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C. U NE CULTURE VIVANTE

1) La mutation du porteur de mémoire

Joël Candau explique, que dans les sociétés traditionnelles, la mémoire est détenue par les plus anciens qui transmettent leur savoir progressivement aux plus jeunes. Sans mémoire il n’y a pas de culture-tradition.

« Sans cette mobilisation de la mémoire qu’est toute transmission, il n’y a plus ni socialisation ni éducation et, du même coup, toute identité culturelle devient impossible, si l’on admet, comme Leach, que la culture est « une tradition transmissible de comportements appris ». […] A partir de cet apprentissage – adaptation du présent à l’avenir organisée à partir d’une réitération du passé -, il va construire son identité, en particulier dans sa dimension protomémorielle »141

Une fois la transmission faite le porteur intériorise à sa manière ce qu’il a appris. C’est pour cela que la culture évolue en partie inconsciemment à chaque génération. Dans notre société contemporaine, on observe une large diffusion de la culture via la généralisation de l’écrit et autres supports. Nous sommes partis de quelques cahiers de praticiens pour arriver aujourd’hui à une émission plus large. Une personne peut donc acquérir un savoir en auto- formation dans la limite où le savoir est retranscrit sur papier. C’est quand il n’y en a pas qu’apparait le mythe :

« Dans toutes les sociétés, l’écriture – et plus encore l’imprimé – a sans doute permis une certaine socialisation de la mémoire en offrant la possibilité de stoker des informations dont le caractère fixe peut en faire des référents collectifs plus facilement que la seule transmission orale »142

Le contrôle des anciennes générations, dans le choix de l’objet et de la manière dont la culture est transmise, perd progressivement du terrain. Dans le passé des individus plus ou moins charismatique, car issus de familles ossaloises implantées depuis des générations, géraient la culture-tradition. André Mariette, ancien membre de l’organisation du festival de

141

J. Candau, Mémoire et identité, op. cit., p.98

89 Siros, fait référence à ce type d’individu, membre d’une famille, qu’il allait voir pour faire venir des groupes de chanteurs de la vallée d’Ossau :

« Bon voilà et quand je fais, quand je fais référence à certaines familles, à l’époque ça c’était, maintenant c’est plus ça a changé, mais c’était, c’était des gens qui représentaient…, qui représentaient leur village. »143

Il définit ces personnes comme représentantes du village, en ce sens il faut entendre que ces individus sont les porte-paroles incontestés de la communauté. Dans la mise en représentation et dans le discours tourné vers l’extérieur, chaque communauté s’accorde pour désigner certains de ses membres et ceci quelques que soient les dissensions internes. En ce sens, le festival de Siros a reçu, à ses débuts, ces personnes désignées, portant une parole et plus exactement ici une pratique chantée, dans laquelle le Haut-Ossau se reconnaît tout en offrant une mise en représentation de soi aux regards de la plaine. Aujourd’hui encore des familles sont mises en avant en ce qui concerne leur implication dans la culture- tradition, mais un virage s’opère. Il ne suffit plus d’un nom pour être influent. L’action culturelle légitime la parole. On peut constater, à l’heure actuelle, de l’influence considérable d’ossalois, non sans mal, dont la famille est présente depuis une ou deux générations seulement. Aujourd’hui leur parole a acquis une valeur et exerce une influence, uniquement par leur investissement dans la préservation et la transmission de la culture de la haute vallée. La légitimité culturelle passe de l’hérédité au charisme.

Il existe dans ces porteurs de mémoire des militants qui sortent du cadre traditionnel et inventent de nouvelles manières de transmettre. De véritables stratégies sont mise en place pour la promotion de l’identité et l’expression de la culture ossaloise. Généralement ces militants s’appuient sur le réseau associatif et le développent. Il n’est pas rare de voir dans les bureaux associatifs s’investir les mêmes personnes, dans des temps et lieux différents.

Ce tissu associatif a permis, consciemment ou inconsciemment, une ouverture de la culture tradition. Quand une personne voulait apprendre, sans pouvoir compter sur une transmission familiale ou amicale directe, il était parfois difficile de demander à des porteurs de mémoire d’être initié, avec toute la complexité des rapports humains que cela

90 représente. Aujourd’hui, avec ce tissu associatif, les personnes résidant en haut-Ossau on réellement le choix entre « la découverte ou l’ignorance ».

2) « La découverte ou l’ignorance »

Dans l’enfance, la culture-tradition se construit sur des bases protomémorielles, pour reprendre la citation de Joël Candau. Par la suite, la transmission devient mémorielle, comme nous l’explique toujours ce même auteur, en instant sur la complémentarité des deux moyens de tradition de la mémoire :

« La transmission peut être protomémorielle ou mémorielle. J’ai déjà évoqué la première, immanente à toute vie sociale et à tout processus d’enculturation. Elle est constituée pour l’essentiel de dispositifs et de dispositions montés dans le corps. Gouvernement socialement et culturellement déterminé des attitudes et des conduites, la transmission protomémorielle se fait sans y penser, agit les individus à leur insu, procède de l’immersion dans la société dès la petite enfance plutôt qu’une transmission explicite. Elle conserve, réitère et reproduit bien plus qu’elle ne transforme, crée et reconstruit.»144

Durant cette période, l’enfant ne choisit pas les informations qu’il intériorise. Elles rentrent dans un cadre familial. Les enfants, le jour de la fête patronale du 15 août, sont habillés par les parents et/ou les grands-parents fiers, que leur progéniture suive la tradition du port du costume traditionnel. Cette entente familiale ne dure pas éternellement, à un moment donné, dans sa vie, l’individu fait un choix. Le choix ou non de participer, d’apprendre les chants, les danses, d’aller chercher les edelweiss en montagne145, de porter le costume ossalois.

Quant à elle, la transmission mémorielle s’opère quand le « récepteur » fait le choix de recevoir. J. Candau explique que la réception :

144 Ibid, p. 114 - 115 145

Il est de coutume pour les fêtes patronales du Haut-Ossau, que les jeunes du village (autrefois les conscrits) partent en montagne quelque jour avant pour cueillir las immortèlas (les immortelles ou edelweiss), pour les distribuer, contre de l’argent, le jour de fête. Cf : Marlène Albert-Llorca Marion Taréry, «Une fleur « pour la tradition »», Terrain , 51 | 2008

91

« autorise une marge de choix et d’interprétation dans ce qui est entendu ou compris […] : la « réception » de l’héritage consiste d’abord en une revendication consciente avant d’être une proclamation actives »146

Il est facile de vivre en dehors de cette identité, en dehors de cette culture-tradition. La société de consommation actuelle déborde de cultures entrées, elles aussi, dans le libéralisme. Comme je l’ai expliqué précédemment, les cultures ne se battent pas à « armes égales » pour pouvoir vivre. Un effort impulsé est à promouvoir pour intégrer cette culture participative. Plusieurs de mes entretiens ont révélé un âge moyen où les jeunes ossalois prennent, consciemment ou inconsciemment, la décision de faire partie des praticiens. L’adolescence est un moment propice à l’intégration de l’identité ossaloise dans son existence pour se l’approprier. La participation et l’intégration de ces particularismes dans sa construction individuelle est alors consciemment choisie. Un adulte peut également réaliser ce choix d’être au monde dans la « glocalisation », porter une expression d’un lieu précis en accord avec l’évolution de la société en général et une culture globale. Cette situation se rencontre dans tous les espaces marqués d’une expression culturelle forte ainsi. Dans son poème « la découverte ou l’ignorance », chanté par le groupe Tri Yann, le breton Morvan Lebesque utilise les mots avec justesse pour décrire ce choix : « il me faut donc vivre la

Bretagne en surplus. Et pour mieux dire en conscience... »147.

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