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Appendix 1 – Typical bank balance sheet under the respective 10% and 100% money systems 151

1. Nos résultats de recherche

Cette thèse est partie du constat que la proposition 100% monnaie, telle qu’elle fut notamment formulée dans les années 1930 par Henry Simons, Lauchlin Currie ou Irving Fisher, était régulièrement sujette à confusion. Après avoir rappelé l’historique de cette proposition (chapitre 1), nous avons ainsi entrepris un effort de clarification de son concept (partie 1, composée des chapitres 2 et 3) et une étude de ses principaux arguments (partie 2, composée des chapitres 4 et 5), qui nous ont amené aux résultats suivants.

Dans le chapitre 2, nous avons montré que la proposition 100% monnaie ne pouvait être considérée comme une simple extension des préconisations de la Currency School – telles qu’incarnées dans le Bank Charter Act anglais de 1844 – aux dépôts transférables par chèque (et encore moins aux « dépôts » en général). Il est vrai que les deux types de réforme s’accordent sur un point essentiel : celui de considérer l’association entre création de monnaie et prêts de monnaie comme génératrice d’instabilité, et de proposer la séparation de ces deux fonctions. Mais l’Acte de 1844 va au-delà d’une simple réforme institutionnelle : il contient également, voire même surtout, une règle d’émission bien spécifique (le currency principle) visant à contraindre la politique monétaire. À l’inverse, la proposition 100% monnaie n’implique en elle-même aucune règle d’émission : elle relève seulement d’une réforme institutionnelle. Elle entend surtout faciliter la conduite de la politique monétaire, quel que soit l’objectif assigné à celle-ci, et quel que soit le degré de discrétion laissé à l’autorité monétaire. Cette distinction nous semble importante, car la proposition 100% monnaie est parfois considérée à tort comme contraignant nécessairement la politique monétaire au suivi d’une règle automatique, voire même assimilée à la préconisation d’une caisse d’émission (currency board) sur le modèle de l’Acte de 1844.

Dans le chapitre 3, nous avons établi une distinction entre deux grandes approches de la proposition 100% monnaie, fondamentalement différentes quant à leurs implications pour la sphère bancaire. Selon la première approche – que nous avons appelée l’approche « transaction », suivie en particulier par Currie et Fisher –, la monnaie est définie comme un synonyme de moyen de paiement, et l’instabilité monétaire s’explique avant tout par les variations de la quantité de monnaie (aggravées ensuite par les variations de sa vitesse de circulation). Il est donc simplement proposé d’imposer un coefficient de 100% de réserves aux dépôts de transaction, servant de moyens de paiement. Selon cette approche, les banques continueraient de collecter et d’investir des fonds prêtables au moyen de dépôts d’épargne, servant d’instruments de crédit : l’activité bancaire basée sur le principe des réserves

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fractionnaires serait maintenue, mais le moyen d’échange n’en serait plus affecté. Les banques, en d’autres termes, continueraient de multiplier leurs promesses de payer au-delà de leur encaisse, mais ces promesses de payer ne seraient plus utilisables comme moyens de paiement (quant aux soldes de comptes courants couverts par 100% de réserves, ceux-ci correspondraient davantage à des « certificats de dépôts » qu’à des « promesses de payer »1). Selon la seconde approche – que nous avons appelée l’approche « liquidité », suivie en particulier par les auteurs du Plan de Chicago –, le concept de monnaie est étendu aux actifs liquides (facilement échangeables contre des moyens de paiement), et l’instabilité monétaire s’explique tout autant (si ce n’est plus) par les variations de la vitesse de circulation du moyen d’échange que par celles de son volume. Le système bancaire à réserves fractionnaires est ici condamné dans son existence même : il crée des actifs liquides (dépôts à valeur nominale fixe et exigibles à court terme) qui, même sans être eux-mêmes utilisables comme moyens de paiement, vont exacerber les mouvements de thésaurisation et déthésaurisation de la monnaie. Il est donc proposé non seulement de mettre fin à la création et destruction de moyens de paiement par les banques, mais également d’interdire toute intermédiation bancaire (impliquant une transformation des risques et des maturités) à partir de dépôts d’épargne. Le financement des prêts serait exclusivement assuré par des fonds mutuels, investissant leur propre capital uniquement. La distinction entre ces deux approches nous paraît fondamentale, car la proposition 100% monnaie est souvent rejetée pour le seul motif qu’elle mettrait nécessairement fin à l’activité bancaire.

De la partie 1, composée de ces deux chapitres, ressort une conclusion d’ensemble sur la nature de la proposition 100% monnaie. Celle-ci consiste fondamentalement, selon nous, en une réforme de la convention sociale décidant du moyen d’échange de la communauté. Il est proposé de sortir de la convention existante, largement basée sur l’utilisation monétaire (comme moyens de paiement) des promesses de payer émises par les banques, pour entrer dans une nouvelle convention, basée sur la seule utilisation de moyens de paiement émis par l’État. L’on passerait ainsi d’une circulation monétaire mixte à une circulation homogène. Tel est le dénominateur commun des différentes versions de la proposition. Celle-ci n’implique, en elle-même, ni de réforme du système bancaire, basé sur le réinvestissement par les banques

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Comme certains auteurs l’ont fait remarquer, cela reviendrait à rendre le système monétaire et bancaire conforme à l’image qu’en a déjà une grande partie du public, qui s’imagine souvent que la création de monnaie relève d’un privilège exclusif de l’État (ou de la banque centrale), et que seuls les comptes d’épargne (mais non les comptes courants) servent à financer les prêts et investissements des banques.

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de fonds collectés au moyen de contrats de dépôts, ni de prescription liée à la politique monétaire, décidant des objectifs assignés à l’émission de monnaie. Le fait que la proposition 100% monnaie puisse être combinée avec de telles réformes ne doit pas empêcher de délimiter précisément l’essence de son concept. L’intérêt d’effectuer un tel changement de la convention sociale monétaire a fait l’objet des deux chapitres suivants.

Dans le chapitre 4, nous avons étudié l’argument principal de la proposition 100% monnaie des années 1930 – celui de mettre fin au comportement intrinsèquement procyclique de la monnaie bancaire – à travers un prisme spécifique : celui des travaux d’Irving Fisher. Comme nous l’avons mis en évidence, l’ensemble des théories de l’instabilité monétaire développées par celui-ci au cours de sa carrière reposaient sur un schéma constant, que nous avons appelé le « triangle dette-monnaie-prix » (ou « triangle d’instabilité »), désignant les interactions cumulatives entre volume des prêts, volume de monnaie bancaire, et niveau général des prix. Ainsi, la théorie des cycles de crédit développée par Fisher en 1911, sa théorie de la dette-déflation exposée en 1932-33, et son analyse du lien monnaie-dette de 1935 (sous-tendant la proposition 100% monnaie) peuvent être lues comme autant d’étapes d’un long cheminement analytique, dont la proposition 100% monnaie constituerait l’aboutissement logique. Au-delà du fait de proposer une mise en cohérence des théories de l’instabilité chez Fisher, l’intérêt de ce chapitre a été de mettre en évidence que la proposition 100% monnaie ne se limitait pas à un simple plan de réforme pratique visant à faciliter le contrôle du volume de monnaie. Elle implique également une proposition théorique, identifiant le lien de dépendance entre monnaie et prêts comme le principal facteur causal de l’instabilité monétaire. Il nous a semblé d’autant plus important de le souligner que cet argument a souvent été perdu de vue dans les discussions sur le 100% monnaie, y compris chez certains auteurs ayant eux-mêmes soutenu ce plan de réforme en insistant sur d’autres avantages (tels que la sécurisation du système de paiement).

Dans le chapitre 5, nous nous sommes intéressés à un autre grand argument de la proposition 100% monnaie : celui de permettre à l’État de réduire sa dette (ou d’augmenter ses recettes) en faisant bénéficier le Trésor public de l’intégralité des revenus de la création monétaire. Cet « argument du seigneuriage » fut très largement rejeté dans la littérature secondaire, suite à ce que nous avons appelé la « critique de Hart », autour de laquelle s’est formé un vaste consensus. Parce que l’État, dans un système 100% monnaie, serait probablement amené à prendre lui-même en charge les frais de gestion des comptes de paiement, il était considéré que le bénéfice du seigneuriage serait complètement annulé,

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empêchant toute réduction de la dette publique par ce moyen. Nous nous sommes efforcés de montrer que cette critique de Hart devait-elle-même être remise en cause, au motif qu’elle repose sur une analyse très partielle du seigneuriage, ignorant toute à la fois une partie de ses sources et une partie de ses bénéficiaires. Nous en avons conclu que l’argument du seigneuriage avancé par les auteurs du 100% monnaie était loin d’être infondé – ce qui n’est pas anodin lorsque l’on sait à quel point l’endettement public est préoccupant de nos jours. De la partie 2, composée de ces deux derniers chapitres, ressort une conclusion d’ensemble sur l’intérêt d’une réforme 100% monnaie. Il est trop souvent considéré que l’objectif premier d’une telle réforme est de protéger les déposants du risque de faillites bancaires. Or, si la sécurisation du système de paiement constitue indéniablement l’un des avantages attribués à cette proposition, elle n’en constitue selon ses auteurs mêmes ni l’avantage principal, ni même un avantage propre, d’autres types de mesures (telles que l’assurance des dépôts) pouvant remplir ce même objectif. Nous nous sommes donc concentrés sur deux arguments spécifiques à la proposition 100% monnaie : celui de mettre fin au caractère intrinsèquement procyclique de la création monétaire par le mécanisme du crédit, et celui de rendre à l’État l’intégralité des revenus liés à l’émission de monnaie. Il ressort de notre étude que ces arguments mériteraient tous deux d’être considérés avec davantage d’attention qu’ils n’en ont reçue jusqu’ici dans la littérature : le premier, car il constitue selon nous l’aboutissement logique de l’ensemble des travaux d’Irving Fisher sur l’instabilité monétaire, comme nous avons cherché à le montrer dans le chapitre 4 ; le second, car il a été trop rapidement rejeté pour des motifs non valables dans les discussions académiques, comme nous avons cherché à le montrer dans le chapitre 5.

Notre conclusion générale sur l’ensemble de cette thèse est que la proposition 100% monnaie des années 1930 mérite clairement d’être redécouverte et davantage discutée. Nous pensons avoir montré, par notre étude, qu’un certain nombre des critiques qui lui étaient régulièrement adressées relevaient d’idées reçues. Il nous est paru d’autant plus important de procéder à ce travail de clarification conceptuelle et d’analyse théorique que la proposition 100% monnaie, ainsi que nous l’avons indiqué, suscite un regain d’intérêt depuis la crise de 2008. Les débats actuels témoignent souvent d’une grande confusion lorsqu’il est fait référence aux plans de Fisher ou de Chicago. Les partisans actuels de cette idée de réforme se réfèrent d’ailleurs assez peu aux théoriciens des années 1930, dont les travaux sont pourtant éclairants à bien des égards. Nous espérons avoir montré à quel point ces auteurs d’hier pouvaient contribuer aux débats d’aujourd’hui. À ce jour, aucun système 100% monnaie n’a

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encore jamais été mis en œuvre, et beaucoup considèrent, comme Martin Wolf, qu’il vaudrait assurément la peine de l’expérimenter2. Pour autant, tout aussi intéressante que soit la perspective d’une expérimentation de ce type de réforme, force est de constater que son examen sur le plan de l’analyse théorique est loin d’avoir été épuisé. De manière évidente, la proposition 100% monnaie n’a finalement été que très peu étudiée dans l’histoire des idées. Il s’agit là d’un autre élément de conclusion en soi : bien que les travaux des auteurs ayant formulé cette proposition soient extrêmement riches en enseignements, cette richesse reste largement à exploiter. Cela nous mène à la question des limites de cette thèse, et des pistes de recherche qu’elle permet d’ouvrir.