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Quelques notions liées au vieillissement et à la perte de la marche

Chapitre 3 : Quand la marche est altérée, comment continuer à avancer ?

I. Quelques notions liées au vieillissement et à la perte de la marche

A- Chute et estime de soi

a) Généralité sur la chute

Comme nous l’avons vu dans le développement de ce mémoire, le vieillissement entraîne des modifications ostéo-articulaires, musculaires et sensorielles ayant des conséquences à la fois sur l’équilibre mais aussi sur la marche. Ces modifications engendrent une majoration du risque de chute chez la personne vieillissante. L’observation clinique de pathologies de la personne âgée démontre également que le risque de chute peut être augmenté par certains troubles se surajoutant au vieillissement physiologique de l’organisme.

Les chutes sont parmi les principales causes externes de blessures non intentionnelles. Les chutes sont définies par l’OMS comme « tout événement au cours duquel une personne est brusquement contrainte de prendre involontairement appui sur le sol, un plancher ou toute autre surface située à un niveau inférieur » [41]. Le nombre de chutes augmente de manière exponentielle avec les changements biologiques liés à l'âge. Environ 28-35% des personnes âgées de soixante-cinq ans et plus tombent

chaque année, passant de 32 à 42% pour les plus de soixante-dix ans. Les chutes représentent 40% de tous les décès dus à des blessures [56].

Environ 9 000 décès de personnes âgées de plus de soixante-cinq ans sont associés chaque année en France à une chute. La chute peut être responsable de fractures et particulièrement celle du col du fémur. À un niveau plus psychologique, la chute peut être traumatisante engendrant par la suite une peur de chuter de nouveau et potentiellement un syndrome de désadaptation psychomotrice, appelé après une chute un syndrome post-chute.

b) Syndrome post-chute

1. Définition

Le syndrome post-chute est l’appellation du syndrome de désadaptation psychomotrice survenant de façon aiguë après une chute. Il se définit par l’apparition dans les jours suivants une chute chez une personne âgée, d’une diminution des activités et de l’autonomie physique, alors que l’examen clinique et le bilan radiologique ne décèlent pas de cause neurologique ou mécanique ou de complication traumatique. Il correspond à une véritable sidération des automatismes de l’équilibre et de la marche.

2. Sémiologie clinique

Le syndrome post-chute associe :

 Une composante motrice : Au fauteuil le patient a une tendance à la rétropulsion avec impossibilité de passage en antépulsion. Debout, la marche est tâtonnante avec élargissement du polygone de sustentation et flexion des genoux ;

 Une composante psychologique : Elle se traduit par une anxiété majeure, le patient a peur du vide antérieur. Au maximum il existe une astaso-basophobie 4;

 Un syndrome de régression psychomotrice peut compliquer le syndrome post-chute avec l’apparition d’une recherche de dépendance (clinophilie, incontinence, demande de couches, aide aux repas) ;

 Un syndrome dépressif est à rechercher systématiquement.

3. Pronostic

Le syndrome post-chute est réversible s’il est pris en charge précocement. En l’absence de prise en charge rapide, spécifique et multidisciplinaire de cette véritable urgence gériatrique, l’évolution se fera vers l’état grabataire irréversible.

D’après GINESTE [12], les grabataires sont aujourd’hui fabriqués par la prise en charge institutionnelle. Grabataire signifie « celui qui est malade et qui garde le lit » [13]. Pour lui, la marche doit être maintenue le plus longtemps possible avec la personne âgée lorsque son état le permet car « un muscle qui ne fonctionne plus au-delà de quatre-vingts ans perd 15% de sa force après une semaine d’immobilisation. 10%, la semaine suivante. En trois semaines un grabataire est fabriqué ». Maintenir la verticalisation et la marche chez la personne âgée, c’est lui dire « rester debout avec nous jusqu’au bout ».

c) Chute et identité de la personne

Le vieillissement procède à des remaniements de l’identité du sujet. Michelle JOULAIN déclare que « Les identités personnelles sont largement élaborées et nourries par nos identités sociales qui, elles, sont appréhendées, acceptées, modulées à travers le prisme de nos identités personnelles » [59 (p.23)]. Ainsi, l’identité personnelle est en remaniement permanent en fonction des expériences vécues corporellement mais aussi au niveau de la sphère affective et cognitive. Le processus d’identité est dynamique et multiple. JOULAIN ajoute « L’identité est la résultante d’une construction cognitivo- affective, faite de sensations, émotions, sentiments, comme de traitements sur soi et les autres. Elle a un caractère à la fois social et personnel et elle s’élabore avec et à travers autrui » [59 (p.23-24)].

L’identité s’enracine dans l’action. Elle a besoin de concret, de pratiquer pour exister, pour s’expérimenter et ainsi s’affirmer, se consolider, se modifier aussi, à travers l’engagement, la prise de responsabilités. Finalement, l’identité s’élabore et se construit par la valorisation de soi et l’estime de soi. C’est en se dépassant et en étant en action que la personne se valorise aux yeux d’autrui et donc à ses propres yeux. L’estime de soi implique à la fois la reconnaissance de ses ressources, l’acceptation de ses limites, la capacité à canaliser ses angoisses et à assumer ses échecs. Avoir une identité c’est être reconnu par soi et par les autres pour ses capacités et ses qualités.

Le sentiment d’identité s’appuie ainsi sur ceux de continuité temporelle et de singularité. Il permet qu’une personne se considère comme une unité, avec, selon les cas, plus ou moins de cohérence, ou plus ou moins de fragilité, et cela quelle que soit la succession d’expériences accumulées au fil des ans. Avec le vieillissement, la personne doit faire un deuil de l’idéal du corps. L’altération de la marche et la chute sont subies par la personne. « Au-delà de la perte d’équilibre physique, elle crée une situation de rupture psychologique par le changement de situation qu’elle implique (hospitalisation, entrée en institution). On marche pour aller quelque part, mais quel lendemain le sujet âgé peut-il encore projeter après la chute ? » [59 (p. 52)]. Le futur est incertain. La chute entraîne donc un remaniement du schéma corporel, du vécu corporel et des projections futures. L’identité s’en trouve modifiée.

B- Autonomie, dépendance et handicap

« Tant que nous avons les moyens de réaliser les actes de la vie quotidienne de manière indépendante, nous ne pouvons pas soupçonner combien ne plus pouvoir se mouvoir librement peut altérer le socle de l’organisation de notre pensée. Accompagner pendant de nombreuses années des personnes en fin de vie, nous apprend que se mouvoir nous donne l’occasion d’exprimer notre rapport au monde », Geneviève PONTON [72 (p. 60)].

Lorsque nous pensons à la gériatrie, nous pensons fréquemment à la dépendance qu’elle engendre. L’autonomie et la dépendance ne sont pas à opposer. En effet, l’autonomie se définit comme la capacité à prendre des décisions, à se gouverner soi-même. Elle présuppose avoir une capacité de jugement, de pouvoir prévoir et choisir. C’est aussi la liberté de pouvoir agir. La dépendance, quant à elle, est une incapacité partielle ou totale à effectuer des activités sans aides et à pouvoir s’adapter à son environnement. Les personnes âgées sans troubles cognitifs sont donc souvent autonomes mais dépendantes.

Le terme handicap apparaît en France en 1957. À cette période, il est défini comme un écart par rapport à une norme, un déficit ou des difficultés d’ordre physique, mental et social. Au fil des années, l’accent est porté sur la déficience qui résulte du handicap, puis sur la limitation à la vie sociale et professionnelle. Le statut de la personne en situation de handicap évolue. Différentes lois sont mises en place afin de favoriser l’intégration de ces personnes dans la vie professionnelle et de faciliter l’accessibilité des villes (déplacements, logements,…).

En 1980, l’OMS publie la Classification Internationale du Handicap (CIH). Cette classification définit trois concepts :

- La déficience : Perte ou anomalie portant sur un organe ou une fonction. C’est l’aspect lésionnel du handicap.

- L’incapacité : Elle correspond à la réduction de la capacité d’agir. C’est l’aspect fonctionnel du handicap.

- Le désavantage : C’est le résultat de la déficience et de l’incapacité conduisant à une limitation ou une incapacité à accomplir un rôle social. C’est l’aspect situationnel du handicap.

L’OMS propose ensuite la Classification Internationale du fonctionnement, du handicap et

de la santé (CIF). [Se référer à l’ANNEXE 8]. Cela permet de décrire des situations relatives à la

restriction fonctionnelle dans un langage uniformisé et normalisé afin de décrire les états de santé. Cette classification insiste sur le fait que le handicap résulte d’interactions entre [15] :

- Les fonctions organiques : Fonctions physiologiques des systèmes organiques - Les structures anatomiques : Les parties anatomiques du corps (organes, membres)

- Les déficiences : Problèmes dans la fonction organique ou la structure anatomique (écart ou perte)

- L’activité : Exécution d’une tâche

- La limitation d’activité : Les difficultés rencontrées pour exécuter une tâche - La participation : Implication d’une personne dans une situation de vie réelle

- La restriction de participation : Problème que la personne peut rencontrer dans son implication dans une situation de vie réelle

- Les facteurs environnementaux : L’environnement physique, social et attitudinal dans lequel les gens vivent et mènent leur vie.

Le handicap peut être d’ordre :

- Moteur : Déficience des fonctions motrices entraînant une atteinte partielle ou totale de la motricité.

- Sensoriel : Déficience ou altération, partielle ou totale, soit de la vision ou de l’audition.

- Mental : Déficience ou altération intellectuelle entraînant des difficultés de réflexion, de compréhension et de conceptualisation.

- Psychique : Il regroupe les conséquences durables des maladies mentales, tant au niveau affectif et émotionnel, qu’au niveau de la personnalité qui est perturbée, sur les facultés d’intégration sociale du malade.

- Cognitif : il regroupe un ensemble de troubles qui peuvent avoir des conséquences importantes dans la vie des personnes en termes de limitation d’activité et de participation à la vie sociale.

Quel que soit le handicap, il entraîne des souffrances psychiques pour le sujet et son entourage. Dans l’altération de la marche, nous voyons que toutes les sphères de la vie de l’individu sont touchées. La personne est limitée dans sa participation et son activité. L’environnement influence également le handicap.

C- Notion de deuil

La sénescence est un phénomène naturel et continuel qui entraîne beaucoup de modifications sur le plan physique avec diminution de toutes les perceptions sensorielles, diminution de la vitesse d’exécution, apparition de rides, perte des cheveux, gain ou perte de poids. Ces modifications physiques s’accompagnent de changements sur le plan cognitif avec diminution de la vitesse de traitement de l’information, diminution des capacités mnésiques. Finalement, sur un plan affectif, la personne âgée, même en bonne santé, peut avoir une tendance à l’isolement, le sentiment de diminution du réseau social et perte des statuts sociaux, notamment avec la retraite. C’est donc une période de transition et de transformations dans la vie qui peut mettre à mal le sentiment d’utilité et de continuité de la personne. Elle doit alors faire le deuil de sa vie passée, de ses projets, de son ancien équilibre.

Le CNRTL [13] distingue le deuil d’une personne qu’il définit comme la « douleur, affliction, profonde tristesse que l'on éprouve à la suite de la mort de quelqu'un » du deuil au sens figuré qui est le « Sentiment de profonde tristesse liée à une cause occasionnelle (départ, rupture, etc.) ». À cela s’ajoute l’expression « faire son deuil » qui est le fait de « renoncer à, admettre la perte de ».

FREUD, quant à lui, définit le deuil comme « la réaction à la perte d’un être aimé, ou bien d’une

Dans l’étude de cas suivante, nous verrons que cela fait écho à la situation de MonsieurM. En effet, il répète souvent que « sa vie s’est arrêtée en 2016, quand [il] a perdu ses jambes ». L’altération de la marche est pour lui quelque chose de très difficile à vivre. Il doit faire le deuil d’un idéal qui n’existe plus. S’est surajouté à ce deuil de la fonction de la marche, un deuil de sa vie passé avec une institutionnalisation et donc une perte de ses habitudes, de sa maison, de tout ce qui constitue son ancienne vie.

Le vieillissement, qu’il soit physiologique ou pathologique, a une incidence sur la marche. Les systèmes sensoriels sont moins efficients, le système locomoteur s’affaiblit et les fonctions d’équilibration et de marche s’en trouvent altérées.

Certaines pathologies vont majorer les troubles de la marche. La déambulation dans la maladie d’Alzheimer ou la marche du parkinsonien sont deux exemples de trouble de la marche.

Les troubles de l’équilibre et de la marche augmentent le risque de chute. La chute peut avoir de très graves conséquences physiques et psychologiques sur le sujet âgé et doit être traitée comme une priorité en médecine gériatrique. Elle touche une grande partie de la population âgée et est responsable de nombreux décès. La chute peut être la cause d’apparition du syndrome post-chute qui peut aboutir à un état grabataire du sujet chuteur.

II. Deux rencontres en Unité de Soins Longue