• Aucun résultat trouvé

C. Quel lien entre troubles du sommeil et suicide ?

1. Neurobiologie

Dans cette partie, nous étudierons les éléments à l’échelle biologique qui sont à la fois impliqués dans la survenue de conduites suicidaires et dans la régulation du sommeil .

a. Système sérotoninergique

❖ Implication dans les conduites suicidaires

La voie sérotoninergique a d’abord été largement étudiée pour la dépression mais plusieurs études récentes ont montré son implication dans le phénomène suicidaire.

Par exemple, des études utilisant des tissus cérébraux post mortem d’individus décédés par suicide ont démontré une diminution des niveaux d’acide 5- hydroxyindolacétique, métabolite de la sérotonine, ainsi qu’une augmentation compensatoire des neurones sérotoninergiques des noyaux du raphé et de l’expression de la tryptophane hydroxylase, enzyme clé dans la biogenèse de la sérotonine (87).

Une altération de la fonction sérotoninergique a également été retrouvée au niveau du liquide céphalo-rachidien chez les sujets ayant fait une tentative de suicide et chez les patients présentant une forte impulsivité (88). Une diminution de la synthèse de la sérotonine est retrouvée dans le cortex préfrontal chez les sujets ayant fait une tentative de suicide (89), et au niveau orbitofrontal chez les sujets impulsifs (90). Selon une méta-analyse réalisée chez des patients psychiatriques, l’allèle court du 5- HTTLPR serait lié à un risque accru de suicide (91).

Ces constats font émerger l’idée d’un lien entre la dysfonction sérotoninergique et les conduites suicidaires mais sont insuffisants pour conclure à une causalité directe du fait de la forte intrication entre dépression et suicide.

Certains travaux ont réussi à montrer une différence d’expression du transporteur de la sérotonine et du récepteur de la sérotonine 1A chez les personnes déprimées ayant un comportement suicidaire par rapport à des sujets déprimés sans comportement

27

suicidaire (92). Des études approfondies des autres récepteurs de la sérotonine comme issus de la transcription ARNm (2C) pourraient apporter de nouvelles clés de compréhension du comportement suicidaire (93).

❖ Implication dans le sommeil

Sérotonine et sommeil physiologique

L’activité sérotoninergique cérébrale suit un rythme diurne induit par le rythme circadien endogène (94). En effet, la libération de sérotonine serait plus élevée pendant les états de veille, réduite lors des phases de sommeil profond, et au plus bas pendant le sommeil paradoxal (95).

Il est intéressant de noter que la dysfonction sérotoninergique et plus particulièrement la réduction de synthèse de la sérotonine, est connue pour majorer l’éveil (96). Roman et coll. montrent à travers leurs recherches sur les rongeurs, que le fonctionnement du système sérotoninergique est influencé par la dette de sommeil. Une restriction de sommeil de 4 heures pendant une durée de 8 jours induirait une désensibilisation 5HT- 1A et cet effet persisterait malgré un temps de récupération de sommeil illimité (97).

Figure 6 : Sérotonine et perturbation du sommeil

Dysfonctionnement sérotoninergique Perturbation du sommeil Synthèse Désensibilisation de 5HT 1A Concentration Sérotonine Eveil Dette de sommeil

28

L’insomnie pourrait être identifiée comme un mécanisme de lutte contre la dépression. Devant faire face à un déficit de sérotonine, l’organisme met en place l’insomnie pour lutter contre celui-ci. Lorsque le déficit est trop marqué pour être compensé, le sujet se déprime et apparaissent les altérations du sommeil paradoxal, qui sont sensibles au traitement ISRS.

Cela rejoint les pratiques historiques de privation de sommeil comme traitement de la dépression. La privation de sommeil induit les mêmes effets sur le système sérotoninergique qu’un traitement par antidépresseurs de type ISRS pendant plusieurs semaines, et notamment sur la down régulation du récepteur 5HT1a avec une augmentation de la concentration de sérotonine.

Actions des traitements type ISRS sur le sommeil

Les traitements inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS) sont associés à une suppression du sommeil paradoxal et une augmentation du sommeil à ondes lentes (98). Cet effet est aussi bien observé en population générale et en population psychiatrique. Il est expliqué par une disponibilité de sérotonine et noradrénaline lors de la prise d’ISRS, qui par l’activation des neurones sérotoninergiques et noradrénergiques vont venir inhiber le sommeil paradoxal (99). Les ISRS sont également impliqués dans la diminution de l’efficacité du sommeil (Temps de sommeil/ Temps passé au lit x100) (100); cependant les effets des antidépresseurs sur le sommeil varient considérablement selon les sujets, la dose et la molécule (101).

A contrario, une étude prospective rapporte que les antidépresseurs ISRS améliorent la qualité subjective du sommeil à long terme (102). Ils sont d’ailleurs indiqués dans les insomnies de maintien du sommeil (103).

Sérotonine et Mélatonine

La mélatonine est un dérivé de la sérotonine et le noyau suprachiasmatique module le métabolisme de la sérotonine en mélatonine (104).

29

L’activité sérotoninergique serait donc influencée par la lumière et la saisonnalité (105). L’exposition solaire pourrait influencer le risque suicidaire par régulation de la sécrétion de sérotonine et mélatonine (105).

b. Système dopaminergique

(1) Implication dans les conduites suicidaires

Dans la dépression sévère, les concentrations de métabolites de la dopamine sont diminuées à la fois dans le liquide céphalo-rachidien et dans les régions du cerveau qui interviennent sur le plan thymique et motivationnel (106). Certaines études en neuroimagerie soutiennent l'hypothèse que la dépression majeure est associée à un état de transmission réduite de la dopamine éventuellement reflété par une régulation positive compensatrice des récepteurs D2(106).

Plus récemment, Fitzerald (2017) s’intéresse au système dopaminergique chez les suicidés et retrouve un déséquilibre dans l'expression des récepteurs dopaminergiques et des transporteurs chez les suicidés contrairement aux témoins (107).

(2) Implication dans le sommeil

Dopamine et sommeil physiologique

La dopamine est un neurotransmetteur clé du rythme éveil-sommeil, notamment via les neurones de l’aire tegmentale ventrale et de la substance striée noire. Le récepteur D2 serait impliqué spécifiquement dans le sommeil REM (108).

Actions des anti-dopaminergiques sur le sommeil

Le blocage des récepteurs dopaminergiques dans les traitements antipsychotiques induit une sédation (109). A l’inverse, les effets stimulants des amphétamines sont liées au gêne du transporteur de la dopamine (110).

30 c. Brain Neural Factor

(1) Implication dans les conduites suicidaires

L’expression de gênes neurotrophiques tels que le BDNF (facteur neurotrophique dérivé du cerveau) et le NTRK2 récepteur tyrosine kinase B est diminuée dans le cerveau des personnes décédées par suicide par rapport aux témoins (111). Le lien entre le BDNF et le suicide a été étudié de manière intensive et plusieurs études ont démontré une altération de l'expression du BDNF dans le sérum des personnes qui ont tenté de se suicider et dans le cerveau des personnes décédées par suicide (112). Cette expression altérée est au moins partiellement due au contrôle épigénétique de l'expression du BDNF par méthylation de son promoteur ; en effet, une modification de la méthylation du promoteur ou de l'exon 4 a été mise en évidence dans le cerveau de personnes décédées par suicide (113) et dans les tissus périphériques d'individus ayant tenté de se suicider (114).

(2) Implication dans le sommeil

L’expression du BDNF suit une rythmicité circadienne notamment au niveau hippocampique, ces taux plasmatiques pourraient être des marqueurs indirects de la rythmicité circadienne du suicide (105). Faraguna (2008), à travers son étude sur des rats, montre un lien de causalité entre la concentration de BNF diurne et la régulation du sommeil (115).

d. Processus inflammatoire

Une altération du sommeil pourrait entrainer une activation de l’inflammation notamment une majoration de l’interleukine 6 (IL-6) et de la protéine C-réactive (CRP) (116). Il a d’ailleurs été observé que la réalisation de thérapie cognitivo- comportementale (TCC) dans le cadre de troubles du sommeil engendrait une réduction de certains marqueurs de l’inflammation (117).

Des recherches récentes ont suggéré que plusieurs marqueurs de l’inflammation (comme Il-6) pourraient être impliqués également dans le risque

31

suicidaire (118). Dans ce sens, des cytokines pro-inflammatoires ont été trouvés dans le liquide céphalo-rachidien et dans le cortex de suicidés (23,118).

Les cytokines périphériques pourraient entrainer une réponse inflammatoire à travers plusieurs voies neurologiques y compris à travers le nerf vague et l’activité microgliale (119). Certains auteurs émettent l’hypothèse que la réponse inflammatoire produite par la perturbation du sommeil serait liée à une majoration du risque suicidaire à travers une altération de certaines fonctions exécutives (120).