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Il nous a semblé que ce travail ne pouvait exclure quelques réflexions sur la démarche de recherche elle-même "sans essayer de dissimuler ce que peut avoir d'un peu irréel cette reconstruction rétrospective" 369. Cette note de méthode vise en effet à préciser la

manière dont ont été produites les informations de l'enquête et les difficultés à travailler sur le "scandale", singularités qui font elles- mêmes partie de l'objet. Comme Abdelmalek Sayad le dit pour "l'immmigration", il faudrait "commencer par se donner comme premier problème, comme problème préalable, qu'il s'agit d'un objet qui fait problème"370 comme nous avons tenté de le montrer. Par

ailleurs, je précise que j'ai utilisé mes propres expériences d'"apprenti journaliste"371 pour réaliser ce travail. Il a d'abord consisté à consulter

une revue de presse composée d'articles et de retranscriptions de reportages télévisés et radiodiffusés372. La période étudiée à partir de

celle-ci débute au mois de mars 1991 et se termine au mois de décembre 1992 c'est-à-dire des premiers articles sur le "scandale" à la loi à la période actuelle. Ce corpus imposant, dans lequel nous avons privilégié certains médias, nous a permis de déterminer des "temps morts" et des "temps forts" sans pour autant réaliser des quantifications peu utiles.

Nous avons privilégié le Monde, Libération, Le Figaro, L'Humanité, France

Soir parmi les quotidiens nationaux et Ouest France et le Progrès pour la PQR

même si celle-ci a été largement délaissée faute de temps. Ces choix permettent à la fois de traiter de la presse quotidienne dite de "qualité" (Le Monde par exemple est plutôt lu par les cadres, les professions intermédiaires) et la presse dite "populaire" (France Soir a un lectorat composé d'employés), des journaux de tendance politique opposée, les supports nationaux et régionaux parmi les plus lus etc. Les principaux hebdomadaires en termes de diffusion ont été pris en compte :

L'Evénement du Jeudi, Le Nouvel Observateur, Le Point, l'Express, Le Canard Enchaîné, VSD et Le Figaro Magazine. Pour les radios, nous avons privilégié

France Inter, Europe 1 et RTL. Pour la télévision dont la diffusion est très importante, nous avons été quasi exhaustif avec Antenne 2, FR3, TF1 et La Cinq. Ces priorités ont pu évoluer au fur et à mesure de la lecture. Par exemple, nous avons délaissé la presse dite à vocation "économique" (La Tribune de l'Expansion,

Les Echos) ou senti qu'il fallait ne pas négliger La Cinq car son traitement a été

important quantitativement. Mais l'exemple le plus significatif est certainement fourni par les "newsmagazines" dans la mesure où nous avons finalement choisi de

369 Pierre BOURDIEU. La distinction. Paris : Minuit, 1979, p. 587.

370Abdelmalek SAYAD. L'immigration. Ou les paradoxes de l'altérité. Paris : Editions

universitaires, 1991, pp. 14-15.

371 Je réalise depuis presque huit ans des "piges" essentiellement de sports dans des organes

de presse nationaux ou régionaux.

372 Il s'est instauré une véritable collaboration dans la mesure où mon travail de sélection

d'articles servait à alimenter pendant une courte présiode celui d'une stagiaire chargée de constituer par le bureau de presse un dossier d'articles sur "le scandale du sang contaminé". Cette collation effectuée conjointement pour le ministère avait pour objet de "faire le point" sur le traitement médiatique d'une "affaire" qui "surprenait" , qu'on ne "comprenait pas" et qui figurait parmi les principales préoccupations du moment de certains membres du ministère.

tous les prendre en compte car en enlever un ou deux ne nous aurait pas permis de saisir la concurrence qu'ils se livrent entre eux373.

Ce corpus présente des avantages certains : possibilité de traiter les médias télés et radios374, quasi exhaustivité de la "couverture

médiatique" etc. Il a été complété par diverses consultations375. et

particulièrement par le visionnage de journaux télévisés, l'enregistrement de quelques journaux ou interviews de radios par nos propres moyens. Nous avons surtout recensé puis regardé les principales émissions TV grâce notamment aux cassettes du CRIPS (Centre Régional d'Information et de Prévention du Sida). Ce corpus, ajouté aux livres qui commencaient à paraître, nous a permis, au delà de la réalisation d'une chronologie, d'établir un certain nombre de repérages : repérages des principaux intervenants dans la presse, les prises de position de journalistes, d'hommes politiques, d'avocats, d'hémophiles etc, de propriétés de la "conjoncture" et du produit final des journalistes en l'occurence les articles. Mais, à la différence de nombreuses "études sur la presse", il ne faut pas oublier toutes les limites d'une revue de presse même assez complète. L'information est en effet elle-même "un enjeu dans le monde social"376. Il fallait

donc prendre les journalistes et leurs principaux interlocuteurs - tous des coproducteurs de l'"événement" - pour objet pour repérer quelques mécanismes à l'oeuvre dans le champ journalistique à travers l'analyse du "scandale du sang contaminé". Pour tenter d'y parvenir, une importante partie de la recherche a été consacrée à la préparation, la réalisation et à la lecture d'entretiens libres et individuels. Mais, ce n'est qu'après avoir "pré-digéré" la revue de presse, un certain nombre d'ouvrages parus sur le "scandale" que nous avons pu commencer à prendre des rendez-vous. Nous avons tenté d'adopter une "forme d'écoute active et armée"377 exigeant une

posture en apparence contradictoire qui s'est révélée souvent difficile à tenir. D'un côté, il fallait essayé de "rentrer" chez l'enquêté pour "adopter son langage", "entrer dans ses vues, dans ses sentiments, dans ses pensées". De l'autre, tenter dans la mesure du possible la réalisation d'une sorte d'"autoanalyse assistée" c'est-à-dire que la personne interrogée profitait de l'occasion pour s'interroger sur elle-

373 Les hebdomadaires sont en concurrence également avec les quotidiens notamment et pas

seulement entre eux.

374 Les membres du bureau de presse du ministère de la Santé ont souscrit un abonnement à

une société privée qui leur fournit la quasi-totalité des "retombées presse" qui les concernent.

375 Par exemple, il a quelquefois fallu vérifier ou voir quand cela paraissait important si tel

ou tel article faisait l'objet d'un "appel à la une" notamment pour les hebdomadaires. Nous avons bénéficié de l'aide du Canard Enchaîné, d'Anne-Marie Casteret, journaliste à l'Evénément du Jeudi, et aussi de la documentation de l'association française des hémophiles et feuilleté des collections en bibliothèque qui nous ont permis de réaliser un volet important de la génèse du "scandale".

376 Nous nous sommes inspirés de la méthode préconisée par Patrick Champagne in "La

rupture avec les préconstructions spontanées ou savantes", Initiation à la pratique

sociologique. Paris : Dunod, 1989, p. 213.

377 Nous avons tenté de nous tirer profit des recherches notamment de Pierre BOURDIEU.

"Introduction à la socioanalyse". Actes de la recherches en sciences sociales, décembre 1991, pp. 3-5.

même et "opérer un travail d'explicitation souvent douloureux et gratifiant à la fois" et pour "énoncer des expériences longtemps réservées ou réprimées". Une des principales conditions, permettant d'accroître les chances de réussite de cette entreprise, a été de poser en préalable l'anonymat des propos. C'est pourquoi, les noms des journalistes, leur sexe voire les titres de journaux auxquels ils appartiennent et d'autres signes permettant de les repérer, ainsi que certains autres enquêtés, ne figurent pas dans ce mémoire. Cet anonymat était surtout indispensable en raison des conflits personnels exacerbés, existant entre les journalistes notamment qui est un indicateur du haut degré de concurrence. Dès lors, un des principaux obstacles à surmonter était de refuser d'établir des passerelles entre les entretiens et donc de répondre à des questions du type : "qu'est-ce que vous pensez de X ? Qu'est-ce qu'il vous a dit là-dessus ?". Une autre condition tendant à accroître nos chances de réussite était de démontrer à l'enquêté une connaissance minimum de leurs actes et du "scandale" que nous essayons faire passer en posant des questions précises sur telle ou telle "révélation", sur les raisons qui les ont poussé à reprendre telle information...378

Le premier volet s'est révélé souvent délicat car il nous obligeait à adopter des comportements contradictoires consistant à chaque fois à "entrer dans le jeu" des enquêtés ayant parfois des interprétations totalement opposées. Par exemple, il nous fallait interroger à quelques jours d'intervalles le docteur Habibi, directeur scientifique du CNTS, et une journaliste l'accusant d'avoir participé à une opération consistant à laisser des lots de produits sanguins contaminés par le sida. L'obstacle majeur était d'éviter toute problématique qui vise "dans la logique du procès" à rechercher "des origines et des responsabilités voire des responsables" qui est "au principe de l'illusion téléologique"379. La tentation de déterminer les

responsables, de comprendre qui a raison, qui a tort était permanente d'autant que l'enjeu était finalement de démontrer à l'enquêteur la culpabilité ou la non culpabilité de l'enquêté ou de personnes dans la mort potentielle ou effective d'hémophiles ou de transfusés. De la même manière, il aurait été trop facile de tomber dans des jugements consistant à établir la distinction entre "ceux qui ont bien traité le sujet" et ceux qui ne l'ont pas convenablement fait380 même si celle-ci

peut être utilisée pour obtenir des informations de l'interlocuteurs. Le second volet n'a été que partiellement réussi. Mais, nous avons eu l' impression, lors de nombreux entretiens, que l'enquêté saisissait nos questions comme une perche pour s'exprimer sur son travail et dire des choses qu'il ne pouvait pas écrire dans ses articles. Il est

378 Cette technique peut générer des effets pervers dans la mesure où l'enquêteur peut lui

aussi couper la parole pour tenter de montrer en permanence les connaissances que l'enquêté attend de lui. Elle implique de ne pas se contenter d'un guide d'entretien mais de "personnaliser" nombre de questions grâce à un travail sur la revue de presse notamment.

379 Pierre BOURDIEU. "La mort saisit le vif". Actes de la recherches en sciences sociales,

avril-mai 1980, p. 5.

380 Ce type de problématique est particulièrement présent dans deux ouvrages parus sur le

sujet par ailleurs très riches en informations. Denis OLIVENNES. L'affaire du sang

contaminé : analyse d'un scandale. Paris : notes de la fondation St Simon, 1992. Jean-Pierre

significatif de constater que tous quasiment éprouvaient le besoin de "bien se faire comprendre" et de parler d'un sujet dont ils avaient envie de parler comme pour se convaincre à travers l'échange que leur interprétation était la bonne et défendre leur travail.

La majeure partie de ces rencontres (quatorze "formelles") ont été effectuées de mars à juin. La plupart des enquêtés sont journalistes381

(souvent spécialisés) : journalistes de télévision, appartenant à des hebdomadaires, à l'Agence France Presse, à la presse quotidienne nationale. Nous avons également rencontré un ancien conseiller de deux ministres de la santé concernés, l'avocat du Docteur Garretta382,

Bahman Habibi, ancien directeur scientifique du CNTS, un directeur adjoint d'un CTS de province, Francis Graeve, le président d'honneur de l'Association Française des hémophiles, Edmond-Luc Henry, hémophile contaminé souvent interviewé par les journalistes. L'ensemble des entretiens ont duré entre une heure trente et trois heures et se sont déroulés sur le lieu de travail de l'enquêté. Ils ont tous été retranscrits par écrit, à l'exception de celui avec une journaliste de l'AFP383 qui nous a interdit d'enregistrer et de prendre

des notes durant la conversation. Enfin, nous avons eu quelques conversations téléphoniques ou informelles notamment avec le juge d'instruction, un ancien membre d'un CTS de province et divers "acteurs" souhaitant parfois conservé l'anonymat. Dans l'ensemble, les enquêtés ont accepté très facilement de répondre à nos questions384 même si quelques refus nous ont été opposés

essentiellement par "manque de disponibilité" comme ce fut le cas pour un "journaliste d'investigation" de l'Express385.

381 Nous les remercions d'avoir bien voulu nous aider en répodant à nos questions voire en

acceptant de faire des remarques sur notre recherche de DEA.

382 Nous souhaitions rencontré le docteur Garretta mais son avocat nous a expliqué qu'à

quelques semaines du procès, ce n'était pas un moment opportun.

383 Nous avons dû ainsi la rappeler pendant deux mois pour avoir un entretien à la fois parce

qu'elle était prise par le temps mais aussi parce que elle faisait tout pour nous décourager étant très critique sur ce que pouvait dire les travaux universitaires portant sur le journalisme. Mais, pendant et après l'entretien, elle proposa au contraire de nous aider.

384 Nous tenons à tous les remercier pour leur disponibilité et leur amabilité.

385 Devant les changements de numéros de téléphone et les non réponses aux commissions

BIBLIOGRAPHIE

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