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B. L’évolution du concept d’immunosurveillance

1. La naissance d’un concept

Ce n’est qu’en 1950, sur la base de ces observations, que Thomas et Burnett introduisent la théorie de l’immunosurveillance en définissant les lymphocytes T comme des cellules sentinelles capables de reconnaitre les Ags tumoraux spécifiques et ainsi, d’éliminer les cellules tumorales (Burnet 1957) (Figure 3). Durant de nombreuses années, la théorie d’une immunosurveillance anti-tumorale reste controversée. En effet, des expérimentations démontrent que la croissance tumorale ne semble pas modifiée dans des modèles de souris Nude par rapport à des souris immunocompétentes (Stutman 1974, 1979). Rétrospectivement, il est admis que l’utilisation de souris Nude présentait un biais important. En effet, ces souris sont des modèles imparfaits de déficience immunitaire produisant parfois des quantités faibles

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Figure 3 Evolution historique des idées et des connaissances sur l’implication du SI en cancérologie.

L’évolution des techniques et des connaissances fondamentales a permis d’asseoir définitivement le rôle de la réponse immunitaire dans l’élimination des tumeurs.

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mais détectables de lymphocytes T et possédant des cellules NK et myéloïdes en quantité normale.

Les avancées technologiques du siècle dernier, une meilleure connaissance de la réponse immunitaire et la compréhension progressive du microenvironnement tumoral ont rendu possible l’étude du rôle du SI dans le développement des cancers (Figure 3). Ainsi, de nombreux arguments en faveur du concept participent à renforcer la théorie de l’immunosurveillance dans des modèles précliniques et cliniques.

a. Les observations précliniques.

Les travaux de Schreiber mettent en évidence pour la première fois le rôle de l’IFN-γ, une cytokine anti-tumorale, dans les mécanismes d’immunosurveillance. Comparé aux souris WT, les souris déficientes en IFN-γ développent plus rapidement et plus fréquemment des tumeurs induites par un carcinogène chimique, le méthylcholanthrène (MCA) (Kaplan et al. 1998).

Chez des souris exprimant peu de perforine, une protéine cytolytique sécrétée par les lymphocytes T CD8 et les cellules NK, la fréquence de certains cancers est augmentée soulignant l’implication de cette protéine et de ces cellules dans l’élimination de la tumeur (Smyth et al. 2000).

Par ailleurs, les souris RAG2-/-, déficientes pour le gène RAG, une enzyme indispensable à la recombinaison des gènes d’immunoglobulines (Ig) et des récepteurs aux cellules T (TCR), est un modèle qui a été utilisé pour démontrer l’implication des lymphocytes T dans la réponse anti-tumorale (Shinkai et al. 1992). En effet, les cancers induits par le MCA se développent plus rapidement et avec une fréquence plus élevée chez les souris RAG2-/- que chez les animaux WT démontrant le rôle crucial des lymphocytes T dans la protection anti-tumorale (Shankaran et al. 2001). De plus, le transfert de ces tumeurs dans des souris WT montre que 40% des souris rejettent les tumeurs greffées provenant des souris RAG2-/-, alors que toutes celles provenant des souris WT se développent (Shankaran et al. 2001). Ces résultats suggèrent que les tumeurs qui se développent dans des souris immunocompétentes subissent

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une pression immunitaire créant des clones tumoraux moins immunogéniques et plus agressifs pour résister à l’élimination par le SI. Une autre étude s’est intéressée aux souris immunocompétentes exposées au MCA qui ne développent pas de tumeurs. Quelques jours après le traitement avec un AcM déplétant les lymphocytes T CD4 et T CD8, des tumeurs se développent soulignant l’implication de ces populations immunitaires dans le contrôle de la progression tumorale (Koebel et al. 2007).

Plus récemment, les phénomènes d’effets abscopaux (régressions de métastases non irradiées et éloignées du site primaire tumoral irradié), décrit page 60 (Figure 14), traduisent une mobilisation du SI dans les effets anti-tumoraux suite au traitement par radiothérapie. Une démonstration de cet effet a été apportée chez la souris dans un modèle de mélanome murin B16F0 irradiées de façon séquentielle (Lugade et al. 2005).

b. Les observations cliniques.

Les observations pré-cliniques soulignant le concept d’immunosurveillance des tumeurs, sont renforcées par des observations similaires chez les patients atteints de cancer. En effet, la fréquence des cancers chez des patients présentant des déficits immunitaires est supérieure et se manifeste plus précocement (Gatti et Good 1971; Hauck et al. 2018). De plus les patients transplantés, traités par immunosuppresseurs, ont une incidence plus élevée de cancers (Birkeland et al., s. d.; Penn 1995). De façon intéressante, une étude de 2003 de Mackie et al présente le cas de deux patients, ayant reçu une greffe rénale provenant de la même personne, qui ont développés dans les deux ans qui suivent la transplantation, un mélanome. Après des recherches approfondies sur l’origine de ce cancer, il s’avère que le donneur avait été traité pour un mélanome primaire 16 ans plus tôt et était considéré en rémission. Il semble que le donneur ait été en réalité dans une phase de contrôle de la pathologie et que les traitements immunosuppresseurs nécessaires à la transplantation aient favorisés le développement du mélanome chez les receveurs.

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Inversement, il est démontré qu’un taux élevé de lymphocytes et de cellules NK infiltrant la tumeur est corrélé à une meilleure survie et un bon pronostique chez des patients atteints de cancers du côlon (Giannakis et al. 2016), de cancers du sein (Acerbi et al. 2015) et de mélanomes (Balatoni et al. 2018).

Soulignant l’importance de l’infiltrat immunitaire, Galon et al établissent un immunoscore corrélé au risque de récidives des cancers colorectaux (Galon et al. 2006). Cet outil pronostique utilise une quantification, en périphérie et au centre de la tumeur, de la densité des cellules T cytotoxiques mémoires (CD8/CD45RO).

Enfin, comme dans les modèles murins, des patients traités en radiothérapie localement, présentent des cas de régression tumorale des lésions à distance du site de traitement suggérant l’implication du SI dans les effets cliniques de ces thérapies (Postow, Callahan, et Wolchok 2015). En effet, des patients atteints de mélanome, traités par l’ipilimumab et radiothérapie, présentent des modifications des populations immunitaires sur des sites métastatiques non irradiés (Postow et al. 2012).

L’ensemble de ces observations précliniques et cliniques démontrent l’implication du SI dans la réponse anti-tumorale primaire. L’étude approfondie de ces mécanismes a permis de définir plus précisément la contribution des différentes composantes du SI (Figure 3).

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