• Aucun résultat trouvé

IV. Discussion, Conclusions & Perspectives

IV.1. La nature des morphes d’Anemonia viridis

IV.1.1. Un polymorphisme et pas une divergence

Avant de débuter ces études, Anemonia viridis était définie comme une anémone de mer symbiotique présentant différents morphes identifiables principalement par la couleur des tentacules, par les différents profils d’expression de protéines fluorescentes et par divers traits d’histoire de vie (cf. la partie I.4 page 24). Ces constatations nous avaient ainsi conduits à nous interroger sur la nature taxonomique de ces morphes et la spécificité d’interaction qu’entretient A. viridis avec ses symbiotes. A la suite de mon travail de thèse, la définition taxonomique même d’A. viridis a été bousculée sans pour autant que le mystère de la différenciation morphologique soit résolu (Mallien et al. 2017; Porro et al. 2019).

Ainsi, lors de mes travaux de thèse, j’ai pu mettre en évidence l’existence de lignées génétiques différenciées et peu ou pas introgressées chez A. viridis. Ces lignées regroupent différents morphes dont rustica que l’on considère majoritairement clonal et smaragdina considéré comme se reproduisant principalement de façon sexuée (Figure I.4-4). J’ai pu mettre en évidence que la clonalité chez A. viridis est particulièrement répandue au sein de ces différentes lignées (Mallien et al. 2017; Porro et al. 2019; Porro et al. in prep) y compris chez smaragdina avec 28 MLL considérés comme clonales sur les 65 détectées chez le morphe smaragdina (annexe A3, Porro et al. in prep). Le seul signal fort de divergence entre morphes est localisé à Banyuls/Collioure et correspond à la lignée BanRuf formée uniquement d’individus de morphe rufescens (Mallien et al. 2017; Porro et al. 2019). Cependant d’autres individus de morphe rufescens ont été identifiés dans une autre lignée (EngCh) écartant ainsi l’hypothèse des morphes comme un signal de spéciation. Les morphes ne sont donc pas des espèces

différentes.

IV.1.2. Une plasticité phénotypique ou une origine génétique des morphes ?

La question de la nature des morphes reste ouverte et plusieurs hypothèses sont envisageables (Tableau IV.1-1).

Tableau IV.1-1 : Récapitulatif des hypothèses expliquant la nature des morphes Nature des morphes

Signal de spéciation (Bulnheim & Sauer 1984) Non

Différenciation symbiotique (Frade et al. 2008) Non

Stades de développement (Roth et al. 2013) A tester

Canalisation développementale (Kawecki & Ebert 2004; Zamer & Mangum 1979) A tester

Polymorphisme allélique (Creed et al. 1980; Kess et al. 2018) A tester (en cours)

Dans nos études nous avons essentiellement utilisé des individus de taille petite à moyenne. Il existe chez A. viridis des individus du morphe smaragdina beaucoup plus imposants (Figure I.4-2). Chez ces individus, il a été possible d’induire la ponte de gamètes et de suivre le développement des larves puis des juvéniles (Zamoum et al. in prep), alors qu’il fut impossible de l’induire chez des anémones de morphe rustica (présentant néanmoins des gonades développées). Bien qu’un seul essai de ponte ait été réalisé, cet échec pourrait suggérer que le morphe rustica représente un stade juvénile. Cependant, in aquaria, nous n’avons jamais observé de variation de phénotype chez des individus cultivés plusieurs années, ni de changement de morphe lors du développement larvaire-juvénile-adulte d’individus smaragdina dont on a induit ponte et fécondation (les G1 partageant le même phénotype que leurs parents). A ma connaissance, le seul suivi temporel sur le terrain de populations d’A. viridis s’est fait au Dramont (Massif de l’Esterel), et les auteurs mettaient en avant un remplacement local d’un morphe (rustica) par un autre (smaragdina) plutôt qu’un changement de phénotype

Discussion, Conclusions & Perspectives

175

(Wiedenmann et al. 2007). L’hypothèse d’un changement phénotypique lié à l’âge semble donc peu probable.

Les morphes d’A. viridis pourraient néanmoins être le résultat d’une canalisation développementale qui correspond à une modification irréversible du phénotype due aux conditions environnementales lors du développement. Il a été montré chez l’anémone de mer Haliplanella luciae une modification physiologique irréversible (consommation d’O2)

dépendant de la température à laquelle des clones s’étaient développés (Zamer & Mangum 1979). Cet exemple de canalisation développementale chez un Anthozoaire pourrait expliquer la variation morphologique d’A. viridis dont les juvéniles ne présenteraient qu’un seul morphe in aquaria car se développant en conditions contrôlées. Tester différentes conditions de températures, ou d’éclairage sur le développement des larves d’A. viridis pourrait nous permettre de suivre une éventuelle variation phénotypique en fonction ces conditions au cours du développement et donc de tester l’hypothèse d’une canalisation développementale.

La différenciation morphologique des morphes pourrait également être le résultat d’un polymorphisme génétique. Par exemple, chez l’escargot Cepeae nemoralis, il a été montré par plusieurs croisements que la couleur de la coquille et la présence de bandes sur celle-ci étaient codées génétiquement (Cain et al. 1960; Richards et al. 2013). De plus, il a été montré que l’aspect de la coquille était soumis à sélection, les escargots clairs étant avantagés dans des prairies et jardins et les escargots plus sombres étant plus avantagés dans les sous-bois (Currey et al. 1964). Pour tester le déterminisme génétique des morphes d’A. viridis, nous pourrions, en étant patients, vérifier le maintien des différents phénotypes sur plusieurs générations issues de croisements in aquaria. Nous pourrions également utiliser le jeu de données de SNP utilisé pour déterminer le statut taxonomique des morphes, et tester l’existence d’une association phénotype-génotype afin de détecter lesquels de nos SNP auraient des allèles différents entre morphes par une étude d’association pangénomique (Genome-Wide Association Study en anglais) (Korte & Farlow 2013). Cela dit, comme nos loci RADseq ne représentent qu’une très

faible proportion du génome total, il sera peut-être nécessaire de générer des marqueurs de variabilité génétique à l’échelle du génome entier pour détecter de tels liens avec le phénotype. Le séquençage du génome d’A. viridis permettrait de localiser les lectures générées par les séquençages RAD et les SNP d’intérêt. Nous n’aurions ainsi plus de marqueurs anonymes et nous pourrions croiser facilement l’information génétique obtenue de différents échantillonnages. Une ébauche de génome d’A. viridis a récemment été mise à disposition (numéro d’accès : PRJEB23133, Chi et al. 2018), elle pourrait permettre de préciser la nature et le rôle de certains SNPs d’intérêt. Une étude fonctionnelle serait néanmoins nécessaire pour mettre en évidence un éventuel effet de la diversité génétique détectée.