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2. RÉSULTATS

2.8. Perspectives des cliniciens

2.8.1. Niveau de confiance envers les biosimilaires

Tout d’abord, plusieurs cliniciens soulignent qu’il ne faut pas présumer que les

biosimilaires sont nécessairement moins efficaces que les médicaments biologiques de référence. De plus, le fait de commencer un traitement avec un biosimilaire pour des

patients naïfs ne soulève généralement pas d’objections de la part des cliniciens consultés. Dans le domaine de l’oncologie, des inquiétudes sont soulevées pour les patients qui font usage des biosimilaires à la suite d’une substitution et même pour les patients naïfs, principalement en raison d’un manque de données à long terme sur leur efficacité, surtout dans un contexte où un traitement inefficace peut avoir des

conséquences importantes sur la survie du patient. Pour l’instant, aucune donnée ne permet de savoir si le même effet à long terme sera obtenu et l’American Society of Clinical Oncology (ASCO), dont les oncologues suivent généralement les

recommandations, souligne le manque de données probantes à ce sujet [Lyman et al., 2018]. Pour la gastroentérologie et la rhumatologie pédiatriques, peu de cliniciens utilisent un biosimilaire pour les patients naïfs. Un seul biosimilaire (Erelzi®) est utilisé, mais seulement chez les patients avec un diagnostic d’arthrite juvénile qui pèsent plus de 63 kg. Donc, il y a une expertise limitée relativement aux biosimilaires pour cette

population qui présente souvent une atteinte plus sévère.

Cependant, en ce qui concerne l’usage des biosimilaires chez les personnes déjà traitées par un médicament biologique, tous les cliniciens consultés soulignent le peu d’essais cliniques de qualité qui évaluent les effets provoqués par une substitution d’un médicament biologique de référence vers son biosimilaire, à l’instar des résultats de la revue systématique effectuée dans le cadre du présent projet. Ils soulignent cependant que l’amélioration des processus de développement des médicaments biologiques a entraîné une diminution de la production d’AAM avec les molécules les plus récentes qui sont beaucoup mieux tolérées d’un point de vue immunologique (moins de molécules chimériques ou d’origine animale autre qu’humaine), ce qui diminue le risque

d’immunogénicité de ces molécules. La littérature montre des niveaux comparables d’AAM, mais compte tenu de la sensibilité variable des techniques de dépistage, les conclusions sont difficiles à interpréter. La perte d’efficacité d’un médicament biologique en fonction du temps n’est toutefois pas exclusivement due à l’immunogénicité (AAM et AAMN) et elle peut également être engendrée par une progression naturelle de la pathologie traitée ou par une élimination plus rapide du médicament.

Le peu d’options de remplacement disponibles pour certaines pathologies et le risque de rechute des patients avec plusieurs échecs de traitement ou qui ont été difficiles à stabiliser constituent toutefois les principaux éléments qui alimentent les inquiétudes des cliniciens en lien avec une substitution non médicale d’un médicament biologique. Les principales inquiétudes ont été soulevées dans le domaine de la gastroentérologie, alors qu’il ne semble pas y avoir d’inquiétudes pour la rhumatologie. Les cliniciens consultés craignent dans certains cas qu’une perte de réponse au traitement survienne à la suite d’une substitution. Ils soulèvent à cet égard qu’aucune étude à répartition aléatoire effectuée en gastroentérologie chez l’adulte, notamment dans le cas de la maladie de Crohn, n’avait la puissance statistique nécessaire pour évaluer la perte d’efficacité du traitement à la suite d’une substitution de médication. Ils soulignent par ailleurs que l’Association canadienne de gastroentérologie et l’organisme Crohn et Colite Canada ont publié en 2019 une revue systématique avec méta-analyse qui montre une perte

d’efficacité statistiquement significative lors d’une substitution d’un médicament

de Crohn ou de colite ulcéreuse (plusieurs données de cette méta-analyse proviennent toutefois d’un résumé de congrès qui n’a pu être retenu dans le cadre du présent

rapport) [Moayyedi et al., 2020]. Cependant, les raisons de cette différence devraient être explorées plus en détail pour éliminer les effets nocebos. De plus, les options

thérapeutiques sont très limitées en gastroentérologie et les cliniciens consultés

soulignent l’importance de bien évaluer l’état de santé d’une personne avant d’envisager la substitution d’une médication qui est encore efficace, un retour en arrière étant très difficile si l’état de santé du patient se dégrade. Ils ajoutent que des dosages réactifs sont fréquemment effectués chez les patients n’ayant pas une bonne réponse au traitement pour permettre un meilleur ajustement de la médication et pour surveiller l’apparition d’AAM et AAMN. Si la médication d’un patient est mal dosée avant qu’on procède à une substitution, elle le sera encore à la suite de la substitution et le patient risque de perdre sa réponse. Par ailleurs, les cliniciens consultés soulignent que des dosages similaires pourraient aussi être utilisés pour certaines pathologies lors d’une substitution de traitement, pour qu’on soit en mesure de réagir rapidement et de façon proactive pour diminuer le risque que l’état de santé du patient se dégrade.

Certaines autres inquiétudes propres à chaque spécialité sont soulevées quant à une possible perte d’efficacité liée au traitement par un biosimilaire. Plusieurs patients en dermatologie souffrent de comorbidité ou reçoivent des traitements concomitants (p. ex. la biothérapie avec la photothérapie ou avec des traitements topiques) et peu de données sont disponibles pour ces populations. Cependant, les inquiétudes par rapport à une substitution non médicale concernent surtout les effets indésirables puisque

l’efficacité du traitement est facilement observable en dermatologie. Dans le cas du diabète, les quantités d’insuline peuvent être augmentées rapidement et presque sans limite, mais une telle hausse peut engendrer des effets indésirables comme de

l’hypoglycémie ou une prise de poids. En néphrologie, les études portent sur des patients en dialyse qui sont aussi considérés comme étant immunosupprimés, car une

sénescence du système immunitaire est présente. Cependant, aucune étude n’est disponible pour les patients en prédialyse, chez qui le système immunitaire est plus fonctionnel, et les inquiétudes pour ces patients sont plus élevées. Les cliniciens soulignent également qu’il faut être prudent avant d’extrapoler au domaine de

l’ophtalmologie les données obtenues sur la substitution des médicaments biologiques puisque les doses utilisées y sont différentes de celles utilisées pour d’autres pathologies et qu’une baisse d’efficacité du traitement pour certaines maladies ophtalmologiques peut entraîner un effet irréversible telle la cécité.

Divers éléments contextuels propres à certaines spécialités permettent toutefois de rassurer les cliniciens dans nombre de cas, notamment en rhumatologie. Comme il est souligné à la section 2.3.2 de ce rapport, la rhumatologie est la spécialité pour laquelle les données probantes sont les plus disponibles sur les effets de la substitution des médicaments biologiques avec leurs biosimilaires, et ce, pour plusieurs molécules (infliximab, étanercept, adalimumab et rituximab). Ces études ne montrent aucune différence statistiquement significative lors d’une substitution du traitement avec un médicament biologique. De plus, plusieurs options de traitement sont disponibles en cas d’échec.

2.8.2. Éléments d’acceptabilité d’une stratégie visant à favoriser l’usage des