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LA NATURALISATION ET L’EVIDENCE

Pour mieux comprendre ce qui se passe dans ce système de brouillage des frontières nous retournons voir du côté d’Aristote qui poursuit son analyse du travail du poète et déclare que ce que fait le poète, c’est du mythe (mutos). La fiction étant affaire de composition, ce que nous avons vu précédemment, nous pouvons émettre l’hypothèse que la fiction opérée dans le travail du Dunne & Raby est peut-être une mythification des évènements. Pour vérifier cela nous sommes allés voir la définition que propose Rolland Barthes dans son analyse du mythe.

Le mythe d’après Roland Barthes, est une parole37. Il est « un

système de communication, c’est un message. On voit par là que le mythe ne saurait être un objet, un concept, ou une idée ; c’est un mode de signification, c’est une forme »38. Etant un message, le mythe peut

être autre chose qu’une parole orale, il peut être constitué d’écritures ou de représentations, d’images … Pour comprendre le mythe, il faut comprendre de quoi il est constitué. L’auteur explique que le signifiant du mythe est déjà composé des signes de la langue. Le signe est une unité linguistique constituée d’une partie physique, matérielle, appelée signifiant et d’une partie abstraite, conceptuelle, appelée signifié ; cela constitue le système linguistique, la langue. Or selon Barthes, il y a dans le mythe deux systèmes sémiologiques, emboités l’un dans l’autre, celui du langage d’abord, défini par l’auteur comme étant un langage-objet, car c’est de lui que le mythe se saisit pour construire son propre système, qu’il appelle méta-langage, car « il est une seconde langue dans laquelle on parle de la première »39. Ainsi le mythe prend sa source dans

le signe (l’image du lion), né lui-même d’un signifiant (le mot lion) et d’un signifié (le lion), mais ne renvoie pas aux mêmes signifiés et signifiants. Le signifiant du mythe sera nommé « forme » par le sémiologue, le signifié restera « le concept » comme dans le premier système du langage-objet, et enfin, au lieu de donner le mot « signe » pour le troisième terme du système du méta-langage et qui est le seul que l’on « consomme ». Barthes préfèrera celui de « signification », plus

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BARTHES, Roland. Mythologies. 1957. France. Seuil. 2014. Collection Points essais. ISBN 978-2-7578-4175-4

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BARTHES, Roland. « Le mythe, aujourd’hui » dans Mythologies. 1957. France. Seuil. 2014. Collection Points essais. Page 211

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30 juste du point de vu de la fonction du mythe qui est de désigner et de notifier, « il fait comprendre et il impose. »40.

Dans la lecture du mythe, « tout se passe comme si l’image provoquait naturellement le concept, comme si le signifiant fondait le signifié […] le mythe est une parole excessivement justifiée. »41. Nous

comprenons ici que le mythe a ceci de particulier, et c’est pourquoi il est très puissant, c’est qu’il se fait comprendre naturellement et ne nous fait pas nous poser de questions. Barthes poursuit plus loin en déclarant que « ce qui permet au lecteur de consommer le mythe innocemment, c’est qu’il ne voit pas en lui un système sémiologique, mais un système inductif : là où il n’y a aucune équivalence, il voit une sorte de procès causal : le signifiant et le signifié ont, à ses yeux, des rapports de nature. […] le consommateur du mythe prend la signification pour un système de faits : le mythe est lu comme un système factuel alors qu’il n’est qu’un système sémiologique. »42. Nous saisissons ici que ce qui fait un mythe

c’est sa manière de brouiller en sur-justifiant ce qu’il montre pour ne pas montrer ce qu’il ne montre pas.

Le mythe repose sur un système de signes, tiré du langage et dont la signification est naturalisée, c’est-à-dire composée avec vraisemblance, si bien d’ailleurs que l’on prend pour vrai ce qui est présent dans le mythe comme un fait scientifique ou historique.

Le mythe au contraire de l’inquiétante-étrangeté est sur- justifié. C’est parce qu’il brouille le signifiant et le signifié dans un excès de justification que la fiction est naturalisée et que nous perdons notre sens critique. Nous ne sommes plus capables d’identifier que l’image que nous regardons sur la Une de tel ou tel journal ,repose en réalité sur un système sémiologique et prenons pour vrai ce qui nous est présenté sans pouvoir identifier les différents éléments de l’image et donc du message. Il ne s’agit plus de jouer sur les non-dits, tous les éléments de la composition sont présents, cependant c’est en sur-justifiant que le mythe masque ce qu’il ne veut pas dire et oriente vers le message qu’il veut faire passer.

Or, donner au faux la forme du vrai est une erreur comme nous l’avons expliqué plus haut. Quelles réactions peuvent émerger si nous confondons le réel-réel et le réel-imaginaire ? Et qu’est ce qui nous fait tomber dans cette mythification et donc cette naturalisation de la signification par rapport au signifiant et au signifié ? A quoi tient cette sur-justification ? 40 Ibidem. Page 221 41 Ibidem. Page 237 42 Ibidem. Page 238-239

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