. d.H. (gde ch.), arrêt Stoll c. Suisse, 10 décembre 2007, req. n° 69698/01, § 104.

191 Code de principes de la FIJ sur la Conduite des Journalistes, adopté en 1954 lors du Congrès mondial de la Fédération internationale des journalistes et amendé lors du congrès de 1986, article 5, disponible sur http://www.ifj.org/fr/la-fij/code-de-principe-de-la-fij-sur-la-conduite-des-journalistes/ : « le journaliste s’efforcera par tous les moyens de rectifier toute information publiée et révélée inexacte et nuisible » ; déclaration des devoirs et des droits des journalistes, adoptée les 24 et 25 novembre 1971 par les représentants des syndicats des journalistes des 6 pays membres de la Communauté européenne à munich et en 1972 par la Fédération Internationale des Journalistes, devoir n° 6, disponible sur http://eeas.europa. eu/archives/delegations/tunisia/documents/page_content/charte_munich1971_fr.pdf  : le journaliste se doit de « rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte » ; Code de principes de journalisme, adopté en 1982 par l’Association belge des Editeurs de Journaux, la Fédération belge des magazines et l’Association Générales des Journalistes professionnels de Belgique, article  7, disponible sur http://www.ajp.be/telechargements/codeprincipes.pdf  : « les faits et informations qui, après avoir été publiés, se révéleraient faux, doivent être recti-fiés sans restrictions, et sans préjudice des dispositions légales sur le droit de réponse » ; Code

van de Raad voor de journalistiek, adopté par le Raad voor de journalistiek le 20 septembre

2010 et révisé les 23  avril 2012, 16  décembre 2013, 7  décembre 2015 et 12  décembre 2016, article 6, disponible sur http://www.rvdj.be/sites/default/files/pdf/code-rvdj.pdf : « de

optique de recherche et de respect de la vérité 192, impose aux journa-listes de rectifier – explicitement et rapidement – leurs erreurs. Comme le rappelle régulièrement le Conseil de déontologie journalistique dans sa jurisprudence, bien que toute erreur soit regrettable et, si possible à éviter, les médias n’en sont pas à  l’abri 193. C’est, notamment, parce que l’er-reur est humaine qu’une norme de la déontologie journalistique impose le devoir de rectification des faits erronés 194. D’ailleurs, lorsque les jour-nalistes admettent et corrigent leurs erreurs, ils garantissent, par le biais de leur déontologie, leur crédibilité et renforce également leur contrat de confiance avec le public, ce qui leur permet in fine de se démarquer des flux d’informations non journalistiques 195. En effet, dans la concurrence de l’information de plus en plus accrue, il est primordial pour les journa-listes de se distinguer des autres sources d’informations privilégiant buzz et mensonges 196. Par ailleurs, puisque mentir c’est faire croire que ce que l’on dit est vrai et puisque l’essentiel de la croyance repose sur la qualité reconnue à l’énonciateur, la lutte contre les fake news passe à coup sûr par la responsabilisation des acteurs de l’information : par leur autorégulation,

Code de déontologie journalistique, adopté par le Conseil de déontologie journalistique le 16 octobre 2013, Les carnets de la déontologie n° 5, mis à jour en septembre 2017, art. 6 : « Les rédactions rectifient explicitement et rapidement les faits erronés qu’elles ont diffusés ».

192 d. cornu, Journalisme et vérité : l’éthique de l’information au défi du changement

média-tique, op. cit. (voy. note 28), p. 91 ; a. guedJ, Liberté et responsabilité du journaliste dans l’ordre

juridique européen et international, op. cit. (voy. note 32), p. 223.

193 Conseil de déontologie journalistique, M. De Deken c. rtbf.be, plainte 16-45, avis du 14  décembre 2016  ; Conseil de déontologie journalistique, M.  Ortmans c. Mme  Rasujew/

L’Avenir, plainte 16-49, avis du 15 mars 2017. dans le même sens, voy. e. cruySmanS, « La presse en ligne et le droit », op. cit. (voy. note 177), p. 224 ; a. guedJ, Liberté et responsabilité

du journaliste dans l’ordre juridique européen et international, op. cit. (voy. note 32), pp. 207

à 209 et p. 222.

194 Conseil de déontologie journalistique, M. Ferier c. M. Tamigniau/rtl.be, plainte 13-18, avis du 26 juin 2013. dans le même sens, voy. d. cornu, Journalisme et vérité : l’éthique de

l’information au défi du changement médiatique, op. cit. (voy. note 28), p. 92 ; a. guedJ, Liberté

et responsabilité du journaliste dans l’ordre juridique européen et international, op.  cit.  (voy.

note  32), p.  207  ; a.  Linard, «  un code de déontologie actualisé pour les journalistes  »,

op. cit. (voy. note 177), p. 73

195 Conseil de déontologie journalistique, M. De Deken c. rtbf.be, plainte 16-45, avis du 14 décembre 2016 : « Le CdJ rappelle que corriger des faits erronés et en informer en toute transparence le public s’inscrit dans le cadre de la responsabilité déontologique qui contri-bue à garantir la crédibilité des médias d’information. C’est sur cette base que s’établit le contrat de confiance qui lie ces médias à leur public et les distingue des autres flux d’infor-mation non journalistiques ».

196 d. cornu, Journalisme et vérité : l’éthique de l’information au défi du changement

média-tique, op. cit. (voy. note 28), p. 92 ; B. greviSSe, Déontologie du journalisme. Enjeux éthiques

et identités professionnelles, 2e éd., op. cit. (voy. note 28), p. 196 ; m. Lemay, Vortex : la vérité

c’est-à-dire le fait qu’ils soient redevables devant le public et leurs pairs du sérieux de leur travail ainsi que par la reconnaissance, l’identification de celle-ci dans le flux indistinguible des informations (label « information déontologique »).

Considérée du point de vue régulatoire, l’autorégulation idéale – du moins telle qu’elle apparaît dans certains textes européens – s’applique à des cas jugés appropriés, doit être efficace et doit permettre in fine d’at-teindre les objectifs de la régulation qui peut, en cas de carence, s’y subs-tituer 197. Indiquons que certains cadres légaux prévoient déjà des formes de complémentarité entre autorégulation et régulation dans des cas où la première ne permettrait pas de répondre dans la durée au problème constaté. Ainsi, en Belgique – Communautés française et germanophone –, lorsqu’une plainte relative à un contenu d’information porte à la fois sur des dispositions légales en matière audiovisuelle et des règles de déon-tologie journalistique, le régulateur de l’audiovisuel  (le CSA) peut inter-venir après avis du Conseil de déontologie journalistique sur un contenu d’information audiovisuel dans trois situations uniquement : la récidive, l’implication éditoriale ou la gravité de la faute. Dans les autres cas, le CSA fait sien l’avis du Conseil de déontologie journalistique 198.

197 La directive énonce ainsi en son article  4bis  : «  Les états membres encouragent l’utilisation de la corégulation et la promotion de l’autorégulation au moyen de codes de conduite adoptés au niveau national dans les domaines coordonnés par la présente direc-tive, dans la mesure où leur ordre juridique le permet. Ces codes a) sont conçus de manière à être largement acceptés par les principaux acteurs dans les états membres concernés ; b) définissent leurs objectifs clairement et sans ambiguïté ; c) prévoient que la réalisation de ces objectifs est suivie et évaluée de manière régulière, transparente et indépendante  ; et d) assurent une mise en œuvre effective, notamment au moyen de sanctions efficaces et proportionnées ». Le point 3 de cet article 4bis prévoit l’éventualité d’une intervention plus stricte ou détaillée des états membres notamment « lorsque leurs autorités ou organismes de régulation nationaux indépendants concluent qu’un code de conduite ou des parties de celui-ci se sont avérés ne pas être suffisamment effectifs  ». voy. directive  2010/13/uE du parlement européen et du Conseil du 10  mars 2010 visant à  la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des états membres relatives à  la fourniture de services de médias audiovisuels (directive « Services de médias audiovisuels »), telle que modifiée par la directive 2018/1808/uE du parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018, L 303, p. 69. Le Comité économique et social européen identifiait déjà en 2005 les conditions de bon exercice de l’autorégulation et de la corégulation : prise en compte de l’intérêt général, transparence, représentativité et efficacité du suivi. voy. Comité économique et social européen, L’état actuel de la corégulation et de l’autorégulation dans le

marché unique, mars 2005, p. 12.

198 décret du 30 avril 2009 réglant les conditions de reconnaissance et de subventionne-ment d’une instance d’autorégulation de la déontologie journalistique, M.B., 10 septembre 2009, art. 4, §§ 2 et 3.

Documents relatifs