• Aucun résultat trouvé

Le mythe 128

Dans le document L'<i>Essai sur le Mal</i> de Jean Nabert (Page 130-133)

PARTIE 3 LA RECHERCHE D’UN ÉQUILIBRE DANS LA TENSION ENTRE SENSIBLE ET

A) Le mythe 128

a) Définition générale de la notion de mythe

Il apparaît que dans le vocabulaire courant, le mythe à plusieurs acceptions ; nous

reprenons ici celles données par Le Petit Robert410, qui nous semble constituer la définition

la plus complète :

1) Récit fabuleux, transmis par la tradition qui met en scène des êtres incarnant* sous une forme symbolique* des forces de la nature, des aspects de la condition humaine*. Par extension : représentation de faits ou de personnages souvent réels déformés ou amplifiés, par l’imagination collective, une longue tradition littéraire.

2) Sens figuré : pure construction de l’esprit*

3) Expression d’une idée*, exposition d’une théorie philosophique* sous une forme

imagée*.

4) Représentation idéalisée de l’état de l’humanité dans un passé ou un avenir fictif*

5) Image simplifiée, souvent illusoire*, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu ou d’un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur

comportement ou leur appréciation*.

Il apparaît que nous avons montré en déterminant les concepts mythes comme des idées régulatrices, ayant une certaine objectivité et fertilité, qu’ils répondent bien aux trois premières définitions. (Nous pourrions remarquer ici concernant la première acception du

terme, que l’idée de « condition humaine » 411, correspond bien à la portée universelle dans

laquelle Nabert inscrit sa morale).

Nous aimerions en revanche, nous intéresser un peu plus aux deux dernières définitions, parce qu’elles mettent en jeux, et permettent ainsi d’approfondir, l’aspect

410 Le Petit Robert, dir. J. Rey- Debove et A. Rey, Paris, dictionnaire Le Robert, 2003

* Nous soulignons

411 Concernant 1), il apparaît en effet que le mal originaire, l’Etat d’innocence primitive… sont bien des

formes symboliques de la condition humaine dont l’aspect pratique se découvre par le sentiment d’injustifiable.

fécond de la morale de Nabert, dans la tension que nous ressaisissons ici entre le pôle originaire, et la fin pratique :

En effet le mythe lorsqu’il prend une dimension étiologique, est une histoire retraçant les origines de l’humanité sous des formes symboliques, et dans laquelle l’homme se reconnaît, identifie sa propre histoire. Il n’a pas seulement une portée explicative, et représentative de l’homme, il peut également visée une pratique. C’est dans la tension entre des origines symboliques dans lequel chacun se reconnaît et les fins proposées à l’homme dans le mythe, que se façonnent des possibles applications dans la réalité de ce qui a été enseigné à travers celui-ci. C’est là que se joue pleinement à nos yeux, chez Nabert, ce que nous avons appelé concepts mythes, (c’est-à-dire dans la possibilité d’envisager un renouveau moral). En cela on peut donc dire que les concepts mythes sont des idées régulatrices d’un type particuliers, parce qu’elles mettent en jeu cette tension entre une origine et un terme, à travers la réactualisation, la (ré)-application, permanente de son sens, (tel est en effet l’effort que doit reprendre sans cesse le moi pour tendre vers l’au-delà spirituel).

Nous avons mis ici en évidence en quoi les différentes acceptions du mythe, coïncident avec les concepts de Nabert. Il nous reste donc à présent, pour approfondir et justifier réellement cette similitude, à penser une définition générale du mythe.

b) Origine et visée du mythe

Le mythe apparaît comme un système de symboles. De la relation entre ces symboles s’engendre une indétermination du système, la possibilité d’une multiplicité d’interprétations : de cette façon le mythe est à même de rendre compte, pour celui qui cherche à s’y identifier, d’une expérience empirique (et de là donc, sensible) dans son caractère total et complexe. C’est la conscience intellectuelle de l’interprète qui donne au mythe un sens, une application, en le déterminant, en le faisant entrer dans des catégories (telles que le libre arbitre, le juste, le mauvais, etc.). Mais il s’agit là d’une opération ultérieure, indépendante du mythe en lui-même, et qui est tout autant une trahison de sa complexité.

Par conséquent il nous apparaît ici que si l’acte réflexif en vient chez Nabert à saisir le mal dans des concepts mythes, c’est justement parce qu’au mythe est lié une totalité indéterminée, à laquelle répond celle de la réalité que le sujet moral doit affronter. Il y a un

caractère du mythe, qui le place en deçà de toutes formes interprétatives particulières, même s’il ne se laisse appréhender que de cette façon. Ainsi, par le mythe, par la multiplicité d’interprétations possibles qu’il engendre, Nabert échappe avec ses concepts à l’impuissance à laquelle nous voue la conscience intellectuelle (emprisonnée dans les catégories). De cette façon, il nous est permis de trouver un sens à l’injustifiable.

C’est pourquoi, s’il faut définir ici le mythe plus précisément, nous reprenons la proposition de P. Ricœur :

Par mythe j’entends bien entendu un mode de pensé plus fondamental que le folklore ou la légende, à savoir les grands récits fondateurs qui, par rapport au problème du mal, présentent le triple caractère suivant : d’abord, ils disent comment toutes choses […] ont commencés ; le mythe couvre ainsi de façon indifférencié l’éthos et le cosmos412[…]. Deuxièmement, le mythe, pas plus qu’il ne distingue entre l’éthos et le cosmos, ne distingue entre le bien et le mal. La source de toute chose est placée au-delà du bien et du mal413. Mais surtout […] le mythe contraint face à tout problème à penser en terme d’origine : origine de toute chose, origine du bien et du mal comme on vient de le dire.414

Tel est en effet est le sens du mythe, et celui du concept mythique chez Nabert. Nous voyons donc bien ici en quoi ils sont liés.

Cependant nous ne voulons pas nous en tenir au mythe comme représentation

purement imaginaire : Il ne faut en effet pas oublier415 que certains événements historiques,

ont eu un impact tellement important sur des consciences humaines, qu’ils prennent pour elle un caractère de mythe et génèrent des histoires ou des pratiques, qui sont des interprétations de l’événement d’origine, très souvent amplifié (voir même complètement dénaturé) par l’imagination. Ainsi cette autre dimension du mythe ne change rien à ses caractéristiques générales, car le mythe historique, pour les hommes qui considèrent un fait de cette façon, apparaît comme une nouvelle origine à laquelle il faut sans cesse se référer. Il constitue un bouleversement dans la pensée de l’homme, un recommencement façonnant toute la réalité humaine (et de là éventuellement le monde, étant donné les capacités techniques de l’homme). Par conséquent nous pouvons bien attester de l’existence d’une similitude entre mythe et concept mythe.

412 On peut penser là à la pensée du mal et des maux chez Nabert

413 Chez Nabert il s’agirait plutôt d’un « en deçà » des catégories du bien et du mal. Mais il ne nous semble

pas que la différence pose vraiment de problème.

414 « Le scandale du mal », dans Esprit, P. Ricoeur, n° 7-8, Juillet - Aout 1988, p. 58 - 59 415 Cf. première définition du mythe donné dans le Petit Robert et rapporté ici en III, 1, A

Or il nous semble qu’à travers ces différentes caractéristiques du mythe, ce qui se joue, c’est une fonction du mythe, qui fait de ce dernier le principe universel à l’origine d’une multiplicité d’interprétations possibles. La fonction mythique est donc une fonction symbolique qui porte sur la condition humaine, parce qu’elle s’attache à son origine. Et c’est dans la perspective de cette fonction, que nous fondons notre proposition de parler de concepts mythes.

En effet on ne peut pas dire des concepts mythes (l’un, l’état d’innocence, le mal originaire, etc.) qu’ils sont des représentations. Or le mythe en est toujours une. C’est dans cette différence que réside la dimension conceptuelle, dans l’expression “concept mythe” ; et c’est par conséquent seulement au niveau de la fonction que ce dernier relève du mythe.

Le concept mythe se définit donc par sa fonction mythique, qui est constituée à la fois par son pouvoir créateur (du à sa force symbolique), mais aussi par le caractère multiples de ses interprétations possibles, et enfin parce que le mythe se présente d’emblée dans son statut de fiction originaire, il manifeste donc immédiatement sa portée et ses limites. Cette fonction du concept mythe offre à la morale de Nabert la particularité, de pouvoir être associée avec des mythes qui en sont des interprétations possibles : c’est donc là que se fonde l’originalité du statut de ces concepts.

Dans le document L'<i>Essai sur le Mal</i> de Jean Nabert (Page 130-133)

Documents relatifs