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Le dommage se définit comme la diminution involontaire du patrimoine du lésé et correspond à la différence entre la situation actuelle de sa fortune et celle qui existerait sans l’événement dommageable (théorie de la différence)126. Une telle diminution peut consister en une perte

120 BENHAMOU, p. 140, n° 433.

121 WERRO (CoRo), ad intro. art. 41 à 61 CO, n° 1.

122 Art. 55 al. 2 LPM ; 73 al. 1 LBI ; 62 al. 2 LDA ; 35 al. 2 LDes ; ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.1, JdT 2006 I 338.

123 WERRO (CoRo), ad art. 41 CO, n° 72; ATF 125 III 86 consid. 3b, JdT 2001 I 73.

124 SCHLOSSER (2004), p. 7 ; GILLIERON, p. 244 ; JENNY, p. 51, n° 90.

125 Cf. chap. 2.3.2.

subie (damnum emergens) ou en un gain manqué (lucrum cessans)127. Par patrimoine, on entend l’ensemble des biens d’une personne qui ont ou peuvent avoir une valeur économique, notamment les droits de propriété intellectuelle128.

B. Les difficultés liées au calcul du dommage

Conformément à l’art. 42 al. 1 CO, le lésé doit prouver le dommage (existence et montant) afin d’en obtenir la réparation129. Il doit par conséquent démontrer et évaluer la diminution de son patrimoine, ce qui n’est pas chose aisée130. Il est en effet souvent impossible d’établir la quotité du dommage du fait que le bien immatériel reste, de par sa nature, intact malgré les atteintes qu’il subit131. Ce qui est touché, c’est l’intensité de l’exploitation par le titulaire, et cela s’avère difficile à mesurer132. Selon TROLLER, on ne peut par conséquent exiger davantage du lésé qu’il allègue et établisse toutes les circonstances démontrant la survenance d’un dommage et permettant de l’évaluer, dans les limites de ses possibilités et de ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui133. Si malgré ses efforts, le lésé ne parvient pas à apporter la preuve du montant du dommage, le juge le détermine équitablement en considération du cours ordinaire des choses et des mesures prises par la partie lésée, en application de l’art. 42 al. 2 CO134. Cette disposition est d’une certaine aide pour le titulaire, mais elle ne dispense toutefois pas celui-ci de fournir au juge les indices et éléments permettant de démontrer l’existence du dommage et d’en apprécier le montant135.

C. Les méthodes de calcul du dommage

En raison des difficultés particulières liées à l’établissement du dommage, la jurisprudence a développé différentes méthodes alternatives pour chiffrer le dommage du lésé : le dommage effectif (i), le dommage calculé sur la base de l’analogie avec la licence (ii) et le dommage

127 WERRO (2011), p. 24, n° 42 ; ATF 139 V 176 consid. 8.1.1 ; ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 ; ATF 126 III 388 consid. 11a ; DESCHENAUX/TERCIER, p. 47, n° 14 s. ; REY, p. 38, n° 151.

128 WERRO (2011), p. 25, n° 45 ; REY, p. 38, n°156 ;DESCHENAUX/TERCIER, p. 46, n° 7.

129 TROLLER K. (précis), p. 386 ; BENHAMOU, p. 149, n° 456 ; JENNY, p. 52, n° 91.

130 TROLLER K. (précis), p. 386 ; JENNY, p. 52, n° 91 ; MARADAN (Jusletter 2007), nos 1 et 7 ; KILLIAS, p. 89, n° 282.

131 TROLLER K. (précis), p. 386 ;BENHAMOU, p. 7, n° 15 ; MANNER, p. 6 s.

132 TROLLER K. (précis), p. 386 ; BENHAMOU, p. 7, n° 15.

133 TROLLER K. (précis), p. 386.

134 Ibid. ; JENNY, p. 53, n° 94.

calculé sur la base du gain illicite réalisé par le défendeur (iii)136. Il convient d’ores et déjà de préciser que selon le Tribunal fédéral, ces trois méthodes servent uniquement à calculer le dommage, et que par conséquent, les conditions générales du droit de la responsabilité civile, notamment la preuve de l’existence d’un dommage, doivent toujours être remplies137.

i) Le dommage effectif

Cette méthode vise à estimer concrètement le dommage138. Ce dernier, comme mentionné plus haut, peut consister en une perte subie ou en un gain manqué139.

La perte subie (damnum emergens) est la diminution de la fortune nette, due soit à une réduction de l’actif, soit à une augmentation du passif140. Elle peut premièrement résulter du dommage lié à la perturbation du marché. Cela comprend tant les frais engagés par le titulaire en vue de rétablir le marché (frais de sauvetage) que la moins-value du bien immatériel qui subsiste malgré ces contre-mesures (atteinte à la réputation)141. Cependant, bien qu’admise en théorie, la réparation du dommage lié à la perturbation du marché reste très rare en pratique142. Deuxièmement, la perte subie peut se concrétiser sous forme de frais de mise en œuvre des droits143. Ces derniers correspondent aux dépenses que le titulaire a dû engager en vue de faire cesser la violation, comme les frais de procès, d’avocat, de conseil ou d’expertise144. D’éventuels frais de surveillance sont en revanche considérés comme des dépenses préventives et ne sont par conséquent pas réparables, faute de lien de causalité avec la violation145.

Le gain manqué (lucrum cessans), qui consiste en la non-augmentation de la fortune nette découlant soit d’une non-augmentation de l’actif, soit d’une non-diminution du passif, est

136 Ces méthodes ont été reprises du droit allemand ; DAVID, p. 157, n° 396 ; JENNY, p. 56, n° 98 ; ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.2, JdT 2006 I 338.

137 ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.1 et 3.3.2, JdT 2006 I 338.

138 SCHLOSSER (2008), p. 154.

139 Cf. chap. 4.2.1.2 let. A.

140 WERRO (2011), p. 24, n° 42 ; ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 ; ATF 126 III 388 consid. 11a ; DESCHENAUX/TERCIER, p. 47, n° 14 s. ; REY, p. 38, n° 151.

141 TF, sic ! 2007 p. 754 « Comcord » consid 4.3.

142 CHERPILLOD (2010), p. 112.

143 BENHAMOU, p. 153, n° 465.

144 BENHAMOU, p. 154, n° 470 ; KOHLER, p. 131.

l’aspect principal du dommage en matière de propriété intellectuelle146. En effet, de par la violation de son droit de propriété intellectuelle (en particulier l’utilisation non autorisée de celui-ci), le titulaire se voit privé du gain qu’il aurait pu réaliser sans la présence du contrefacteur147. Le gain manqué se traduira généralement par une baisse du chiffre d’affaires du titulaire due à l’apparition sur le marché de produits contrefaisants148. Il suppose un calcul hypothétique, visant à savoir quel aurait été l’état de la fortune du titulaire si l’atteinte à ses droits n’avait pas eu lieu, ce qui est très délicat à déterminer149. Par ailleurs, les juges se montrent assez réticents quant à l’idée d’admettre que la baisse du chiffre d’affaires du demandeur est due au comportement du défendeur plutôt qu’à d’autres facteurs, notamment conjoncturels150. La baisse du chiffre d’affaires peut par conséquent représenter un indice de la perte de gain endurée mais ne libère pas le demandeur de prouver qu’il aurait été en mesure de réaliser ce gain manqué151. Un autre indice d’un gain manqué peut être l’augmentation du chiffre d’affaires du contrevenant152. En effet, dans l’arrêt « Textilfarben », le Tribunal fédéral a rappelé qu’il fallait clairement distinguer entre l’action en dommages-intérêts (41 CO) et l’action en remise du gain (423 CO), mais que cela n’excluait pas « […] dass der vom

Verletzer erzielte Gewinn als Anhaltspunkt für die Berechnung des dem Patentinhaber

entgangenen Gewinnes dienen kann »153. Or, il est faux de penser que le gain du contrevenant

équivaut forcément au gain manqué du titulaire. En effet, on ne peut sans autre considérer que le titulaire aurait réalisé les mêmes ventes que le contrefacteur, en présumant par exemple que tous les acquéreurs de DVDs piratés auraient acheté les DVDs originaux qui coûtent bien plus cher154. Ainsi, les ventes du contrevenant ont pu être favorisées par d’autres éléments, tels qu’un prix moins élevé des produits contrefaisants ou une augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs155. Il incombe donc au titulaire d’établir que les ventes illicites sont des affaires qu’il aurait également conclues en l’absence de violation et qu’il aurait réalisé au

146 WERRO (2011), p. 24, n° 42 ; ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 ; ATF 126 III 388 consid. 11a ; DESCHENAUX/TERCIER, p. 47, n° 14 s. ; REY, p. 38, n° 151 ;MARADAN (Jusletter 2007), n° 9 ; KILLIAS, p. 92, n° 294.

147 MARADAN (Jusletter 2007), n° 9.

148 MARADAN (Jusletter 2007), n° 9 s. ; CHERPILLOD (2010), p. 112.

149 CHERPILLOD (2010), p. 112.

150 SCHLOSSER (2004), p. 8.

151 Ibid.

152 TF, sic ! 2005 p. 215 « Textilfarben » consid. 2 ; ATF 97 II 169 consid. 3b ;CHERPILLOD (2010), p. 112 ; SCHLOSSER (2008), p. 153.

153 TF, sic ! 2005 p. 215 « Textilfarben » consid. 2 ; ATF 97 II 169 consid. 3b.

154 CHERPILLOD (2010), p. 112 ; GILLIERON, p. 252, n° 20.

moins un bénéfice égal à celui du contrefacteur156. Il résulte de ce qui précède que déterminer le gain manqué avec certitude relève pratiquement de l’impossible, raison pour laquelle l’application de l’art. 42 al. 2 CO constitue la règle157.

ii) Le dommage calculé sur la base de l’analogie avec la licence (Lizenzanalogie)

Selon la théorie « pure » de l’analogie avec la licence, l’auteur de la violation doit indemniser le titulaire sur la base des redevances de licence que des parties raisonnables auraient convenues dans le cadre d’un contrat de licence158. Partant de l’idée qu’un bien immatériel ne peut être utilisé qu’avec l’autorisation de son titulaire, cette théorie suppose le recours à une fiction et détermine le dommage sur la base d’un contrat de licence, qui n’existe justement pas159. Le Tribunal fédéral rejette cette fiction, qui libérerait le titulaire de l’obligation de prouver le dommage et la causalité, et applique la méthode de l’analogie avec la licence uniquement sous l’angle du calcul du dommage.

Dans l’arrêt « Milschäumer » 160, notre Haute Cour a posé des conditions très strictes en ce qui concerne la méthode de l’analogie avec la licence. Premièrement et comme précédemment annoncé, le Tribunal fédéral considère l’analogie avec la licence comme une simple méthode de calcul du dommage qui ne libère pas le demandeur de l’obligation d’établir son dommage161. Par conséquent, le demandeur ne peut pas se contenter d’invoquer le montant usuel de la redevance appliqué dans le secteur concerné, mais doit dans un premier temps démontrer qu’il aurait été en mesure de réaliser le gain manqué correspondant162. Ainsi, la méthode de l’analogie avec la licence ne peut pas être utilisée dans l’idée de s’épargner la preuve du dommage163. Deuxièmement, l’ayant droit ne peut exiger un dédommagement équivalent aux redevances qu’il aurait obtenues uniquement s’il établit qu’un tel contrat aurait

156 TF, sic ! 2005 p. 215 « Textilfarben » ; ATF 97 II 169 consid. 3b ; CHERPILLOD (2010), p. 112. Le Tribunal fédéral a toutefois semé le doute dans l’arrêt « SOS Serruriers » (TF, sic ! 2008 p. 147), en présumant que le demandeur aurait atteint le chiffre d’affaires réalisé par le défendeur. Cet arrêt a été grandement critiqué par la doctrine, qui reproche aux juges fédéraux de manquer de prévisibilité et de fragiliser la sécurité du droit (SCHLOSSER [2008], p. 155 ; MARADAN [CJN 2007], n° 6 ss).

157 SCHLOSSER (2008), p. 154.

158 BENHAMOU, p. 9, n° 20 ; ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.2.2, JdT 2006 I 338.

159 BENHAMOU, p. 9, n° 20.

160 ATF 132 III 379 « Milschäumer », JdT 2006 I 338.

161 ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.3, JdT 2006 I 338.

162 MARADAN (Jusletter 2007), n° 11.

effectivement pu être conclu avec le contrevenant, ce qui s’avère extrêmement difficile164. En effet, dans l’arrêt précité, les juges de Mon-Repos ont considéré que le demandeur n’avait pas apporté la preuve qu’un contrat de licence aurait été conclu, car le défendeur avait au préalable refusé la conclusion d’un tel contrat165. Selon MARADAN, il suffirait ainsi au contrefacteur de refuser la conclusion d’un contrat de licence avec le titulaire pour éviter de devoir par la suite indemniser celui-ci pour l’usage illicite de son droit166. A l’inverse, on peut également soutenir que sans cette exigence imposée par le Tribunal fédéral, il suffirait au titulaire de proposer des redevances extravagantes, que le (futur) contrevenant serait forcé de refuser, pour pouvoir ultérieurement établir son dommage sur la base de ces redevances critiquables. Par conséquent, il serait plus judicieux de s’en tenir au critère objectif des redevances raisonnables pour fixer le montant du dommage, et ce, indépendamment de la volonté des parties quant à la conclusion possible d’un contrat.

iii) Le dommage calculé sur la base du gain illicite réalisé par le défendeur

Selon cette méthode, le dommage pourrait être déterminé en établissant une analogie avec les profits du contrefacteur167. La doctrine n’est pas unanime quant à l’existence actuelle de cette méthode. En effet, selon certains auteurs, le Tribunal fédéral l’aurait « évincée » dans l’ATF 97 II 169, car elle relèverait de l’art. 423 CO plutôt que de l’art. 41 CO168. SCHLOSSER estime en revanche que dans cet arrêt, notre Haute Cour, bien que soulignant la distinction entre les deux actions, a retenu comme admissible la prise en compte du bénéfice réalisé par le défendeur en tant qu’indication de la perte de gain subie par le demandeur, à condition que le demandeur établisse qu’il aurait lui-même obtenu pareil gain en l’absence du comportement illicite du défendeur169. Par ailleurs, dans l’arrêt « Milschäumer », les juges ont cité les trois méthodes d’évaluation du dommage tout en assimilant la troisième méthode à l’action en remise du gain de l’art. 423 CO170. Qu’il s’agisse d’une confirmation de la suppression de la troisième méthode ou d’une « [… ] grande confusion dans l’esprit des juges de

Mon-Repos »171, cette troisième méthode n’est de toute façon plus utile en tant que méthode de

164 ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.3.3, JdT 2006 I 338 ; SCHLOSSER (2008), p. 153.

165 ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.3.3, JdT 2006 I 338 ; MARADAN (2007), n° 13.

166 MARADAN (Jusletter 2007), n° 14.

167 ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.2.3, JdT 2006 I 338.

168 JENNY, p. 56, n° 98 ; BENHAMOU, p. 152, n° 464.

169 SCHLOSSER (2008), p. 153.

170 ATF 132 III 379 « Milschäumer » consid. 3.2.3, JdT 2006 I 338.

calcul du dommage selon SCHLOSSER, car l’action en remise du gain de l’art. 423 CO permettrait d’obtenir le même résultat à des conditions moins strictes172. Finalement, nous retiendrons que le bénéfice réalisé par le défendeur peut être pris en compte mais ne représente qu’un indice du gain manqué du demandeur et que ce dernier doit prouver qu’il aurait lui-même obtenu le même gain que le défendeur s’il n’y avait pas eu violation. Du reste, nous ne contredirons pas SCHLOSSER lorsqu’il dit trouver difficile de savoir si ce raisonnement doit être rattaché à la première méthode d’évaluation du dommage (dommage effectif) ou à la troisième (dommage calculé sur la base du gain illicite)173.

4.2.1.3 Le lien de causalité

Pour être réparable, le dommage subi par le titulaire doit être en rapport de causalité naturelle et adéquate avec la violation. Le comportement du contrevenant doit donc être la condition nécessaire de la survenance du dommage (causalité naturelle) et être propre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à entraîner un préjudice pour le titulaire (causalité adéquate)174. La causalité naturelle est généralement admise sans difficulté tandis que la causalité adéquate fait l’objet d’un examen plus approfondi175. Le demandeur doit établir que son dommage résulte du comportement du défendeur, ce qui n’est pas toujours facile au vu du grand nombre de facteurs interruptifs qui peuvent entrer en jeu. En effet, crise économique, arrivée de nouveaux concurrents offrant des produits de substitution, inflation, mauvaise stratégie commerciale du titulaire ou cas fortuit sont autant de motifs que le juge peut retenir et qui conduisent à la diminution, voire au rejet de la prétention176. C’est au demandeur qu’il incombe de prouver le lien de causalité entre l’acte illicite et le dommage, tandis que la preuve des facteurs interruptifs est à la charge du défendeur177. Cependant, puisqu’elle ne peut pas être établie avec une exactitude scientifique, la causalité adéquate est admise sur la base de la vraisemblance prépondérante178. Ainsi, il suffit que le comportement

172 Ibid.

173 SCHLOSSER (2008), p. 153.

174 GILLIERON, p. 256, n° 25 ; WERRO (2011), p. 63 ss ; ATF 129 II 312 consid. 3.3 ; BENHAMOU, p. 159, n° 483.

175 BENHAMOU, p. 159, n° 483.

176 Ibid. ; TF, sic ! 2005 p. 215 « Textilfarben » consid. 2.

177 SCHLOSSER (2004), p. 10 ; KILLIAS, p. 88, n° 275 ss. ; ATF 83 II 154 ; RSPI 1991 131 ; ATF 130 III 321 consid. 3.1, JdT 2005 I 618 ; WERRO (CoRo), ad art. 41 CO, n° 49 ; DESCHENAUX/TERCIER, p. 208, n° 17.

178 BENHAMOU, p. 160, n° 485 ; WERRO (CoRo), ad art. 41 CO, n° 50 ; ATF 132 III 715 consid. 3.1, JdT 2009 I 183.

illicite soit apte de manière objectivement prévisible à porter atteinte aux intérêts du titulaire179.

4.2.1.4 La faute

La faute se définit comme un manquement de la volonté au devoir imposé par l’ordre juridique et peut résulter d’une intention ou d’une négligence180. Cette distinction est toutefois sans influence lors de l’examen relatif à la condition de la faute et n’a d’impact qu’au moment de fixer la quotité du dommage181. L’appréciation de l’existence d’une faute diffère selon les diverses lois de propriété intellectuelle182.

En droit des marques, l’absence de recherches préalables relatives à l’existence d’un signe identique ou similaire antérieur est constitutive d’une faute pour le contrevenant183. Ces recherches peuvent notamment se faire par consultation des registres accessibles en ligne (p.ex. www.swissreg.ch), par recours aux services de l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle pour une recherche d’antériorité ou en faisant appel à des conseils en propriété intellectuelle184. La simple consultation du registre ne permet toutefois pas de déterminer s’il existe des marques similaires et s’avère par conséquent insuffisante185. Par ailleurs, l’étendue du devoir de diligence diffère selon la personne concernée. Dès lors, on sera plus exigeant à l’égard du fabricant, de l’importateur général ou du grossiste qu’à l’égard du petit commerçant ou du détaillant186. De même, l’étendue des recherches exigées diffère selon la taille de l’entreprise : une petite entreprise peut s’en remettre à la liste fournie par l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle tandis que l’on attend d’une multinationale qu’elle s’enquière auprès de spécialistes (p.ex. agents de marque ou avocats spécialisés) et étende la recherche au niveau international187.

179 TROLLER K. (précis), p. 386. 180 DESCHENAUX/TERCIER, p. 79, n° 3. 181 GILLIERON, p. 245, n° 6 ; KILLIAS, p. 83, n° 265. 182 GILLIERON, p. 246, n° 10. 183 GILLIERON, p. 247, n° 12. 184 BENHAMOU, p. 145, n° 446. 185 Ibid.

186 BENHAMOU, p. 145, n° 447 ; GILLIERON, p. 247, n° 13 ; DAVID, p. 154, n° 387.

En droit des brevets, la faute est également admise lorsque le contrevenant s’abstient de faire des recherches préalables188. La faute ne doit toutefois pas être retenue lorsque le contrevenant ne pouvait pas savoir, malgré l’attention requise, que son produit violait le brevet d’un tiers, compte tenu des difficultés à déterminer l’étendue de la protection du brevet189. En effet, en raison du nombre de brevets que mettent en œuvre certains produits (p.ex. l’IPhone) et de la complexité de certains domaines (p.ex. les biotechnologies ou les logiciels), la recherche d’antériorité et l’appréciation du périmètre de protection d’un brevet existant peuvent devenir des tâches complexes190. En droit des brevets également, le degré de diligence requis varie selon l’activité et la qualification du contrevenant191. Il est ainsi plus élevé envers un fabriquant qu’envers un détaillant192. De même, on sera davantage exigeant à l’égard d’un ingénieur, qui en tant qu’homme de métier, doit se renseigner sur l’existence et l’étendue de protection du brevet qu’il souhaite exploiter193.

En droit des designs, le devoir de recherche n’est pas appréhendé d’une manière très stricte et la diligence requise doit être examinée en fonction des circonstances du cas concret, notamment de l’activité et des qualifications du contrevenant194. Ainsi, une entreprise active dans la même branche que le titulaire se doit d’effectuer des recherches avant d'utiliser un design et ne peut invoquer l’ignorance d’une protection si celui-ci est enregistré195.

En droit d’auteur, on attend également de la personne concernée qu’elle se renseigne diligemment sur l’existence et l’étendue de la protection de droits appartenant à des tiers, étant précisé qu’en raison de l’absence de registre de droits d’auteur et du fait qu’aucune formalité n’est nécessaire pour qu’une œuvre soit protégée, il convient de ne pas se montrer trop exigeant quant à l’attention requise196. Une fois encore, le devoir de diligence est plus ou moins élevé selon les circonstances du cas et les aptitudes individuelles du contrevenant197. On se montre ainsi plus exigeant à l’égard de professionnels (éditeurs, producteurs, galeristes,

188 BENHAMOU, p. 146, n° 448 ; TROLLER K. (tome II), p. 1035 ; contra GILLIERON, qui estime qu’étant donné le caractère plus technique du domaine, le devoir de diligence devrait s’apprécier de manière un peu plus large (GILLIERON, p. 248, n° 14). 189 BENHAMOU, p. 146, n° 449. 190 BENHAMOU, p. 147, n° 451 ; GILLIERON, p. 248, n° 14. 191 BENHAMOU, p. 146, n° 449 ; DAVID, p. 154, n° 387. 192 Ibid. 193 BENHAMOU, p. 147, n° 450.

194 GILLIERON, p. 248, n° 15 ; TROLLER A., p. 985 ; TROLLER K. (tome II), p. 1038.

195 GILLIERON, p. 248, n° 15.

196 BENHAMOU, p. 143, n° 442 ; JENNY, p. 122, n° 212 ; GILLIERON, p. 249, n° 17.

agences de publicité) qu’à l’égard d’autres cercles de personnes (restaurateurs, organisateurs de petits festivals)198.

Au vu de ce qui précède, on remarque que la faute est admise plus facilement en propriété industrielle (exigence d’un véritable devoir général de recherches préalables) qu’en droit d’auteur (simple devoir de renseignements lorsque le contrevenant a des doutes sur la situation juridique)199. Cela découle en particulier de l’existence de bases de données permettant une recherche d’antériorité en propriété industrielle, alors qu’il n’existe pas de registres équivalents en propriété littéraire et artistique. En outre, on observe que les circonstances du cas d’espèce jouent également un rôle non négligeable pour déterminer l’existence ou non d’une faute.

4.2.2 Les limites de l’action

Divers obstacles liés à la charge de la preuve se dressent sur la route du lésé qui souhaite obtenir réparation de son dommage. Qu’il s’agisse du montant du dommage difficilement quantifiable, des facteurs interruptifs de causalité ou de l’appréciation de la faute soumise aux aléas des circonstances concrètes, tous ont comme point commun de pouvoir contribuer dans une plus ou moins grande mesure au rejet de l’action en dommages-intérêts intentée par le titulaire. « Dies führt zu einer nicht gerechtfertigten Bevorzugung des Verletzers, der sich vor

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