• Aucun résultat trouvé

Le premier récit est hétérodiégétique, puisque le narrateur ne fait pas partie des personnages de la diégèse. Quand au narrateur, il est extradiégétique puisqu’il s’efface complètement de la diégèse, il se borne à son rôle d’ « auteur » ou narrateur. Hormis les rares passages où la narration est assurée par Ouali, le personnage principal, le narrateur du premier récit se présente comme « détaché » de l’histoire. le récit commence par une mise en relief du personnage principal au détriment du narrateur.

« Dernier quart d’heure du XXème siècle. 29 Février [...] ce jour là Ouali Benoualou avait trente ans pile » (P 13)

Par contre, le second récit est homodiégétique, du moment que le narrateur fait partie des personnages de la diégèse. Le second récit est également autodiégétique, parce que le narrateur est le personnage principal de son récit.

Le Patriarche, le narrateur du second récit, est à la fois extradiégétique et intradiégétique : extradiégétique puisqu’il est le créateur de son récit ; intradiégétique parce qu’il est aussi personnage de son récit.

34

Dans un souci d’objectivité, en empruntant à l’historiographie l’un de ses éléments, le narrateur du second récit n’insère que rarement des passages contenant un discours direct. Il ne fait jamais parler les personnages auxquels il fait référence, le narrateur évite ainsi la théâtralisation du récit. Aucun discours, sauf celui du narrateur bien évidemment, n’est transposé : les paroles des autres personnages sont rapportées, allant jusqu’à citer littéralement, au style direct ou indirect libre.

5 - La focalisation :

Les deux récits qui composent notre roman, adoptent, chacun, une variante de focalisation. La focalisation dans le premier récit varie entre zéro et interne. Le narrateur, au tout début du récit, est omniscient : la description, du personnage de Ouali, ses traits moraux notamment, justifie le recours à la focalisation zéro.

Le champ de perception du narrateur se rétrécit au fur et à mesure de la progression du récit. Le personnage acquiert plus d’autonomie et la focalisation devient externe, le personnage anticipe les évènements et régie leur progressions :

« Ouali savait exactement où elle voulait en venir. Il fut tenté de dévoiler son jeu, mais il se ravisa in extremis, jugeant que le moment n’était pas encore venu de lui dire la vérité » (P 148)

« Ouali finit par avoir pitié de Mus. Il avait, de suite, deviné la réponse » (P 287)

« Sarah Commençait à soupçonner l’émir d’être doué de pouvoirs translucides » (P 150)

Ce glissement de la focalisation zéro vers une focalisation externe conjugue la progression du personnage car, nous en parlerons davantage dans le prochain chapitre, le récit fantastique implique souvent l’existence d’un personnage en continuelle mutation.

35

Contrairement au premier récit, la focalisation dans le second récit est incontestablement omnisciente ou zéro : le savoir du narrateur est envahissant. Aucune information n’est transmissible que par son relais. Il connait parfaitement tous les personnages, leurs origines, ce qu’ils font quand ils disparaissent :

« Cette fois, Zalzamiche était venu demander à Tabaylisse de lui administrer un antidote qui le guérit de la maladie de la passion, afin disait il, de s’affranchir du sortilège de la belle Sarah » (P325)

Quant au mystère de la mort de Chakib, c’est toujours le Patriarche qui détient la réponse :

« Moi qui connais tous les secrets de tout un chacun, je peux me targuer de tout savoir de la vie de cet amant ténébreux » (P 326)

Cette supériorité du narrateur est illustrée dans plusieurs récits fantastiques : le narrateur du Horla de Maupassant savait, dès le début du récit, que son sort est définitivement scellé, que tout est fini. A ce sujet, Joël Malrieu atteste que le rôle du personnage-narrateur dans le récit fantastique est purement communicatif :

« Le narrateur, c’est celui qui sait déjà. Lorsqu’il entame son récit, tout est déjà terminé, son destin est joué et il n’a plus rien à attendre. Ce n’est donc pas pour lui-même qu’il écrit, mais pour les autres, pour que soit connue comme expérience unique dont il est seul à posséder le secret. Le narrateur ouvre la communication16 »

16 MALRIEU, Joël, Op.cit. P 137

36

6 - La mise en abyme :

Appelée aussi « le roman dans le roman ». Le narrateur du second récit de notre roman parvient à raconter en replongeant dans le passé du héros du premier récit. Aucune lecture du premier récit n’est possible en dehors du récit du patriarche. C’est un roman écrit par un personnage pour expliquer une partie du roman. Pierre Louis Rey explique ce procédé :

« Gide a appelé ‘’mise en abyme’’ ce procédé comparable à celui des peintres qui, comme Van Eyck dans la Famille Arnolfini, incluent dans leur tableau un miroir convexe ; reflétant la scène d’ensemble, celui-ci la concentre pour en exprimer plus fortement le sens17 »

Le second récit accompagne le premier tout au long de l’histoire. Il retranscrit, dans un autre registre, autres perspectives et procédés, le premier récit en y ajoutant d’autres éléments légendaires, mythiques et historiques pour reconstruire l’histoire.

Certaines scènes du premier récit sont fidèlement transposées dans le second récit. Ce dernier explique ce qui reste, dans le premier récit, énigmatique. C’est ainsi qu’on a su ce qui est advenu à Zalzamiche après l’intervention de l’armée pour sauver Sarah : le premier récit marque une pause et s’interdit de donner aucune information. Le récit du Patriarche intervient pour jeter la lumière sur ce mystère :

« L’armée du Major-Général s’abattit sur ses quartiers et détruisit son repaire jusqu’au dernier rempart. Pour se soustraire à cet assaut, Zalzamiche se métamorphose, une nouvelle fois, en corbeau » (P 326)

Le personnage de Mma Mebrouka, la bonne qui a élevé Ouali après le décès de sa mère, s’efface dès les premières pages du premier récit. Elle ne reviendra qu’à la fin de l’histoire, nous ne savons plus qu’est ce qu’elle devient. Là encore, le second

17

37

récit intervient pour nous informer qu’elle était victime d’une agression de Zalzamiche :

« Zalzamiche était parvenu à retrouver la maison de la bonne gouvernante [...] cette fin fatale lui fit perdre connaissance » (P327)

En outre, le premier récit ne développe pas les péripéties du voyage de Ouali à Tataouine. Là aussi le narrateur s’arrête au moment où Ouali franchissait les frontières entre les deux mondes. C’est au récit du patriarche de présenter un supplément d’information, l’aventure fantastique y est décrite par le menu.

Documents relatifs